Après l’ignominieuse attaque contre le poste de gendarmerie de Sokolo, l’angoissante question qui revient sur toutes les lèvres est : à quand la fin du bain de sang… ? «Comment s’en sortir ?» Avec 40 morts, 14 blessés (sans prise en compte des disparus) et d’importantes quantités de matériel entre les mains des terroristes, la question sécuritaire inquiète suscite débat et controverse tout comme l’épineuse équation scolaire. Si le soutien aux forces armées et de sécurité semble faire consensus, l’opinion nationale est largement divisée quant au management de la guerre contre les terroristes par le régime très fortement contesté sur son bras de fer avec les enseignants. Sur ces épineuses questions, le régime est-il défendable ou blâmable ?
Ce dimanche 26 janvier 2020, le poste des forces de défense et de sécurité du Mali à Sokolo (Gendarmerie) a été attaqué aux environs de 6 heures du matin par des djihadistes venus à motos. Le bilan officiel communiqué par la Direction de l’information et des relations publiques de l’Armée (DIRPA) est de 20 morts et 5 blessés. C’est le plus lourd bilan humain enregistré depuis Indelimane, en tout cas le plus lourd depuis le début de cette année 2020.
Dans un casting devenu presque coutumier, le Gouvernement a fait un laconique communiqué pour condamner l’attaque, présenter ses condoléances et renouveler son soutien à l’Armée. Au même moment, le Chef suprême des armées réunit une session extraordinaire du Conseil supérieur de défense et de sécurité. L’Armée rend hommage aux victimes tombées sur le champ de l’honneur, on enterre les morts… En attendant la prochaine attaque.
Aucun hommage national, aucun deuil national pour ces « dignes fils» du pays qui ailleurs auraient été célébrés en héros en hommage à leur sacrifice pour la Patrie. Qui ne se souvient de l’hommage aux 13 soldats français morts dans notre pays auquel notre Président a pris part. Ici, 20 soldats meurent presque dans l’anonymat de la République… presque ingrate face à leur sacrifice.
Au même moment, la classe politique qui a la tête dans les magouilles législatives se retrouve en conclave dans son grin (Cadre de concertation des partis politiques) pour s’accorder sur les modalités de la distribution des sièges pour la prochaine législature. Ceux qui n’y sont pas se retrouvent à vociférer et baver à la Maison de la presse sur la « gestion catastrophique du régime ». Et le régime dans tout ça ?
Sourd, muet et insensible aux aspirations légitimes et aux angoisses du peuple, le régime est abonné absent au moment où le peuple dans la douleur et l’angoisse attend de sa part plus de compassion, d’attention et d’écoute ! Les Maliens ne peuvent comprendre qu’au lendemain du massacre de 20 soldats de l’armée malienne que le Premier ministre, Boubou CISSE, qui s’était promis à sa nomination d’être «un serviteur de l’État au service du peuple ; à l’écoute de ce peuple-là et toujours animé d’un profond désir qui serait celui de pouvoir répondre aux attentes et aux aspirations de ce peuple-là », ne puisse pas aménager son agenda pour se rendre à Sokolo comme il l’avait fait quand il y a eu l’attaque de Guiré ou de Ogossagou.
En choisissant de se rendre à Gao pour « une série de visites de différents chantiers entrepris par l’État en termes d’infrastructures et d’amélioration des conditions de vie de nos citoyens comme la relance de la construction de la route Sévaré-Gao, l’inauguration du système d’adduction d’eau, la visite du chantier de la salle de spectacle, de divers travaux urbains et de l’aérogare de Gao dont les travaux sont en cours de démarrage », ainsi que pour une rencontre avec les forces vives, plutôt qu’à Sokolo, le Premier ministre Boubou CISSE ne donne-t-il pas raison à ceux qui pensent, comme Tiébilé DRAME, hier dans l’opposition, que le régime est enfermé dans l’autisme ?
Aux yeux de beaucoup de Maliens, y compris des partisans du régime, c’est aussi un très mauvais casting de la part de leur Premier ministre que d’allumer un brasier au front scolaire, à travers son initiative de recruter des volontaires pour remplacer des enseignants, au moment où l’insécurité ravage le pays y compris à Bamako où seuil d’alerte est largement dépassé. Si à la décharge du locataire de la Primature, on peut dire qu’il ne s’est jamais défini comme un messie et a toujours promis de «répondre aux attentes et aux aspirations de ce peuple-là. Et cela dans la limite de nos possibilités et surtout et toujours dans un langage de vérité », on peut clairement lire sa résolution quant à la gestion de la crise avec les enseignants.
