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Littérature : chronique d’un entre-deux

« Les désillusions de Bouba » de Bréhima Touré –

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Bréhima Touré raconte une période qui balançait entre un présent insatisfaisant et un avenir incertain

Le défaut le plus fréquemment rencontré chez les auteurs africains ? Une prédilection pour la démonstration. Dans leurs romans, au début est la thèse. Et le récit vient surtout à assurer la plausibilité de celles-ci. Conséquence : une accumulation de personnages stéréotypés, une profusion de situations rendues artificielle à force de se vouloir symboliques, un alignement de dialogues construits comme des plaidoyers ou des réquisitoires et une préférence pour les conclusions lourdement édifiantes. Le travers de la dénonciation à outrance est aussi vieux que le soleil des indépendances et il a souvent plombé des œuvres qui auraient mérité un meilleur sort.

On ne peut donc que regretter les dégâts causés par ce manichéisme dans une création littéraire africaine francophone pugnace. Les écrivains procureurs devraient donc se rappeler que les bonnes intentions ne font pas forcément les bons romans. Certes, l’Afrique telle que nous la vivons aujourd’hui n’est certainement pas celle des vœux, ni même celle des attentes de la plupart de ses fils. Mais ceux-ci ne la changeront pas en cantonnant leurs intelligences dans la lamentation ou dans l’imprécation. La vraie force de ce témoin engagé que se veut l’écrivain africain est d’avoir la lucidité de dépasser le constat sommaire pour restituer la complexité des contradictions qui parcourent de nombreux pays du continent. C’est à cet exercice que s’est plié Bréhima Touré dans son deuxième roman «  Les désillusions de Bouba ».

Le titre est assez trompeur. Car il s’agit ici moins du parcours initiatique d’un jeune étudiant désargenté que de la chronique d’un entre-deux. Un entre-deux qui prévalait il y a encore peu lorsqu’un pays se dirigeait sans le savoir vers la fin brutale d’un cycle ; lorsque cohabitaient un présent insatisfaisant et un avenir incertain ; lorsque chez de très nombreuses personnes, la stratégie de survie avait été érigée en mode d’existence ; et lorsque le culte de la vérité du jour tenait, hélas, lieu de ligne de conduite. Se mouvant dans cette atmosphère très particulière, les principaux personnages de Bréhima Touré cultivent tous une sorte de dualité. Bouba, l’étudiant, sait se montrer cinglant dans la critique des anomalies sociales surtout après les événements de mars 2012. Mais lui-même ne s’est pas privé de manipuler ses camarades pour assurer son ascension dans l’association estudiantine et n’était pas loin de basculer dans les délices de la vie facile que lui avait fait entrevoir la belle Titi.

L’ART DES ARRANGEMENTS. Cette dernière, à qui revient le rôle de la jeune femme fatale dans le récit, n’est pas la froide manipulatrice que l’on aurait attendue. Plus rusée qu’intelligente, plus opportuniste que prévoyante, elle aligne ses coups l’un après l’autre comme l’aurait fait un piètre joueur d’échecs, uniquement préoccupé à prendre les pièces que lui tend l’adversaire. Pour avoir présumé de son influence et de sa maitrise sur les événements, elle se retrouve à deux reprises fort démunie lorsque le vent tourne en sa défaveur.

Le personnage certainement le plus ambigu de l’intrigue est l’inspecteur Nango. Ce tireur prudent de ficelles, est périodiquement habité d’envies de secouer le cocotier de l’impunité et de faire chuter les intouchables de l’heure. Mais, comme bien d’autres, il bascule sans état d’âme dans le côté obscur de l’autorité lorsque les événements le font entrer dans le camp des vainqueurs.

« Les désillusions de Bouba » sont aussi la chronique du « vivre à Bamako », ville où domine l’art des arrangements, petits et grands et où on esquive les problèmes quand la solution de ceux-ci s’avère trop compliquée à appliquer. Bréhima Touré a l’œil pour pointer ce type de situations, et c’est là l’un des mérites les intéressants de son roman.

Un regret pour terminer. L’auteur a fait délibérément court sur un sujet qui aurait mérité facilement une bonne centaine de pages supplémentaires. La matière pour cela a été compressée dans les dernières pages du roman et s’est résumé en un rapide survol de l’après mars 2012. Mais qui pourrait reprocher à l’auteur de s’être restreint lorsqu’on sait l’interminable courses d’obstacles que représente la publication d’un roman dans notre pays ? C’est peut-être le souvenir des obstacles difficilement franchis qui retenu Bréhima Touré d’ajouter après la dernière ligne de son roman la mention « à suivre ».

G. DRABO

Source: Essor

 

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