Officiellement la campagne électorale est lancée, officiellement l’opposition ne participe pas aux législatives. Le scrutin du 30 juin à Conakry s’annonce sous de mauvais auspices. L’opposition continue d’exiger un report du scrutin afin de permettre la tenue du dialogue politique, et ne renonce pas à ses marches malgré le grand nombre de morts enregistrés ces dernières semaines. Cellou Dalein Diallo, leader de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), principale formation de l’opposition guinéenne, répond aux questions d’Olivier Rogez pour RFI.
RFI : Vous étiez accompagné à Paris récemment d’une forte délégation de l’opposition. Est-ce que vous êtes venu chercher un soutien politique de Paris ?
Cellou Dalein Diallo : Oui, on peut le dire ainsi, puisque nous avons estimé que la France devrait adresser peut-être un message à M. Alpha Condé, pour attirer son attention sur les risques et les menaces qui pourraient peser sur l’unité de la nation et la paix sociale, si les massacres continuent comme cela est actuellement en cours.
Avez-vous le sentiment d’avoir été entendu à Paris ?
Oui, je crois. Je crois que notre message est bien passé.
Le Quai d’Orsay a réagi à ces violences consécutives, notamment à la marche du 23 mai, en renvoyant, d’une certaine façon, les acteurs politiques dos à dos et appelant tout le monde, gouvernement et opposition, à respecter l’engagement à ne pas recourir à la violence. Est-ce que cette réaction assez équilibrée de la France vous satisfait ?
Oui, mais je pense qu’il faut savoir que les bourreaux sont d’un côté, les victimes de l’autre. Il faut, naturellement, sensibiliser tout le monde. Mais il est important de demander au gouvernement de veiller à ce que les forces de l’ordre n’utilisent pas les armes à feu dans le cadre du maintien d’ordre. Aujourd’hui, elles tirent à bout portant sur les manifestants et parfois même en dehors de la rue, dans les quartiers. Vous savez, après chaque manifestation, les forces de l’ordre investissent les quartiers réputés être des fiefs de l’opposition et se livrent à toutes sortes d’exactions. C’est ainsi qu’on a enregistré dans ces quartiers une cinquantaine de morts (…) certains ont été tués devant leur domicile familial.
Cinquante morts depuis plusieurs mois, pas sur les dernières manifestations…
Sur les dernières manifestations, il y en a eu dix-huit.
La violence n’est pas uniquement du côté du gouvernement, puisque vos jeunes militants utilisent parfois aussi des armes blanches, des billes d’acier. Il y a notamment eu des policiers qui ont été tués, d’autres ont été blessés. Est-ce que vous avez appelé vos militants à respecter les forces de l’ordre et à respecter un mot d’ordre de non-violence ?
Bien entendu ! Mais il faut dire que c’est vrai qu’il y a eu un policier qui est mort, il y a eu beaucoup de gendarmes et de policiers qui ont été blessés. Mais on a noté jusqu’à présent que le gouvernement ne s’est jamais préoccupé des morts. Il s’est indigné de voir des policiers et des gendarmes blessés, il n’a jamais ouvert une enquête pour situer les responsabilités de ces violences, qui ont entraîné la mort de citoyens, et ils ne se sont jamais émus. Ils n’ont pas adressé des condoléances aux familles des victimes.
Le président Alpha Condé a promis une enquête indépendante de la part de la justice. Croyez-vous que cette enquête pourra aboutir ?
C’est la première fois qu’il le fait, c’est une déclaration. On le jugera aux actes.
Face à cette violence et face sans doute aussi aux pressions des chancelleries occidentales, l’opposition a décidé de changer de stratégie et de suspendre ses marches pour adopter d’autres formes de lutte. Quelles formes de lutte allez-vous adopter ?
Non, nous n’avons pas décidé de suspendre nos marches. On a décidé de les suspendre pour la période des examens scolaires. C’est un droit constitutionnel que nous allons naturellement exercer, dans la mesure du possible. On va essayer de voir ce qu’il faut faire à côté. Et c’est dans ce cadre que nous avons fait le déplacement à Paris, parce qu’il fallait venir faire du lobbying, expliquer aux autorités françaises ce qui se passe.
Paris vous a exhorté à reprendre le dialogue politique avec le gouvernement et le président Condé. Allez-vous le faire ?
Bien entendu ! Nous avons toujours revendiqué le dialogue ! Nous avons marché pour exiger le dialogue ! Et la dernière fois, après les violences qu’on avait enregistrées au mois d’avril, nous avions créé toutes les conditions d’ouverture d’un dialogue constructif ! Le pouvoir a désigné son médiateur, l’opposition a désigné le sien. On a fait appel au secrétaire général des Nations unies, qui a mis à disposition un médiateur.
Ça c’était il y a deux mois. Depuis, Said Djinit, le représentant de l’ONU en Afrique de l’Ouest, discute avec vous, discute avec le gouvernement. Il semble que vous, opposants, ne voulez pas prendre tout de suite l’engagement d’ouvrir le dialogue, si les élections ne sont pas repoussées. Est-ce que cette conditionnalité pourrait être suspendue ?
Pour qu’on ait une discussion, franche et utile, il faut qu’il y ait un ordre du jour ! On va discuter de quoi, lorsque nous, nous sommes en dehors du processus électoral ? Les électeurs sont convoqués, la campagne est ouverte, le passage en force continue. De quoi on va discuter ? Nous avons estimé que si on doit discuter utilement, il faudrait que le système, le processus, soit arrêté !
Si les élections sont maintenues le 30 juin, que va faire l’opposition ?
L’opposition n’est pas partie prenante à ces élections-là. Nous n’avons pas déposé de dossier. Nous allons continuer à lutter pour que ces élections n’aient pas lieu.
Allez-vous empêcher la tenue du scrutin ?
Nous allons user de tous les droits qui nous sont reconnus par la Constitution, pour que ces élections n’aient pas lieu.
La loi vous interdit de bloquer des bureaux de vote. Donc l’opposition ne sera pas, le 30 juin, devant ces bureaux pour empêcher la tenue du scrutin?
Mais avant, nous ferons tout pour les empêcher, en organisant des marches partout sur l’ensemble du territoire national, par exemple.
Lors de la dernière manifestation, votre véhicule a été heurté par un véhicule de police et il n’en fallait pas plus pour que vos militants affirment qu’il existe un complot pour vous éliminer. Est-ce que vous croyez à cette théorie du complot ?
Oui, bien sûr. Mais on n’a pas attendu que le véhicule de la police s’acharne sur le mien pour faire de telles révélations ! Vous savez déjà que dans les cercles proches du pouvoir, les gens ont estimé que Cellou Dalein Diallo faisait trop et qu’il fallait prendre des dispositions pour mettre fin à cela. C’est un groupe d’extrémistes proches du pouvoir qui envisageait, effectivement, d’attenter à ma vie.
Source: RFI