En 1941, plus de cinq cents disciples de Cheickh Hamahoullah ont été condamnés à des peines d’internement par le tribunal de deuxième degré de Nioro, pour « insurrection contre l’autorité de la France » et « troubles politiques graves ou manœuvres susceptibles de compromettre la sécurité publique ». Hamahoullah, lui-même, après un séjour en Algérie va être embastillé en Guyane avant son transfert à Montluçon. Il y est mort en janvier 1943. Ses disciples ont été internés principalement à Bourem et Ansongo, pour un séjour d’une durée de trois à dix ans, par un arrêté du Haut-commissaire Pierre Boisson, le « Pétain » des tropiques. La République pouvait toujours abuser de la liberté des indigènes. Retour sur les péripéties d’une négation systématique des droits de l’homme, à travers une série de publications sur la réalité des « camps pénaux de travail » dans notre pays.
À Ansongo, pour travailler sur ce qu’a été le « Camp pénal », il faut bien se raviser, car pour tout le monde, il s’agit du « Camp pinari ». Le « Camp pinari » en fait est un néologisme fondé sur un barbarisme qui, lui-même, remonte à la langue bambara, la langue majoritairement parlée par les gardes qui faisaient marcher la prison. Eux, dans leur français de tirailleurs, disaient « Camp pinali » à la place de « Camp pénal ». La population, elle, a entendu « Camp pinari » ! Elle n’avait pas tort dans le fond car dans le pays beaucoup de camps ont pris les noms des officiers qui les ont installés, comme celui du chef de bataillon d’artillerie de marine Louis Digue, dont plusieurs édifices portent le nom, à Bamako, après la construction des infrastructures de Koulouba.
Près de quatre-vingt ans après les faits, la mémoire s’étiole dans tous les sens. L’administration coloniale, collabo de Vichy, n’a pas laissé beaucoup de documents. Les victimes n’ont pas écrit, contribuant à refouler, sans doute pour contenir, le douloureux souvenir. Des universitaires africains de la région concernée ont travaillé sur la personne de Cheickh Hamahoullah. On peut citer Alioune Traoré, de la Mauritanie, dans « Cheikh Hamahoullah, homme de foi et résistant » (Paris Maisonneuve et Larose 1983 278p).
Cet ouvrage est issu de sa thèse de doctorat. Alioune Traoré peut être considéré comme un « spécialiste » de Cheickh Hamahoullah au vu de sa production. Séïdina Oumar Dicko a écrit « Hamallah, le protégé de Dieu » (Jamana 1999 et Albustane 2002). Cet ouvrage a également été réalisé à partir d’un mémoire de maîtrise à l’école normale supérieure de Bamako et d’un Diplôme d’études Approfondies « : mémoire d’une figure de la Tijaniyya » (Aix- en -Provence 1994). Hamadou Boly a soutenu en 2013, à l’unversité de Strasbourg, sa thèse de doctorat sur « Le soufisme au Mali du XIXème siècle à nos jours ; religion, politique et société ». Cette thèse a été publiée sous le même titre chez « Omniscriptum Gmbh & Company Kg » en 2014.
Il y a aussi Boukary Savadogo qui a soutenu à Aix-Marseille, en 1998, sa thèse de doctorat intitulée « Confrérie et pouvoir, la Tijâniyya hamawiyya en Afrique de l’Ouest (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Mali, Niger) : 1909-1965 ». Tous ces ouvrages traitent de la biographie de Chérif Hamaoullah, de sa résistance pacifique par rapport à l’arbitraire colonial, de ses différentes déportations, les circonstances de sa mort et la portée de sa voie dans la grande famille de la tidjaniya en Afrique. Ils insistent beaucoup sur la particularité de cette voie qui trouve sa concrétisation dans la façon unique par laquelle Cheickh Hamaoullah a entrepris de répéter la « perle de la perfection », « onze jawaharatu-l-kamali », onze fois au lieu de douze avant lui.
Pour ce qui est de la vie même des disciples de Hamahoullah internés à l’intérieur du Mali, il n’y a quasiment peu ou pas du tout de production scientifique. Apparemment, le sujet n’a pas retenu l’attention des étudiants en histoire. Les archives administratives locales n’existent plus depuis que le Septentrion a été pris d’assaut par les barbares politico-islamistes en 2012. Les monographies locales ne parlent presque pas des camps de concentration. C’est donc logique que la jeunesse d’aujourd’hui ne sache rien des conditions d’installation et de fonctionnement de ce mouroir à ciel ouvert qu’était le sinistre bagne.
