Le « coup d’État » le plus courtois de l’histoire du Mali a couronné la lutte du M5-RFP le 18 août 2020. Le choc des premiers moments passé, IBK qui a retrouvé ses esprits a déclaré qu’il a démissionné librement et ne souhaite plus revenir aux affaires. Face au vide constitutionnel ainsi créé, place à une transition militaro-civile qui se présente comme une opportunité pour sauver le Mali. Comment la réussir ?
SORTIR DES ERREMENTS DE LA 3ÈME RÉPUBLIQUE
Une transition est le passage progressif d’un ordre à un autre. Dans le cas d’espèce, il s’agit de passer d’un régime politique de fait né de la démission du président de la République qui a dissous l’Assemblée Nationale, à un régime de droit instaurant une véritable démocratie. Le paradoxe, c’est que le Mali est une démocratie depuis 1992. Cependant, aucun des régimes qui se sont succédé depuis cette date n’a apporté la stabilité, la paix et le développement parce que chacun d’eux a confisqué le pouvoir et l’appareil d’État au profit d’un clan et/ou d’une famille, favorisant ainsi l’avènement de nouveaux riches grâce à une prédation mafieuse qui n’a cessé de prospérer. Pour revenir à la chute d’IBK, de tous les scenarii envisageables pour sortir du bras de fer qui l’a opposé au M5-RFP, l’intervention de l’armée a été le moins à risques pour le pays. En effet, IBK ne pouvait se maintenir qu’en neutralisant le mouvement, ce qui paraissait quasiment impossible à réaliser sans plonger le pays déjà exsangue dans le deuil et la désolation. Un renversement du président par le M5-RFP aurait conduit à des débordements dont nul ne pouvait prévoir ni l’ampleur ni le coût humain et matériel, sans compter le désordre politique et social qui aurait de toutes les façons obligé les forces de défense et de sécurité à intervenir dans des conditions encore plus pénibles. Le seul véritable coup d’État intervenu au Mali est celui du 19 Novembre 1968 parce que ce jour, l’institution militaire s’est attaquée aux autres institutions, notamment le président de la République pour le démettre, plaçant le pays sous un régime militaire dirigé par le Comité Militaire de Libération Nationale (CMLN). Malheureusement, ni la transition de 1991 instaurée 23 ans après, ni la Constitution de 1992, ni même le régime de Alpha Oumar Konaré n’ont permis de mettre en place un système de référence garantissant la stabilité politique. Réduire l’opposition à sa plus simple expression est devenu l’objectif central du combat politique. Cela a conduit à la transition de 2012, chaotique à tout point de vue. Les mêmes causes ont produit les mêmes effets au mois d’août 2020. Il s’agit à présent de tirer les leçons de cette saga démocratique commencée en 1992 dont l’effet pervers le plus visible est l’apparition d’un pouvoir quasi-monarchique avec toutes ses conséquences.
QUELLE TRANSITION POUR SAUVER LE MALI ?
Comment sortir le pays de la crise sécuritaire, relancer son économie dévastée par la corruption, réconcilier des populations divisées, élaborer un nouveau projet politique cohérent, en se battant pour le repositionnement au plan international ? C’est un vaste chantier pour lequel il faut du patriotisme, de l’abnégation, de l’expérience, mais aussi le temps nécessaire. Les défis sont nombreux et le contexte difficile. Dans l’intérêt du Mali, les éléments des forces de défense et de sécurité réunis au sein du CNSP doivent garder la main en restant vigilants pour qu’aucune faiblesse ne sorte de leur propre rang car, celui qui tient la tête du serpent et s’en dessaisit pour attraper la queue sera mordu. Les forces du changement regroupées au sein du M5-RFP dont le combat a été parachevé par le CNSP resteront en éveil à deux niveaux : contrer en cas de besoin les forces conservatrices et veiller à ce que le CNSP respecte la volonté du peuple malien. Quant aux hommes politiques, la mobilisation et la préparation des futures élections doivent les occuper. De son côté, l’Imam Dicko en tant qu’autorité morale doit conserver une position de repli attentif jusqu’à la fin du processus, car tous ceux qui aspirent au changement aujourd’hui le considèrent comme une valeur morale sûre et les militaires du CNSP en font certainement partie. Ce qui est constant et qu’il faut reconnaître humblement, c’est que IBK n’est pas le seul responsable de la déconfiture actuelle. Alors, que ceux qui ont été de toutes les aventures depuis trente à vingt ans, à moins qu’on ne les sollicite expressément, prennent du recul. Pour une bonne conduite de la transition, il est essentiel de sortir des arrangements de chapelle, des intrigues de salon qui font du mal aux populations et au pays, pour ne voir que le seul intérêt du Mali. Ceux qui organiseront et géreront la transition ne pouvant être candidats à l’élection présidentielle, la voie est libre pour les hommes politiques d’aller à la conquête du pouvoir sur une base garantissant l’équité, la transparence et une compétition loyale.
La transition qui va commencer est une véritable opportunité pour quitter la fange de la corruption et les égouts politiques qui ont mis le pays à genou, à condition de sortir du fétichisme des délais de sa durée, taire les divisions et les revendications sociales, la soutenir fermement afin de jeter les fondements d’une société digne du passé et de l’histoire du Mali. Seule l’armée soutenue par les forces du changement est aujourd’hui capable d’assurer une telle mission en tirant sans complaisance les leçons des errements passés.
Mahamadou Camara
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Source : INFO-MATIN