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Mag’ CULTURE : Tabi , DERNIER BASTION DE LA RÉSISTANCE ANTICOLONIALE

Le 26 décembre 1920, le colonisateur a pu boucler son étreinte sur l’ensemble du Soudan français avec la prise sanglante du village de Tabi, aujourd’hui dans le cercle de Douentza. Le bilan est lourd : 16 villageois sont tués contre quatre tirailleurs (engagés africains dans l’armée coloniale), de nombreux blessés. Le combat a été rude. 


Tabi n’était pas Médine, et le colonel Mangeot encore moins l’égal d’Archinard, mais à l’heure de l’évaluation critique de notre vécu collectif, il importe que l’histoire soit contée. A côté de la version des vainqueurs, il y a celle des vaincus, sourde tonalité encore non partagée, comme pour reprendre l’adage selon lequel « tant que lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse ne peuvent que chanter la gloire des chasseurs ».

« L’affaire de Tabi » a été réglée entre le 18 et le 26 décembre 1920. Le fait en lui-même est suffisamment documenté. Il a généré une abondante littérature consultable dans les écrits des militaires et des administrateurs coloniaux. Cette production est partiale. Elle ne fait cas que de la seule vision des colonisateurs. De ce point de vue, Tabi a été « maté » pour s’être montré « réfractaire à toute autorité » en refusant notamment de « donner » des hommes valides pour le service des tirailleurs et en ne payant plus l’impôt, « le prix de l’âme ». Les notes du colonel Mangeot sont assez explicites. Cet officier a écrit des ouvrages tirés de l’expérience de Tabi. Il a théorisé une stratégie longtemps enseignée dans les institutions militaires. L’entreprise militaire devait faciliter le travail des administrateurs civils. Ce rôle a été confié à Robert Armand, administrateur en chef des Colonies, inspecteur des affaires administratives de la Colonie du Haut-Sénégal-Niger. Il a consigné son aventure dans un journal-roman, « Le roman vrai de Tabi. Journal d’une expédition en pays Dogon. (18 septembre-26 décembre 1920) ». Il nous informe sur la taille de l’armée partie de Tombouctou, sous le commandement direct du colonel Mangeot : 150 hommes, deux canons, et une mitrailleuse.
L’historien malien, Bakary Kamian a travaillé sur le même sujet. Dans son livre « Des tranchées de Verdun à l’église Saint-Bernard : 80000 combattants maliens au secours de la France, 1914-18 et 1939-45 », il se place dans la logique de la magnificence de la résistance héroïque du village de Tabi. Il importe de lire cet ouvrage à la lumière des tracasseries et de l’ingratitude dont les immigrés maliens sont victimes en France. Bakary Kamian nous donne des indications sur l’ampleur de la bataille : Tabi attaqué a résisté et n’a pu être « enlevé » qu’à l’issue d’un siège qui a duré un mois. Il nous décrit aussi le « matériel sophistiqué » qui a été utilisé pour venir à bout de la défense : une artillerie lourde, des grenades, du matériel de montagne…Il fallait une telle armada parce que le village de Tabi était situé sur un col rocheux qui n’était accessible que par un cheminé fortifié.
La version des villageois a été recueillie par Marie-Hélène Cazes qui a travaillé sur la zone, en se focalisant sur le village de Boni. L’auteur a tiré sa motivation dans la compréhension de la spécificité génétique d’une population de Dogon en milieu peul : « Les Dogons de Boni : une approche démo-génétique d’un isolat au Mali ». (Présentation d’un cahier de l’INED, Population, 1993). La question de Tabi est apparue au détour de cette étude à travers la réalisation d’une monographie assez instructive. A la page 29 de son livre, elle écrit : « les informations que nous avons recueillies au village éclairent l’affaire sous un autre jour puisqu’elles rendent responsables du conflit le nommé Hamadoun Seïdou. Celui-ci, « frère maternel du chef de Tabi – qui était alors Abissi Anmori – était son envoyé, auprès des Blancs ». Il subtilisait une partie des impôts versés par les habitants à son profit. Se rendant compte de sa malhonnêteté, on le remplaça par le frère du chef, Sambo Anmori. Furieux Hamadoun alla se plaindre au commandant de Hombori, puis menaça ses compatriotes de détruire le village s’ils ne lui restituaient pas sa fonction. Devant leur refus, il les abandonna et construisit sa case avec quelques-uns de ses adeptes au pied de la colline. Puis faisant pression sur le commandant de Hombori, il obtint que ce dernier donne l’ordre au village de s’installer dans la plaine. Les habitants vinrent « entendre la commission » mais comprirent que Hamadoun envisageait de brûler les cases sur le plateau et remontèrent aussi tôt. Sur une demande du commandant, ils descendirent s’installer en un lieu nommé Zourgou. Le chef du village proposa alors à Hamadoun de laisser les habitants y vivre tout en continuant à manger la nourriture cultivée, en haut, sur la colline.bamada  Hamadoun refusa et les habitants remontèrent