Nous n’avons pas encore mené des investigations du côté de Nioro, pour voir ce que la mémoire locale retient de cet épisode de notre histoire collective. Seulement, nous avons appris et constaté qu’à Ansongo, dans les années 1960-70, une génération de « gens de Nioro » est venue sur les traces de leurs ancêtres ; « voir là où leurs parents sont morts ». Certains ont résidé dans la ville, ont fondé des foyers et surtout mené des affaires commerciales florissantes. Ce courant de communication existe toujours.
DES CAMPS DE MORT À CIEL OUVERT
Ces camps étaient des prisons de haute sécurité. Ils tiraient leur base juridique d’une loi coloniale, la loi sur la relégation qui remonte à 1885, loi qui n’a été abolie en France même qu’en 1970. Vichy a ainsi dirigé sur l’Afrique de l’Ouest des « individus indésirables » composés de prisonniers de guerre des forces alliées, des navigateurs grecs, hollandais, danois et britanniques. Les villes de Tombouctou et Koulikoro ont particulièrement été sollicitées à cette époque, à côté d’autres villes comme Sébikotane au Sénégal, Conakry, Kindia et Kankan en Guinée.
Au-delà de leur fondement juridique, ces camps d’une grande monstruosité, ont aussi leur histoire en ce qui concerne le motif de leur implantation sur les territoires colonisés, notamment les confins mauritaniens, les parties septentrionales du Niger et du Mali. Ces trois pays étaient des territoires militaires où la présence de l’état ne se manifestait qu’à travers l’armée pour des impératifs sécuritaires. Cette forme d’occupation et d’administration militaire, dont nous vivons les effets encore, a fini par faire une césure entre le pays utile et le pays des bannis, le pays des bagnes et des camps de travail. La mise en scène est digne de Kafka avec des rôles distribués entre les « commandants », les prisonniers, les surveillants d’une part et le reste de la population civile.
Bourem et Ansongo abritaient deux « camps pénaux », deux « camps de travail » dont la réputation a été tristement établie dans l’univers carcéral de l’Afrique occidentale française. Ils faisaient partie d’un réseau de six camps de très haute sécurité dont la vocation était d’accueillir « les individus jugés dangereux » et « incorrigibles » qui ont été condamnés à une longue peine.
Bourem avait son pénitencier à Bia. Il est assez connu dans la littérature, car le lieu qui jouxte Ouani a connu un djihad d’un jour lancé par Moussa Aminou en mars 1949. Le pénitencier d’Ansongo, qui nous intéresse ici, était à « Tondo banda », « derrière le rocher », abritant la résidence du Préfet de la localité. à l’époque, il était à l’écart total de la ville. C’était le « terrible camp pénal d’Ansongo » ; qualification qui n’était pas une usurpation quand, dans les faits, il ne s’agissait que d’un « camp de concentration » du même genre que ceux que les nazis ont implémenté en Europe pendant la deuxième guerre mondiale !
Ouvert dans les années 1935, le camp a été agrandi en 1938. Au début, il abritait des détenus de droit commun condamnés pour vol et autres délits. Il a aussi abrité des « relégués », c’est-à-dire des condamnés qui ont été assignés à résidence après avoir purgé leur peine. Ils venaient généralement du Sénégal. à partir de 1943, le camp a accueilli les disciples de Chérif Hamahoullah massivement condamnés après des troubles intervenus à Nioro, des troubles connus dans l’histoire comme « les évènements de Nioro-Assaba ».
