Pendant que nombre de Maliens applaudissent chaleureusement l’assainissement du pays des “parasites”, qui n’auraient d’autre agenda que de plonger le Mali dans l’abîme, les esprits les plus sceptiques se gardent de s’enflammer et, surtout, s’interrogent sur l’aboutissement de tout ce déchaînement de populisme et de nationalisme.
De plus en plus, le pays s’isole à un rythme effréné. Outre Barkhane, Takuba et les missions européennes, c’est désormais la Minusma [Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali] qui serait en ligne de mire. La paranoïa s’installe au sein des masses populaires. Tout le monde serait contre le Mali et voudrait empêcher la marche du pays vers une réelle indépendance.
Le Mali serait en train de se débarrasser de tous les alliés officiels qu’il avait dans sa lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent. Selon les tenants actuels du pouvoir, ces alliés, avec à leur tête Barkhane, plutôt que d’être la solution au problème, seraient devenus le facteur qui aggravait la situation sécuritaire. Le discours du Premier ministre, Choguel Maïga, à la tribune des Nations unies [en septembre 2021], qualifiant l’attitude des forces françaises au Mali d’abandon en plein vol, aura fait vibrer la fibre nationaliste chez beaucoup de Maliens. Plus tard, le pays cherchera officiellement le départ de Barkhane.
Se sont ensuivis ceux de la force EUTM [Mission de formation de l’Union européenne au Mali, créée en 2013] et de Takuba [force opérationnelle composée d’unités issues des forces spéciales de plusieurs pays de l’Union européenne, créée en 2020 et dissoute en 2022].
“Tout pour l’Est et rien pour l’Ouest”
Ainsi, le Mali se retrouve, du moins officiellement, quasiment sans véritables alliés dans sa guerre. La présence d’un groupe de mercenaires russes [Wagner] sur le sol malien, bien que reconnue par le président Vladimir Poutine et, avant lui, par le chef de l’Africom [commandement américain pour l’Afrique] et le chef d’état-major français, est jusqu’à maintenant niée par les autorités de la transition.
Le seul allié de poids que le pays ait, semble-t-il, reste sa coopération avec la Russie, qui ne cesse de multiplier les livraisons d’armes et d’équipements militaires. Chaque livraison fait l’objet d’une communication soyeuse afin de montrer certainement au peuple malien que le travail s’accomplit plutôt bien.
Cependant, la récente suspension par l’Allemagne de ses opérations militaires dans le cadre de la Minusma, après que le pays a pour une seconde fois refusé une autorisation de survol, a tout de même de quoi inquiéter. C’est quand même les hélicoptères allemands qui ont évacué les soldats maliens blessés à l’issue de la bataille de Tessit [le 7 août, au cours de laquelle 42 soldats maliens ont été tués]. L’Allemagne aurait vécu cette interdiction comme de l’ingratitude.
La position actuelle du Mali est-elle tout pour l’Est, rien pour l’Ouest ? Est-ce là la monnaie de la pièce qu’octroie en ce moment la Russie, à savoir de se débarrasser de tout allié occidental ? Ou est-ce tout simplement la conviction profonde des dirigeants actuels [parvenus au pouvoir à la suite d’un coup d’État militaire] que c’est là la bonne solution pour faire sortir le pays de l’ornière ?
Quelques hypothèses
La situation est des plus délicates, surtout que le front terroriste ne cesse de monter en puissance ces derniers mois. Tout haut, des Maliens crient au complot et dénoncent la main invisible de puissances étrangères derrière ces attaques car, tout simplement, les dirigeants auront pris leurs responsabilités. Tout bas, d’autres accusent la politique en cours du moment, qui consisterait à agiter le drapeau du nationalisme à tout-va, à toujours accuser l’autre des échecs essuyés et à enjoliver la situation alors que la réalité serait tout autre.
Les plus sceptiques poussent leur raisonnement au point de se demander si le Mali ne serait devenu qu’un pion de choix pour la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine, dans laquelle nombre de puissances occidentales sont impliquées. Et ce alors que le Mali se trouve globalement dans une zone présentée historiquement comme la chasse gardée de la France.
Le deal serait le suivant. En échange de garantir la stabilité du pouvoir aux dirigeants de la transition, le pays des tsars leur aurait intimé de se débarrasser de toute présence occidentale. Et comme la matière militaire est leur compétence par excellence, assurance leur a été donnée que la lutte contre le terrorisme, grâce à leur soutien et peut-être aussi aux mercenaires, serait gagnée. Sauf qu’il semblerait que le deal était trop beau pour être vrai, en tout cas, pour le moment.
Une chose semble logique cependant, la présence russe, comme celle des militaires au pouvoir, s’inscrit dans la durée. Des décisions d’envergure ont été prises et elles ne peuvent se défaire aussi simplement. Pour la présence militaire, elle peut l’être par l’accès à la magistrature suprême par le biais d’élections, mais aussi, de manière plus insidieuse, dans l’ombre d’un président de la République qui aura, lui aussi, conclu un deal. Celui d’être, quelque part, guidé par les militaires qui seront dans l’ombre. Un peu comme c’est le cas du moment, avec la Russie qui guiderait avec insistance certaines décisions du pouvoir de la transition.
Évidemment, tout cela relève du domaine des hypothèses. Nul ne saurait connaître ce qui se passe dans les méandres du pouvoir à moins d’en faire partie. Mais, dans les mois ou années à venir, la vérité se montrera.
Ahmed M. Thiam
Source : Courrier international