Comment faire des omelettes sans casser des œufs ?
Respect des droits de l’Homme en temps de guerre contre le terrorisme. Telle est l’équation qui se pose aux armées des pays du G5 Sahel, accusées de violations répétées des droits de l’Homme dans la lutte contre le terrorisme dans ladite région. A preuve, le dernier rapport de Human Rights Watch accuse l’armée burkinabè d’exécutions extrajudiciaires de 180 personnes dans le Nord du pays. La réaction des Etats-Unis ne s’est pas fait attendre ; eux qui exige « une action rapide » des autorités, menaçant de suspendre leurs soutien militaire au Burkina Faso. Rappelons que la problématique du respect des droits humains, était à l’ordre du jour du sommet de Nouakchott qui a réuni, le 30 juin 2020, dans la capitale mauritanienne, les chefs d’Etat des cinq pays du Sahel que sont le Mali, le Niger, le Burkina Faso, la Mauritanie et le Tchad, et leur homologue français, Emmanuel Macron, pour se pencher sur l’évolution de la situation sécuritaire dans la sous-région, à partir de la feuille de route qu’ils s’étaient fixée au sommet de Pau en France. Si, côté français, la force Barkhane semble tirer son épingle du jeu au point de donner des motifs de satisfaction, du côté de ses alliés africains, notamment les armées du Mali, du Burkina Faso et du Niger particulièrement mises à rude épreuve, la situation, en matière d’atteinte aux droits de l’Homme, semble pouvoir se résumer en cette question fondamentale : comment faire des omelettes sans casser des œufs ?
La capacité de distinguer le citoyen loyal du terroriste camouflé, reste un défi permanent pour nos armées
L’équation est d’autant plus difficile à résoudre pour ces armées formées, à la base, à la guerre classique, qu’ils se retrouvent, dans la pratique, en train de mener une guerre asymétrique où on leur demande de respecter des règles qui ne semblent pas s’imposer à leurs adversaires. C’est dire si dans cette guerre d’un autre genre, c’est sur le terrain que nos forces armées font leurs armes, au propre comme au figuré. Et si déjà, en temps normal, il est difficile de mener une guerre propre, comment ne pas se retrouver dans la situation des armées sahéliennes, à être régulièrement pointées du doigt par les défenseurs des droits humains, dans cette sale guerre contre un ennemi invisible qui sait non seulement faire preuve de cruauté aveugle, mais qui a aussi prouvé sur le terrain qu’il a plus d’un tour perfide dans son turban ? C’est dire si on peut produire des rapports accablants contre nos Forces de défense et de sécurité. Mais il faut reconnaître, sans vouloir justifier les bavures et autres manquements graves à « l’éthique » de la guerre, qu’elles mènent un combat difficile. Un combat rendu d’autant plus complexe que dans le cas d’espèce où l’efficacité dans l’action est souvent tributaire de la discrétion, la Grande muette ne peut et n’a pas toujours l’occasion de s’expliquer publiquement au risque de laisser fuiter certaines informations sensibles ou capitales qui peuvent être compromettantes pour la réussite de sa mission. Autant dire que dans leur mission de sécurisation, la capacité de distinguer le citoyen loyal du terroriste camouflé, pour éviter les bavures et autres atteintes aux droits de l’homme, reste un défi permanent pour nos armées. Car, les terroristes ont plus d’un tour dans leur sac et font parfois tellement preuve de subtilités qu’il peut être une gageure de chercher à connaître le niveau d’infiltration des populations civiles et pourquoi pas, des Forces de défense et de sécurité.
Il ne faudrait pas non plus donner le sentiment que dans cette guerre asymétrique, les soldats n’ont que des devoirs et pas des droits
Le tout est donc de ne pas tomber dans le piège des terroristes et surtout, d’éviter de faucher des vies innocentes. C’est pourquoi, il y a lieu de prendre ces interpellations itératives des défenseurs des droits humains, comme un appel à plus de professionnalisme de nos armées. Car, s’il est vrai qu’en la matière, il n’y a pas de risque zéro, cela ne doit pas être l’occasion, pour des soldats, de se rendre coupables d’actes délibérés de tortures ou autres traitements inhumains voire d’exécutions sommaires contre des populations innocentes. Cela est condamnable avec la dernière énergie, en dehors du fait que cela peut même être contreproductif dans la lutte contre l’hydre terroriste, qui requiert aussi la confiance et surtout la collaboration des populations. Mais il ne faudrait pas non plus donner le sentiment que dans cette guerre asymétrique, les soldats n’ont que des devoirs et pas des droits. Car, quand ils sont souvent massacrés par les terroristes dans leurs camps ou dans des embuscades lâches et barbares, c’est à peine si l’on entend des voix s’élever dans certains groupes pour demander justice ou l’ouverture d’une quelconque enquête. Or, avant d’être un combattant sur la ligne de front, le soldat est un Homme qui a aussi des droits.
Editions Le Pays–