LES MOTIFS DE LA CONDAMNATION DES « HAMALLISTES »
Le contentieux entre Chérif Hamahoullah et l’administration coloniale est de longue date. Pour des motifs qui tiennent tant au contexte religieux propre à Nioro qu’à l’hystérie coloniale sur la sécurité, les administrateurs fidèles au régime de Vichy ont vu dans le charisme du chef spirituel un danger pour la France. Bien avant, la figure de Chérif Hamahoullah a constitué un caillou dans la godasse des chefs coloniaux qui comme toute arme n’ont usé que de la déportation en application de l’article 22 du décret du 15 novembre 1924. La lettre de Terrasson de Fougères, Gouverneur territorial à son chef basé à Dakar est très claire quand il propose « l’internement de cet indigène », mesure qui à ses yeux est « la plus efficace pour faire cesser une agitation religieuse qui n’a que trop duré pour empêcher l’expansion d’une secte combative et hostile à nos actions, pour punir des ingérences coupables dans les affaires du pays. »
Sur cette initiative, Chérif Hamahoullah est assigné à résidence à Merderdra, en Mauritanie, en 1926 pour une période envisagée de dix ans. Terrasson de Fougères, bien connu à Bamako, est inquiet de l’aura du saint homme. Il s’inquiète particulièrement de « son mysticisme et ses adroites pratiques », de « son influence considérable non seulement parmi les tribus maures du Sahel et les populations noires du Soudan, mais encore en Mauritanie, au Sénégal, en Haute Guinée, et au Nigéria ». (Cité par Hamadou Boly, « Le soufisme au Mali du XIXème siècle à nos jours : Religion, politique et société, Thèse de doctorat, Université de Strasbourg, 2013).
De Fougères sera suivi par le Haut-commissaire de l’Afrique occidentale française, Pierre Boisson. Celui-ci consacrera les faits par l’arrêté 2639 bis du 28 novembre 1925.
Chérif Hamahoullah sera encore déporté à Adzopé, en Côte d’Ivoire. En 1930, alors qu’il se trouvait en détention, il est accusé d’être le cerveau d’une bagarre qui a opposé à Kaédi, en Mauritanie, ses disciples à ceux de la confrérie dirigée par les descendants de El Hadji Omar Tall. La sanction prise est de l’éloigner de toute « terre musulmane », d’où le choix de Adzopé, une localité fétichiste (arrêté n° 0808). En 1936, il revient à Nioro et fait toujours l’objet d’une grande attention. En 1938, Baba, l’un des fils de Chérif Hamahoullah, est au centre d’une violente controverse dont Alioune Traoré nous récite les contours dans son livre « L’islam et la colonisation en Afrique : Cheikh Hamahoullah, homme de foi et résistant ». Baba et certains de ses compagnons avaient été victimes d’une agression sur les bords d’un puits situé dans la localité d’Akwawine par des adversaires d’une autre branche de la tidjaniya, les « tinouadjou ». Ce n’est que deux ans après, que le fils de Chérif Hamallah va trouver une occasion de se rendre justice.
Toujours, d’après Alioune Touré, Baba a réussi à organiser une coalition d’un millier d’hommes de plusieurs tribus. Cette troupe va frapper à cinq reprises, du 24 au 28 août 1940, selon l’administration. Un point singulier sera mis sur l’attaque survenue sur les bords de la mare de Lemraz, dans la subdivision de Yélimané. Ici, lit-on, les « Tinouadjou » vont perdre 200 personnes en plus des blessés estimés à 70. Ils vont aussi perdre du bétail. Les faits sont portés à la connaissance de l’administration, le 29 août.
Sur le coup, ont lieu des arrestations à tour de bras. Le chiffre de 800 personnes est avancé. On y compte Baba Ould Hamallah. Les mobiles sont classiques. Il s’agit d’ « attentats contre la sûreté de la colonie dans le but d’en troubler la paix intérieure et assassinat d’un grand nombre de Tinouadjou ». C’est désormais « l’affaire de Nioro-Assaba ». Les prisonniers sont conduits d’abord à Aïoum al Atrouss avant d’arriver à Nioro. Tout le monde sera parqué, en février 1941, à Yélimané, dans l’attente d’un procès. Entre temps, de nombreux prisonniers vont mourir de maladies. En six mois de détention, 210 prisonniers seraient morts sur un effectif de 723.
Alioune Traoré donne des précisions de taille. « Tout cela se passait sous les cris de joie des «douze grains». Le 19 juin au soir, quelques personnes furent libérées mais le reste fut dirigé vers la grande prison de Nioro. à la porte de la geôle, il y avait trois tirailleurs. Ils donnaient l’avant-goût du camp de concentration aux entrants. Le premier administrait une gifle, le second un coup de crosse et le troisième un coup de pied. Cinq cents hamallistes furent ainsi internés », relate-t-il dans son ouvrage.