En lançant son ultimatum de 15 jours, lors de l’ouverture de l’atelier sur les grandes orientations politiques sur la mise en œuvre des résolutions et recommandations du Dialogue National Inclusif, tenu au CICB ce 18 janvier, le Premier ministre avait pris le risque de radicaliser la position enseignante et de fermer la porte à toute négociation éventuelle. En élaguant ce délai et en le ramenant à 10 jours, avec le lancement comme annoncé du recrutement de 15.300 volontaires pour 6 mois, à travers le Centre national de promotion de volontariat du Mali (CNPV), Boubou CISSE, au-delà de la fermeté qu’il faut saluer, froisse beaucoup de certitudes et fait chanceler autant de convictions quant à sa clairvoyance et à sa volonté de parvenir à un compromis avec les grévistes. Si pour les enseignants le Rubicon est franchi, pour ceux qui suivent le dossier, il pourrait s’agir d’un coup de poker qui malheureusement pourrait aussi constituer un point de non-retour.
La question est : est-ce véritablement la solution ? Comment, en effet, le Gouvernement compte-t-il remplacer 62.000 par 15.300 et pour quelle qualité d’enseignement ? Le cumul des jours de grèves et le temps de recruter et de redéployer ces engagés volontaires à leurs postes, l’année scolaire prendra certainement la couleur que nul parent d’élèves ne souhaite. Faut-il payer ce prix pour satisfaire l’ambition de puissance et le désir de fermeté d’un Premier ministre quoiqu’assis à la confiance aveugle du Président IBK et adossé au soutien total et sans réserve de la Majorité présidentielle ?
Le Dr Boubou CISSE qui n’a pas que des ennemis au Mali, y compris parmi les enseignants, ne doit à aucun prix se laisser bercer par les chants des sirènes des situationnistes. Le déboulonnage de son prédécesseur doit lui servir de rétroviseur pour comprendre qu’à ce niveau de destin national, le discours pèse autant que les actes.
William Shakespeare a dit : ‘’en temps de paix, rien ne sied mieux que le calme, la modestie, l’humilité, mais que vienne la guerre alors prends exemple sur le tigre’’. Mais la guerre que l’État mène ou devrait mener, ce n’est point contre les pauvres, mais dignes ‘’conducteurs de craie’’, mais bien contre les djihadistes et tous ceux qui attentent à la souveraineté de notre pays. Les crocs du Tigre c’est pour tous les voleurs et les magouilleurs qui ont mis à genoux notre pays en vidant honteusement les caisses de l’État, mais pas pour les inoffensifs maîtres d’école. Leur seul pouvoir, c’est : la craie et le papier (« lacraie mougou ni papier »).
Nul ne saurait valablement reprocher au Dr Boubou CISSE là où le destin l’a conduit de vouloir et de prétendre à la fermeté. En effet, et surtout dans un contexte de crise et de chienlit tel que vit notre pays, «pour gouverner, il faut faire preuve de fermeté et d’autorité », car « ce n’est pas la popularité qui permet à un gouvernement de gouverner, c’est sa fermeté ». Mais, pour un Premier ministre de crise, la fermeté c’est quoi ? Elle est, selon François-Marie Arouet dit Voltaire ‘’l’exercice du courage de l’esprit : elle suppose une résolution éclairée’’. C’est en somme l’écoute de l’avis contraire.
L’homme d’État à la culture raffinée, le Dr Boubou CISSE devrait, pas plus que quiconque, savoir que le ‘’destin est joueur. Il nous met souvent dans la situation d’autrui, pour nous apprendre l’humilité’’. Or, l’humilité n’est pas humiliation. Au contraire, elle est l’antichambre et la mère de toutes les vertus. Elle n’est honte que pour celui qui a le dessein d’humilier. Chez nous, au Mali, on dit : c’est celui qui a le pouvoir, le nanti, le Chef qu’on supplie. Boubou ka sabali ! Sabali te dion ya yé ! Mogo bissé ko la, i be i to to !
LA REDACTION
Source : Info-Matin