Lorsque le président Issa Traoré du Syndicat Autonome de la Magistrature déclarait que la condition du magistrat malien est de loin moins reluisante que celle de son homologue des pays voisins, beaucoup d’entre nous ne donnaient pas chère la peau d’une telle déclaration. Motif, les avantages accordés à cette catégorie de la fonction publique malienne font des magistrats les enfants Chouchou de l’administration.
Pourtant, un tour d’horizon des conditions de vie et de travail des magistrats des autres pays voisins, suffit à raidir la figure de plus d’un. La conclusion est sans équivoque : le magistrat du Mali est un gagne petit.
Décryptage d’une crise magistrale
Nous sommes en janvier 2017, précisément le 10, Mohamed Chérif Koné, président du SAM, aujourd’hui contesté, déclarait sur RFI : «les conditions dans lesquelles nous évoluons ne peuvent pas du tout permettre aux magistrats d’être indépendants». Il ajoute : « La précarité, elle est totale. Et si je vous dis que le magistrat du Mali le plus gradé n’a pas le traitement d’un magistrat débutant de la sous-région».
Comme pour enfoncer le clou, un cadre du SAM dit : « Ce n’est un secret pour personne que la justice malienne est dans un état de délabrement total… Aujourd’hui, la justice malienne est fortement décriée. Cependant, nul n’ignore les problèmes auxquels elle est confrontée, tant sur le plan matériel, de la formation, que sur le plan financier. Le magistrat malien est le moins payé de la sous-région, contrairement à cette tendance qui veut faire croire que les magistrats sont les mieux payés ».
Voilà des constats qui suffisent à pousser le magistrat malien à jeter sa robe. Conditions sine quanon du retour aux robes, le magistrat réclame : l’augmentation de son salaire, primes et indemnités en plus de la relecture du statut de la magistrature.
Face à ces doléances, l’Etat fait le dos rond ; les magistrats persistent. Des grève se suivent ; les 02 jours de juillet 2016 et 07jours de janvier 2017sont passé par là.
La situation se durcit en fin juillet et début août 2018. Les magistrats, très remontés contre l’Etat pour non-respect de son engagement, déclenchent une grève illimitée. Le service minimum, s’il en existe, se limitera au traitement des courriers.
Le nerf de la guerre, si on peut l’appeler ainsi est celle – ci : « Les magistrats maliens sont-ils les moins bien payés de la sous-région ? ».
Pour trouver la réponse à cette interrogation, suivez l’analyse d’Africa Check, la 1ère organisation indépendante de fact-checking en Afrique, fondée en 2012. Africa Check vise à promouvoir l’exactitude dans le débat public et l’honnêteté en politique.
Sur quoi le syndicat s’est-il basé ?
Africa Check est entré en contact avec Dramane Diarra, chargé des relations extérieures du SAM. Celui-ci a rappelé que «nous appartenons tous à l’Union internationale des magistrats et nous faisons souvent des échanges d’informations sur les grilles salariales. Vous pouvez en trouver sur internet».
«En parlant de sous-région, nous faisons allusion aux pays voisins du Mali, de la zone UEMOA [Union économique et monétaire ouest-africaine]. Nous n’osons pas nous comparer aux pays anglophones de la CEDEAO [Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest] comme le Nigéria. Dans l’UEMOA, le Mali est souvent comparé au Sénégal où l’indemnité de judicature est à 800 000 F CFA», a-t-il dit.
«C’est inacceptable que l’on perçoive la moitié du salaire du magistrat nigérien débutant qui est de 700 000 F CFA environ. Récemment, il y a eu de fortes augmentations au Burkina Faso. Même en Guinée Conakry, il y a eu des augmentations importantes de salaires. Nous n’osons pas parler de la Côte d’Ivoire où le président Laurent Gbagbo avait doublé les salaires des magistrats en 2008. On peut aussi comparer le Mali à la Guinée-Bissau sur le plan économique pour autoriser une comparaison entre des salaires de magistrats », a expliqué Dramane Diarra.
Il a indiqué qu’ «au Mali, il faut 16 ans de carrière pour toucher 500 000 F CFA à la fin du mois et même le président de la Cour suprême qui a un rang d’institution n’a pas 1 000 000 F CFA par mois».
