LAGOS – L’un des plus grands écrivains africains, le Nigérian Chinua Achebe, auteur du roman culte “Le monde s’effondre”, une critique du colonialisme qui s’est vendue à plus de 10 millions d’exemplaires, est décédé à l’âge de 82 ans, a annoncé sa famille vendredi.
“L’une des plus grandes voix de la littérature de son temps, il fut aussi un mari, père, oncle et grand-père aimé, dont la sagesse et le courage ont inspiré tout ceux qui l’ont connu“, a déclaré sa famille dans un communiqué. “Il est mort d’une brève maladie“. Selon les médias nigérians, l’écrivain est mort aux Etats-Unis dans un hôpital de Boston. Il se déplaçait en chaise roulante depuis un accident de la route en 1990. Selon un communiqué de la Fondation Mandela en Afrique du Sud, Chinua Achebe est décédé jeudi. “En sa compagnie, les murs de la prison tombaient“, a commenté à son sujet Nelson Mandela, rappelle la Fondation. Le président sud-africain Jacob Zuma a salué un “colosse de la littérature africaine“. L’écrivaine sud-africaine et Prix Nobel de littérature, Nadine Gordimer s’est déclaré “choquée” par sa mort. “Ce n’était pas seulement un grand écrivain, c’était un ami proche. Je suis choqué par son départ“, a-t-elle dit à l’AFP. “C’était un auteur très lu et un humaniste (…) nous correspondions, mais nous ne nous sommes pas vus depuis quelques années“, a ajouté Gordimer, âgée de 89 ans. “Le monde a perdu l’un de ses meilleurs écrivains et l’Afrique a perdu un diamant littéraire“, a déclaré Mike Udah, porte-parole de l’Etat d’Anambra, où Achebe est né. Chinua Achebe avait publié en 1958 son premier roman, “Le monde s’effondre” (“Things fall apart“), une oeuvre devenue culte et imprégnée de la culture Igbo, son groupe ethnique, qui dénonçait la colonisation britannique au Nigeria. L’écrivain a souvent critiqué les dirigeants de son pays et dénoncé le comportement de la classe politique, sa corruption, comme dans son pamphlet intitulé en anglais “The trouble with Nigeria” (“Le problème avec le Nigeria“), publié en 1984. “Ses interventions sincères, honnêtes et courageuses dans les affaires nationales manqueront grandement“, a déclaré le président nigérian Goodluck Jonathan. L’auteur, professeur à la Brown University de Rhode Island (Etats-Unis), est très respecté au Nigeria pour son oeuvre littéraire mais aussi pour ses prises de position. Il y a deux ans, il avait refusé pour la deuxième fois d’être décoré par les autorités du Nigeria, estimant que son pays se portait trop mal. C’était la seconde fois qu’il refusait d’être fait “Commandant de la République Fédérale“, l’une des plus hautes distinctions au Nigeria. Il critiquait la mauvaise gouvernance au Nigeria, et soutenait fortement sa région natale du Biafra, qui a déclaré son indépendance en 1967, un prélude à une féroce guerre civile qui entraina la mort d’un million de personnes et ne se termina qu’en 1970. Ce conflit fut le sujet de la publication longtemps attendue de ses mémoires, finalement publiées sous le titre, “There Was A Country: A Personal History of Biafra.” Mais, même s’il fut largement reconnu dans le monde entier, Achebe n’a jamais été lauréat du Prix Nobel de littérature, contrairement à son compatriote Wole Soyinka, premier Africain à être récompensé par ce prix en 1986. Dans un entretien à The Paris Review, Achebe expliquait comment au fur et à mesure qu’il lisait, il avait découvert à quel point les livres présentaient les Africains comme des sauvages. “Des auteurs comme l’Américain Ernest Hemingway ont représenté la population noire africaine comme des sauvages et sont ainsi à l’origine d’un immonde blasphème, disait Achebe. C’est pourquoi j’ai décidé de tenter d’écrire des livres où les personnages étaient des Africains comme je les connais“. Il citait souvent ce proverbe: “Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, l’histoire de la chasse glorifiera toujours le chasseur“. Après des études à l’Université d’Ibadan (sud-ouest du Nigeria), Achebe a travaillé à la NBC (Nigerian Broadcasting Corporation), avant de publier en 1958 son premier roman “Things Fall Apart“, premier ouvrage à présenter le point de vue des Africains et non plus celui des colons blancs. Selon son éditeur, il vendra plus de 10 millions d’exemplaires dans 50 différentes langues. Quatre autres romans suivront. Il écrira souvent sur sa frustration face à la corruption qui ravage le pays du continent le plus peuplé mais qui, malgré la manne pétrolière, laisse la plupart de ses 160 millions d’habitants vivre avec moins de deux dollars par jour. Sitôt sa mort connue, un flot de tweets s’est déversé dans le pays. Tolu Ogunlesi, jeune poète et journaliste a déclaré que Achebe “a écrit et fait de grandes choses. L’une des plus importantes fut de refuser par deux fois les tristes “distinctions” nationales“. Il a aussi inspiré beaucoup d’écrivains dont Chimamanda Ngozi Adichie, 35 ans et elle aussi une Igbo, acclamée pour son roman “Half of a Yellow Sun” (“L’autre moitié du soleil“) sur la guerre au Biafra. “Son travail d’écrivain a forgé le mien“. Ken Saro Wiwa Junior, dont le père fut un célèbre militant environnemental actif exécuté par le régime du dictateur Sani Abacha en 1995, a aussi salué la mémoire d’Achebe : “Avoir quelqu’un qui a lutté pour la justice fut très, très important“. La première phrase de l’un des essais d’Achebe publié en 1983, “The Trouble With Nigeria“, est encore souvent citée dans son pays: “Le problème avec le Nigeria est simple, c’est carrément un défaut de gouvernance“. Par