Il ajoute : « Au même moment, le « tribunal criminel de Yélimané » devait siéger pour statuer sur le sort de ses fils et partisans impliqués dans «l’affaire Nioro-Assaba ». Avant que le tribunal ne siégeât, « plus de huit cents individus furent parqués dans les camps de concentration de Tamchakett, Aïoun, Nioro, Yélimané, Kayes et Bamako, puis rassemblés à partir du 8 février 1941 à Yélimané ». Yélimané n’a été qu’un entérinement de ce qui avait déjà été décidé.
Alioune Traoré rapporte que « siégeant à Yélimané par arrêté général du 3 juin pour des raisons de sécurité, du 24 au 30 juin 1941, le tribunal criminel a prononcé à cette dernière date : 33 condamnations à mort dont une par contumace ; 3 condamnations à vingt années de travaux forcés ; une condamnation à dix ans.
Derrière ce jugement sommaire se trouvera une distribution intelligente des peines à la tête des clients. Seïdina Oumar Dicko qui a travaillé sur les mêmes faits donne plus de détails. D’après lui, les adeptes les plus influents de Chérif Hamahoullah en ont eu pour dix ans à passer à Ansongo et Rharouss.
Les adeptes les moins influents en ont pris pour cinq ans à passer dans les mêmes camps. Les adeptes modérés, les vieillards, les femmes et les enfants ont été libérés. Les condamnés à mort ont été exécutés le 11 novembre 1941 à Yélimané. Les deux fils de Chérif Hamahoullah ont fait partie de ce lot. (DICKO Seïdina Oumar, Hamallah le protégé de Dieu, Albustane, février 2002 p.86.) L’arrêté du 2 juillet 1941 du Haut-commissaire de l’AOF récapitule tous les éléments. Il inflige notamment un internement de dix ans à 542 personnes. Ce sont ces personnes qui viendront purger leur peine à Ansongo. C’est ce groupe que nous avons essayé de suivre.
ANSONGO ET SON PÉNITENCIER
On sait très peu de choses des conditions de voyage et de la logistique déployées pour le transfèrement massif de tant de prisonniers des confins du Sahara mauritanien à Ansongo. Vraisemblablement, les hommes ont dû être transportés de Nioro à Kayes. à partir de Kayes, le moyen le plus approprié devait être le train, le « Dakar-Niger » dont le terminus se situait à Koulikoro. De Koulikoro, la voie fluviale devenait pratique pour assurer la mobilité sur le Niger jusqu’à Gao. De Gao à Bourem et de Gao à Ansongo, le tour était joué. La présence des hamallistes à Ansongo est datée.
Kélétigui Abdrahmane Mariko était « vétérinaire africain » à Ansongo dans les années 1950. Il n’a pas trouvé sur place les condamnés, mais il en donne la preuve dans un témoignage. Dans l’ouvrage collectif « Nomades et Commandant… », il a consigné les propos suivants : « Au cours de mes années de service, j’ai retrouvé les hamallistes déportés à Ouahigouya. Ils étaient environ 300, mais il n’en restait qu’une cinquantaine, tous les autres étant morts en travail forcé. à Ansongo, où ils ont eu à creuser la tranchée, à travers la colline d’Ansongo, pour frayer la route Ansongo-Niamey, leur camp d’internement était à côté de la concession de l’élevage, et, là-bas aussi, il y avait 150 à 200 tombes que l’on montre en disant : « Ce sont les hamallistes qu’on enterrait ici ». (Nomades et Commandants : Administration et sociétés nomades dans l’ancienne AOF, p.16, Karthala, 1993). Ce témoignage renseigne qu’il y a eu des prisonniers hamallistes à Ouahigouya. Pour ce qui est d’Ansongo, les repères ne sont pas encore brouillés.
La voie de passage de la route Ansongo-Niamey que les forçats ont creusé à la main existe toujours. Le seul changement est que la voie est maintenant bitumée. Le cimetière qui a accueilli les prisonniers morts à la tâche, aussi existe. Il se situe « à l’est du poste de la Police nationale », nous a précisé notre personne ressource locale, l’instituteur à la retraite Ibrahim Alpha Cissé, au cours d’une conversation téléphonique. Ibrahim a été en charge du patrimoine culturel dans la localité. Il a autant de souvenirs que de remords. Des souvenirs, parce qu’il a la mémoire des faits. Des remords, parce qu’il a assisté impuissant à la destruction des vestiges historiques. « Les tombes des hamallistes sont au milieu du cimetière. Elles sont reconnaissables au grosses pierres tombales qui les distinguent », nous a-t-il déclaré. De nos jours, le cimetière est toujours en activité. Il est dédié à l’enterrement des petits enfants.
