Il était impossible, il y a quatre ans, voire cinq ans, d’imaginer le scénario qui se déroule sous les yeux des Maliens. Des hommes qui passaient pour des intouchables et dont les noms étaient associés à d’innombrables scandales se retrouvent aujourd’hui dans la plus difficile des postures.
Incarcérés par des magistrats instructeurs et ne bénéficiant d’aucun préjugé positif auprès de l’opinion nationale, bien au contraire, les maires, hommes d’affaires, et hauts fonctionnaires de l’administration sont, présentement, les parias de la République.
Obligés de s’habituer au cruel environnement carcéral, en plus d’être les mal-aimés de la société, ceux qui faisaient partie du gratin politico-économique et défrayaient les chroniques mondaines, vivent certainement un enfer. Même s’ils bénéficient de la présomption d’innocence, ils devront de toute façon subir les foudres de l’invective sociale et politique, donc forcément historique.
Cela pour dire qu’indépendamment du combat qu’ils vont mener pour défendre leur honneur devant les juges et la société, ils auront de toute façon eu «la malchance» d’être arrivés en «bout de chaîne» d’un système qu’on disait anachronique depuis plusieurs décennies, mais qui n’en finissait pas de s’effondrer, de génération en génération, avec leurs clientèles, leurs corrompus et leurs serviteurs.
Les barons du régime qu’on voit défiler devant les portails du Pôle économique et financier de Bamako sont certainement les victimes d’eux-mêmes pour n’avoir pas vu venir la fin inéluctable de la délinquance financière, avec la mue de la justice malienne, dont ils ne sont pas également les dernières victimes. En effet, à l’ouverture de la 2eme session ordinaire de la Cour d’assises de Bamako, lundi 28 octobre dernier, le Procureur général près la Cour d’appel de Bamako, Idrissa Arizo Maiga, se prononçant sur les affaires récentes du Pôle économique et financier, a exhorté ses collègues magistrats en charge des affaires à ne jamais se laisser distraire par les commentaires et qu’une exacte application de la loi soit observée.
« Le plus important, c’est que dans l’instruction de ses affaires, la rigueur de l’application de la loi et le professionnalisme prévalent, que la pusillanimité soit bannie, qu’une exacte application de la loi soit observée, qu’il faille peser au trébuchet (petite balance de précision) les charges et les décharges ; mais surtout que, le réveil pour les incrédules soit cauchemardesque et le retour de manivelle brutal ; que ce ne soit pas un feu de paille comme le prédisent ou le souhaitent certains ; car il y va de la crédibilité de la justice », a-t-il averti.
Ces propos dénotent de l’état d’esprit et du renouveau de la justice malienne, dans la lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite. Bien des responsables avant eux s’en tirent à très bon compte pour avoir «exercé au bon moment». Mais pour les locataires de la Maison d’arrêt centrale de Bamako, certains diront qu’ils ont «poussé le bouchon» un peu trop loin à un moment où il ne fallait pas. C’est dire que ce qui arrive ces derniers jours était inévitable. C’était inscrit dans les gènes d’un système qui ne croyait pas à l’énergie du peuple. Cela ne disculpe aucunement les politiques et les hommes d’affaires impliqués dans ce qui passe pour être une fin «effroyable pour ses acteurs» d’un cycle de gouvernance «hors-sol». Beaucoup de Maliens remontent au lendemain de l’indépendance du pays pour expliquer ce qui passe aujourd’hui, au Mali, en matière de lutte contre la délinquance financière. Si l’on considère la gouvernance des trois premières décennies d’indépendance du Mali comme étant «imposée» par une conjoncture historique incontournable, il devenait, théoriquement en tout cas, crucial d’y apporter un changement profond pour mettre le pays au diapason d’une société qui a beaucoup évolué. Or, les dirigeants et ceux qui croupissent aujourd’hui dans les prisons en font partie, croyaient possible de faire la bourgeoisie sans les Maliens, au sortir du Coup d’Etat du 22 mars 2012. On avait imaginé une sorte de retour à la case départ, sauf que l’Histoire peut balbutier, mais réserver des surprises à ceux qui prétendent la faire.
Cela pour dire qu’au-delà de l’aspect judiciaire qui est certainement un enfer pour ces acteurs, il y a dans cette lutte contre la corruption, les germes d’une dérive autoritaire qu’il fallait éviter coûte que coûte. Dans un passé récent, il était encore possible de faire un bond en avant au système. Mais force est de constater que les inculpés actuels ont fait montre d’une courte vue. Ils se sont faits piéger par l’argent facile, c’est probable et c’est à la justice de le dire, mais là où il n’y a aucun doute sur leur culpabilité, c’est d’avoir conduit le pays à une situation d’impasse, après avoir cru pouvoir effacer l’usure du pouvoir, «contourner» impunément la volonté populaire et faire croire qu’il n’existe aucune alternative à celle d’un système, déjà moribond par l’exercice «abusif» du pouvoir et un sérieux délitement dans la conduite des affaires publiques.
Les barons du régime, les hauts fonctionnaires, chefs d’institutions et élus municipaux, aujourd’hui entre les mains de la justice, auraient certainement gagné à s’émanciper en prenant acte de l’évolution de la société. Celle-ci avait donné de multiples signaux, mais le système a agi en autiste, ignorant un environnement, devenu de plus en plus «empoisonné» pour sa propre survie.
Disons-le clairement, les hommes du pouvoir n’ont pas vu venir le vent du changement sur la justice malienne. Ils le payent aujourd’hui cash dans l’enfer de la justice.
Paul Y. N’GUESSAN
Source: Bamako News