Le 31 octobre 2023, pour les casques bleus de la MINUSMA, débutait à Kidal, dans le nord du Mali, une mission ultime, exceptionnelle à tous égards.
Ce jour-là, le dernier convoi de la MINUSMA dans la région prît le départ depuis son camp de Kidal, pour une odyssée d’un peu plus de 350 kilomètres en direction de Gao. Selon le Général de division Mamadou Gaye, Commandant de la Force de la MINUSMA, « chaque kilomètre parcouru était un succès, chaque engin explosif improvisé neutralisé était une victoire, chaque vie préservée était une source de profond soulagement. Nous savions que c’était un voyage à haut risque, mais nous avions un devoir envers ces casques bleus qui ont servi avec distinction et dans des conditions on ne peut plus difficiles dans le septentrion malien. Ils devaient tous rentrer chez eux sains et saufs ».
Dernière mission à hauts risques
Le convoi était composé de 848 soldats de la paix originaires du Tchad, de la Guinée, de l’Égypte, du Népal, du Cambodge et du Bangladesh. Il comprenait 143 véhicules. Ce qui le rendait encore plus inhabituel, c’est qu’il ne bénéficiait pas d’une couverture aérienne pour atténuer la menace terroriste, hélas omniprésente dans ces zones hostiles. De plus, la majorité des véhicules n’étaient pas blindés, exposant davantage leurs passagers à un risque constant. « Nous n’étions pas seulement des soldats, mais aussi des frères et des sœurs sur cette route de tous les dangers. L’esprit de camaraderie nous a permis de surmonter l’adversité », a témoigné un des casques bleus tchadien du convoi.
Mais pourquoi la MINUSMA a-t-elle pris le risque de lancer une telle opération ? La décision est justifiée par la rapide détérioration de la situation sécuritaire et la montée concomitante des tensions au niveau local, mettant chaque jour davantage en danger la vie des casques bleus, dans un contexte marqué par la réduction très significative des capacités de la Mission. Celle-ci, en vérité, n’était plus en mesure de protéger ses personnels et ses installations. L’opération d’extraction des personnels de la Mission de Kidal a été rendue encore plus compliquée par l’absence d’autorisations suffisantes pour effectuer les rotations aériennes requises pour transporter casques bleus et équipements sensibles. De fait, près de 400 casques bleus qui auraient dû être ramenés à Gao par avion ont été obligés de prendre la route. À cela s’est ajouté le blocage, à Gao, depuis fin septembre, des convois logistiques qui devaient rallier la région de Kidal et rapatrier les équipements lourds appartenant aux pays contributeurs de troupes et de personnels de police ainsi qu’aux Nations unies.
La décision prise était assurément le moindre mal. Il fallait faire un choix entre partir, pour préserver la vie des casques bleus, ou rester sur place, avec la certitude de continuer à les exposer à une situation sécuritaire devenue véritablement intenable. Un autre facteur a également pesé dans la balance : le risque, réel, de ne plus pouvoir répondre à leurs besoins de base, du fait de la réduction drastique des réserves alimentaires et des difficultés de ravitaillement de Kidal.
Face à ce dilemme cornélien, la MINUSMA a bien entendu donné priorité à la préservation de la vie de ses casques bleus. « La destruction de l’armement et des munitions était une décision difficile, quoique conforme à la règlementation des Nations unies, mais elle a contribué à sauver des vies en évitant qu’ils ne tombent en de mauvaises mains. Notre mission était de protéger, et nous l’avons fait », a souligné un casque bleu.
Lorsque le dernier convoi a quitté la base de Kidal le matin du 31 octobre, les casques bleus ont optimisé tous les espaces disponibles pour embarquer et faire partir tous les frères et sœurs d’armes. Aussi, du fait des limitations des capacités d’emport des moyens roulants, le convoi ne pouvait pas faire le plein de rations, d’eau et de carburant. « Parfois, la seule chose qui nous motivait était l’espoir de rentrer chez nous sains et saufs. C’était un test de volonté autant que de courage », a ajouté un autre soldat, du contingent guinéen.
Détermination des casques bleus face au danger des mines
Les jours où le convoi n’a pas rencontré de mines ont été rares. La première explosion s’est produite le jour même du départ, alors que le convoi n’était qu’à 25 kilomètres au sud-ouest de Kidal. En raison de sa longueur, d’environ 9 km, de sa taille, ainsi que de contraintes de mobilité terrestre (pistes sablonneuses), le convoi ne pouvait espérer parcourir plus d’une cinquantaine de kilomètres par jour. Heureusement, aucun casque bleu n’a été blessé dans ce premier incident, mais le véhicule blindé de transport de troupes affecté fut complètement endommagé, obligeant le convoi à l’abandonner sur place.
Le 1er novembre, un autre véhicule blindé de transport de troupes a été touché par l’explosion d’un engin explosif improvisé à environ 52 kilomètres au sud-ouest de Kidal. « Chaque explosion de mine était un rappel brutal de la réalité et de la volatilité de notre environnement opérationnel. Nous savions que le danger était omniprésent, mais nous avons continué », a témoigné Mahamat, soldat du contingent tchadien. Huit casques bleus ont été blessés, dont deux grièvement. Tous furent évacués par hélicoptère vers l’hôpital militaire de la MINUSMA à Gao.
Le 3 novembre, un troisième véhicule blindé de transport de troupes a été touché par un autre engin explosif improvisé alors que le convoi se trouvait à 88 kilomètres au sud-ouest de Kidal, dans la zone d’Anéfis. « Chaque pas dans ce désert devait être exécuté avec une extrême prudence, chaque poussière soulevée cachait peut-être une menace. Les mines étaient notre ombre constante, mais nous avancions malgré tout, guidés par notre détermination à accomplir avec succès notre dernière mission en terre malienne », a souligné un casque bleu du contingent guinéen. Les 7 casques bleus blessés lors de cet incident furent évacués, et le véhicule endommagé laissé sur place. À ce stade, le matériel montrait des signes évidents de fatigue, tout comme les casques bleus au demeurant, qui souffraient d’un manque d’eau potable et de nourriture.
C’est dans ce contexte que le convoi a été réapprovisionné le 6 novembre en eau, en nourriture et en pièces de rechange pour les véhicules, grâce à deux vols d’hélicoptères de la MINUSMA en provenance de Gao. L’opération est délicate, car le ravitaillement par air nécessitait la sécurisation préalable d’une zone de posée pour permettre l’atterrissage des hélicoptères et la livraison des produits vitaux qu’ils transportaient.
Survivre et réussir malgré tous les obstacles
Il aura fallu huit jours de voyage périlleux à travers le désert pour atteindre Gao. Les casques bleus ont dû surmonter des épreuves de toutes sortes, y compris des conditions météorologiques défavorables, en plus d’avoir dû, à chaque fois que requis, faciliter le déroulement d’évacuations sanitaires complexes du fait de l’éloignement des points d’incidents. Le convoi a été victime de six explosions de mines au total, blessant en tout 37 personnels en uniforme et endommageant sept véhicules. Fort heureusement, la très grande majorité des soldats blessés sont depuis sortis de l’hôpital, les autres étant dans un état stable hors de tout danger.
À leur arrivée à Gao, les casques bleus étaient plus qu’exténués, mais ils portaient en eux la fierté légitime d’avoir accompli leur mission avec bravoure dans des conditions extrêmement difficiles.
Source : Minusma
Source : Le Républicain