sur le plateau à l’exception du chef Abissi et de deux autres hommes Amouinia et Golla…. Des gardes se relayèrent durant un an et convinrent qu’il n’y avait rien à redire sur le village sinon le refus de descendre. Tous les chefs de cantons des environs se suivaient pour les convaincre de se soumettre mais ils ne purent les faire céder. Les mesures furent alors prises par le commandant pour résoudre ce contentieux par la force. Un détachement de Tombouctou (90 tirailleurs, 20 artilleurs, 10 gardes montés, 20 gardes à pieds, deux canons et une mitrailleuse) placé sous la direction du colonel Mangeot arriva sur les lieux et l’attaque du village débuta le 7 octobre 1920. L’ardeur des assiégés à se défendre fut telle qu’il fallut attendre un nouvel approvisionnement en munition pour poursuivre l’attaque. Cet évènement est très révélateur de l’esprit qui animait les dogons et pour lesquels l’attachement à la terre de leurs ancêtres était une valeur primordiale. Aux tentatives de conciliation menées par le colonel français, avant l’attaque, ils répondirent : « Nous ne pouvons pas quitter notre village et tes canons ne peuvent rien contre nous. Tu pourras peut-être nous tuer mais nous ne voulons pas abandonner les lieux où nos pères ont vécu ». Cette version a le bénéfice de la clarté. Elle contredit totalement le colonel Mangeot. Pour les villageois, il n’a jamais été question d’une quelconque révolte contre l’autorité coloniale, au départ. Si révolte, il y a eu, c’est plutôt contre un abus dont ils étaient victimes de la part d’un « auxiliaire », un simple intermédiaire entre eux et le commandement basé à Hombori. Cet intermédiaire sans scrupule s’empiffrait sur le dos des villageois. Et c’est ce qu’ils ont fait savoir en s’opposant au racket permanent. Tabi n’était pas le seul village. Il avait l’appui de Téga et Tupéré, deux villages voisins vivant les mêmes réalités.
Le colonel Mangeot a saisi cette occasion pour régler définitivement le cas de Tabi qui était comme un caillou dans sa godasse. Tabi a toujours été jaloux de sa liberté et de son honneur. Les habitants voulaient surtout rester sur les terres de leurs ancêtres. Voici le crime.
Devant le déséquilibre des forces, le 11 novembre 1920, les villages de Tabi, de Téga et de Tupéré se sont soumis. Et les sanctions ont suivi. Le village de Tabi a été exilé à Hombori, sur le territoire du village de Koykoyré. Cet exil qui devait durer 10 ans s’est prolongé sur 27 ans. Il en fut de même pour les villages complices qui ont été exilés respectivement à Tandara et Kurmi, toujours à proximité de Hombori. En fait, il s’agissait d’une déportation pure et simple.
Mangeot a cru devoir trouver des meneurs de cette résistance inattendue. Il jugea et condamna à la déportation trois villageois à Néma, aujourd’hui en territoire mauritanien.
Voilà pour les faits qui ne sont rien d’autre qu’un abus manifeste. L’abus était d’autant plus injuste qu’en 1947, les victimes de Tabi, de Téga et de Tupéré ont pu rejoindre leurs sites originels, après avoir gagné un procès contre la décision du commandant de Hombori.
Hampâté Ba a stigmatisé les travers coloniaux dans son ouvrage « L’étrange destin de Wangrin ». L’intermédiaire qui a déclenché la barbarie contre Tabi est en tout point de vue assimilable à Wangrin, un être sans scrupule, qui fait tout pour vivre copieusement sur le dos de la communauté en profitant de sa position sociale. C’est une chaîne infernale qui a amplifié la corruption des mœurs en Afrique. Pour soutenir les efforts de la France durant toutes les guerres, il y avait le principe des réquisitions. Un commandant décide que tel village doit « donner » 20 têtes de bœufs. L’ordre est transmis par le canal d’un interprète qui ajoute « son nombre de têtes ». L’ordre parvient au chef de village qui lui aussi ajoute son nombre de têtes. Et finalement au lieu de 20, il faut compter trente ou quarante bœufs. Le commandant va seulement constater qu’il a bien reçu le nombre de têtes demandé ; le reste fait la fortune de tous les intermédiaires. Le village de Tabi s’est dressé contre cette injustice. C’était un combat pour la liberté, un combat dont la France des droits de l’Homme ne voulait pas entendre parler. La prise de Tabi venait achever la conquête coloniale dans notre pays.

Quelques ouvrages de référence :
Manuel à l’usage des troupes opérant au Soudan français et plus particulièrement en zone saharienne, Colonel Mangeot, Bulletin du Comité d’études historiques et scientifiques de l’Afrique occidentale française, 1922
Des tranchées de Verdun à l’église Saint-Bernard : 80000 combattants maliens au secours de la France, 1914-18 et 1939-45, Bakari Kamian, Karthala, 2001
Le roman vrai de Tabi : Journal d’une expédition en pays Dogon (18 septembre – 26 décembre 1920), Robert Arnaud, Amis des Archives d’outre-mer (1 septembre 2016)

Source: L’Essor- Mali

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