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L’économiste Cheickna Bounajim Cissé, à propos de la réforme du Francs CFA : « Paris a réussi son pari de partir tout en restant »

Dans cet entretien, il décrypte les réformes majeures qui vont s’opérer en 2020, passe au peigne fin les interrogations et les incertitudes qui demeurent, lève un coin du voile sur les intentions réelles de l’ancienne puissance colonisatrice, les enjeux géostratégiques, géopolitiques et géoéconomiques.

 

Bamako, 24 decembre (AMAP) Le président en exercice de l’Union économique et monétaire ouest-africauine (UEMOA) et le président français ont signé, samedi, à Abidjan, un accord monétaire considéré comme « une réforme historique » du Franc CFA. Rappelons que cet accord prévoit entre autres le changement du nom de la monnaie du franc CFA à l’éco, l’arrêt de la centralisation de 50% de nos réserves de change au Trésor et la fermeture du compte d’opération, le retrait des représentants de la France de tous les organes de décision et de gestion de l’UEMOA.

Pour connaitre les tenants et aboutissants de cette réforme, l’Amap a rencontré, lundi, à son bureau Cheickna Bounajim Cissé. Ce chercheur de renommée internationale est économiste et essayiste. Auteur de l’ouvrage “FCFA, Face Cachée de la Finance Africaine”, il est, récemment, nominé parmi les meilleurs économistes africains de l’année 2019par Financial Afrik.

Parlant du changement de nom, l’économiste malien pense qu’il répond aux préoccupations des jeunes africains. Qui ont toujours refusé la colonisation et l’esclavage auxquels renvoie l’histoire du Franc CFA. D’où d’ailleurs, le mépris qu’ils ont pour cette monnaie.

En outre, la décision de libérer 50% des réserves de change (le produit des exportations faites par les Etats africains) est une reforme majeure, note M. Cissé.

Rappelant qu’avant la création du Fcfa, on nous prenait d’abord jusqu’à 100%, puis 64% des réserves de change, M. Cissé a salué la décision de fermer le compte sur lequel ces réserves étaient domiciliées. Pour lui, cette reforme donnera une bouffée d’oxygène à nos économies qui pourront mobiliser de l’argent sur le marché international à des taux marginaux. Par exemple, le Mali était sur le marché financier international pour emprunter 100 milliards de Fcfa. Le taux était de 7%. Si vous faites une méthode linéaire, c’est 70 milliards que le Mali va rembourser sur 10 ans. Alors qu’avec les réserves de change, appelées cash collatéral, le Mali peut emprunter sur le marché international au taux nul de 0% ou à un taux négatif. « Imaginez que sur 100 milliards de Fcfa, le Mali va économiser au moins 70 milliards de Fcfa », illustre l’économiste.

Un autre avantage est que le loyer de l’argent que nous empruntons sur le marché international est très élevé parce que le taux risque pays est très bas auprès des agences de notation. « Or, quel que soit le niveau de dégradation du risque pays, les réserves de change peuvent garantir les emprunts », analyse-t-il, soulignant que les Etats de l’UEMOA sont, aujourd’hui, confrontés à un réel problème de financement de leur économie.

Toutefois, l’enjeu serait, prévient l’essayiste, la gestion des réserves de change. Si elles sont utilisées pour financer le déficit budgétaire en lien avec les investissements, les infrastructures, c’est toujours utile. « Mais, c’est contre productif si elles sont utilisées pour financer le fonctionnement », alerte l’économiste.

Aussi, si le retrait des représentants français des organes de gestion est salutaire, la France continuera à garantir la nouvelle monnaie. « Une décision pour le moment nécessaire qui caractérise le maintien du statuquo. Nécessaire, car la plus grande garantie d’une monnaie, c’est son économie. Nos économies sont faibles, fragilisées et mêmes extraverties. Elles ne sont pas suffisamment crédibles pour garantir notre monnaie. Seule une économie forte et bien portante peut donner cette garantie », analyse-t-il.

Statuquo, car les principes fondateurs de la zone franc restent, malgré cette reforme, notoires. Il s’agit du maintien de la parité fixe, contrairement à l’agenda de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui prévoyait un régime de change flexible. Le cours actuel va, aussi, être maintenu. Un Eco sera égal à un Fcfa. « C’est juste le mot Eco qui va remplacer le Fcfa dans les écritures scripturales », déduit Cheickna Bounajim Cissé. Donc, « Paris a réussi son pari de partir tout en restant », analyse-t-il.

Toutefois, la France quitte, également, le statut de co gestionnaire pour celui de garant de nos économies. A rappeler que l’émission monétaire, selon le mode de gestion actuel, ne doit pas descendre en dessous de 20% des réserves de change. Pour lui, cela conférait aux Etats de l’UEMOA la possibilité d’importer tout ce qu’ils voulaient, sans se faire de souci par rapport au solde du compte. Puisque les réserves de change disparaissent avec la réforme, la garantie nouvelle sera l’ouverture de ligne de crédit. Par exemple, lorsqu’une banque vous accorde une garantie autonome, elle vous garantit à 100%. Ainsi, vous pouvez acheter tous les produits que vous voulez, en disposant des montants que vous voulez.

Toutefois, la banque peut décider de mettre fin à cette garantie de convertibilité illimitée, en mettant à disposition une ligne de crédit qui précise le montant et les conditions de rémunération de cette ligne de crédit. « C’est ce que la France va faire désormais », explique l’économiste.

Pour lui, cet agenda franco-UEMOA va contrarier l’agenda de la CEDEAO. Car, le Nigéria a précisé qu’il n’adhérera jamais à la monnaie commune tant qu’il a un lien monétaire avec la France. Cette relation demeure à travers l’arrimage à l’Euro et la garantie de l’Etat français. « Les chefs d’Etat de la CEDEAO ont précisé qu’ils veulent d’un régime flexible. L’Eco UEMOA a préféré un régime fixe », analyse M. Cissé. Assurant que les réserves de change, qui ne représentent que 3% du Produit intérieur brut (PIB) français, sont insignifiants pour la France. Aussi, ajoute-il, ce que la France produit en 22 jours représente la production annuelle de toute l’UEMOA. « Pourquoi continue-t-elle alors à payer le prix fort pour maintenir son influence dans la zone ? »

« Elle cherche juste à maintenir un lien monétaire avec ses anciennes colonies », tranche l’essayiste. Le but premier, culturel, est la préservation de la langue française. Celle-ci est le socle sur lequel repose la culture française. « Toutes les statiques, révèle-t-il, prouvent qu’en 2050, 90% des locuteurs en français seront originaires de nos pays ».

Sur le plan diplomatique, la France est sûre que sa voix comptera et portera sur l’échiquier international grâce au soutien acquis d’office des 15 pays de la zone franc, quelle que soit sa prise de position. « Un acquis unique en ce monde de chantage où chaque voix se monnaie », insiste M. Cissé.

Du point de vue géostratégique, 40% de l’approvisionnement en uranium des centrales nucléaires françaises viennent du Niger. « L’uranium de Areva, vital, sert à produire de l’électricité pour des millions de Français », souligne l’économiste malien, rappelant que le géant nigérian n’a as encore dit son dernier mot.

CMT/MD

(AMAP)

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