Il y a trois ans, ce salaire jugé bas avait été évoqué par le président du SAM d’alors, Issa Traoré. «Le magistrat malien est le moins bien payé de la sous-région, contrairement à cette tendance qui veut faire croire que les magistrats sont les mieux payés. A titre d’exemple, au Sénégal, la prime de judicature atteint 800.000 FCFA. Au Niger, le salaire du magistrat débutant atteint 700.000 CFA, un montant que le magistrat malien le plus ancien dans le grade le plus élevé ne gagne pas», déplorait-il.
Combien gagne un magistrat sénégalais ou nigérien ?
L’ex-président de l’Union des magistrats du Sénégal (UMS), Abdoul Abdoul Aziz Seck, s’est désolé de l’idée selon laquelle les magistrats sont les plus choyés des fonctionnaires. Il avait tout de même révélé qu’il touchait personnellement «un salaire net de 834.000 F CFA».
Pour sa part, le Niger a fait passer, le 2 décembre 2013, la rémunération des magistrats de 500.000 F CFA, en début de carrière, à 800.000 F CFA. Celle-ci peut « monter jusqu’à un million de francs, après 25 ans de carrière et plus pour les postes en haut de la hiérarchie», selon le ministre de la Justice, Marou Amadou.
Revalorisations au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et au Togo
Au Burkina Faso voisin, suite à un mouvement d’humeur des magistrats, le président Roch Marc Christian Kaboré a pris, en avril 2016, un décret portant sur la grille indemnitaire et les primes et avantages de toute nature alloués aux magistrats en fonction.
Pour un magistrat basé à Ouagadougou, le cumul des indemnités de fonction, de sujétion, de judicature les plus faibles de la grille consultable en ligne dépasse 575.000 F CFA.
Par ailleurs, en Côte d’Ivoire, en perspective de l’élection présidentielle de 2010, l’ex-président Laurent Gbagbo, à travers un décret signé en février 2008, avait fixé à 250.000F CFA, les indemnités de judicature, de sujétion, de logement et de déplacement, soit un total 1.000 000 F CFA. Ce document est disponible sur le blog ivoir-opinion
Au Togo, suite à une grève, l’Assemblée nationale a adopté, le 31 janvier 2013, la loi qui revalorise le traitement des magistrats. Auparavant, «un magistrat du siège à la Cour suprême partait à la retraite avec moins de 500 000 F CFA, soit 763 euros».
Les Béninois sont-ils mieux lotis?
Africa Check a contacté Michecl Adjaka, le président de l’Union nationale des magistrats du Bénin (UNAMAB), qui a indiqué que, dans son pays, «un magistrat débutant gagne plus de 500 000 F CFA à la fin du mois».
Michel Adjaka a toutefois précisé que «selon les grades et les fonctions, le magistat peut percevoir plus d’un million de francs CFA ».
Conclusion : l’affirmation est correcte
Il ne s’agit pas, ici, de se prononcer sur le bien-fondé de la grève des juges magistrats maliens mais de vérifier un fait mis sur place publique. Le Syndicat autonome des magistrats (SAM) du Mali indique en effet que le magistrat malien doit faire 16 ans de carrière pour percevoir un demi-million de francs CFA à la fin du mois. Il débute sa carrière avec environ 350.000 francs CFA.
Or, selon les données disponibles, dans les autres pays francophones membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), les magistrats ont bénéficié d’une revalorisation de salaires durant ces dernières années. Ceci fait que les différents salaires payés aux juges débutants ont dépassé la barre 500 000 F CFA par mois.
En conséquence, l’affirmation du président du SAM est correcte.
Dernières nouvelles
Face à la persistance et l’endurcissement du dossier, le gouvernement du Mali a pris, le mardi 9 octobre 2018, la décision de réquisitionner les magistrats. Cette décision du gouvernement repose sur la loi n°87-48/ AN-RM du 10 août 1987 portant sur les réquisitions.
Problèmes !
Le lundi 15 octobre 2018, les syndicats des magistrats ont fait une requête contre le décret de réquisition, datant de 1987. Ils considèrent que cette loi prise sous le régime Moussa Traoré est tout simplement désuète. Un retour à la case de départ ?
Rassemblé par Seybou KEITA
Source : Africa check (Assane Diagne, Birame Faye)
Delta News