QUID DU CAMP DES INTERNES ?
Les vestiges du « camp pinari » existaient encore à côté du bâtiment du service de l’élevage. Mais les lieux sont déjà tombés sous la convoitise de l’immobilier et actuellement c’est un démembrement de l’état, le Contrôle financier qui en a pris possession pour son installation. « Dans ma jeunesse, a poursuivi Ibrahim, j’ai vu les objets de torture du camp. Il s’agissait, notamment d’un poteau avec son équipement pour ligoter les prisonniers qui ne se tenaient pas tranquilles : des cravaches et des coups de cravache à toutes les étapes. Dans les faits, il y avait d’abord la prison, l’espace commun pour tout le monde. Il y avait ensuite le cachot et les chambres de sûreté, « les soulourou », les cellules de torture. Les scorpions, les serpents ont fait plusieurs victimes. »
Quelle était la nature du travail ici ? Ibrahim explique : « Il s’agissait des travaux forcés. Les prisonniers qui sont venus ici n’ont jamais été préparés à venir tailler la pierre. C’est pourtant ce à quoi ils ont été commis. Le réveil était matinal ». Il a ajouté : « La roche n’était pas tendre. Il a fallu la casser pour faire passer la route, sous les coups de cravache des gardes d’une rare violence. Telle est l’histoire sanglante de cette route qui va à Niamey. Ce travail était gratuit pour l’entreprise qui avait le marché. Et beaucoup de prisonniers sont morts ici ». On ne sait pas le nombre exact de ceux qui ont laissé leur vie à Ansongo. Ceux qui ont pu résisté à l’exécution de leur peine sont retournés chez eux.
LE CONTACT AVEC LES POPULATIONS
Les prisonniers étaient dans un tissu social qui comprenait les autorités administratives, les gardes et la population locale. Les gardes étaient particulièrement nombreux. Ils habitaient dans un camp propre à eux, le « Bougoufè ». Ils y vivaient avec femmes et enfants. Et les enfants étaient tellement nombreux que quand des mécènes mettaient en jeu des coupes pour égayer la jeunesse, Bougoufè seul pouvait aligner trois à cinq équipes !
Ibrahim Alpha Cissé a aussi donné des informations sur la façon dont la population locale a accueilli ses « étrangers ». N’avaient-ils pas été précédés par une réputation de grands criminels qui se sont révoltés contre la France. ? Qu’à cela ne tienne ! La population a pu se rendre compte que cette image n’était pas la réalité. Elle a même découvert que sous le manteau des forçats se trouvaient de véritables érudits islamiques. Les contacts ont été furtifs, mais ils ont permis aux prisonniers de révéler leur humanisme. Quand elle a pu le faire, la population a donné à manger et prodigué des soins, en cachette.
Au-delà, on ne peut pas dire qu’il y a eu des contacts suivis. Les hamallistes du fait de leur réclusion n’ont pas pu faire des adeptes à Ansongo. Il n’y a pas eu de zawiyas. Du reste ont-ils jamais eu le temps de penser à autre chose ?
Telle était la réalité du « terrible camp pénal d’Ansongo ». La municipalité locale doit préserver ce qui reste de cette mémoire douloureuse. Elle doit même établir un lien d’échange et de jumelage avec la ville de Nioro pour l’enseignement de cette histoire qui illustre la dure réalité coloniale. Mais avant, elle doit surtout entretenir la mémoire locale en intégrant les récits sur le « camp pinari » dans un circuit touristique. Le colonialisme dans sa substance est une négation des droits de l’homme.
Les travaux forcés ont enrichi la puissance coloniale, et pas les Africains. En France, bien longtemps après la deuxième guerre mondiale, la Régie des chemins de fer a présenté ses excuses au héritiers des juifs français qui ont été transportés en direction des camps de concentration sur les rails et dans les machines de la société. Ici, il faut juste que cette réalité soit connue.
Avec la participation de M. Ibrahim Alpha Cissé, Instituteur à la retraite à Ansongo ; M. Aliou Abdourahmane, Sociologue à Ansongo
Source : L’ESSOR