La communauté internationale a célébré ce 19 septembre l’investiture d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) comme nouveau président de la République du Mali. Plus d’une vingtaine de chefs d’États et de gouvernements, dont le président français, François Hollande, ont participé à cette cérémonie. Officiellement le Mali est entré dans une période post-conflit civil. Or, les causes qui avaient précipité le pays dans une crise militaire et institutionnelle depuis janvier 2012 n’ont pas disparu.
Si la légitimité démocratique et républicaine a été rétablie par l’élection post-conflit, la question touareg reste entière: le Nord-Mali, purgé des groupes djihadistes, n’est pas stabilisé, les divisions entre les forces armées subsistent, des milliers de réfugiés attendent de retourner au pays… La présidence d’IBK s’annonce difficile. Que peut-on en espérer ?
Retour sur les élections présidentielles
Les élections présidentielles du 28 juillet et du 11 août 2013 se sont déroulées globalement sans incident majeur malgré les pronostics les plus alarmants en raison de la fragilité sécuritaire dans laquelle se trouve le pays. IBK a été plébiscité, remportant 77,62% des voix contre 22,38% pour son rival Somaïla Cissé.
Mais sa victoire écrasante semble pour le moins étrange. Elle sonne comme un triomphe des putschistes. IBK a gardé le silence après le coup d’État militaire du 22 mars 2012 qui précipita le Nord-Mali entre les mains des rébellions touareg et des groupes jihadistes. Au contraire, Somaïla Cissé avait condamné avec vigueur les putschistes, réclamé leur départ ainsi que le rétablissement des institutions démocratiques. Il a incarné l’opposition politique face à la junte militaire. Sa défaite électorale confirme la sympathie dont jouit la junte auprès de la population malienne. La junte reste donc une force dont il faudrait tenir compte dans cette période post-conflit alors même qu’elle ne fait pas partie du nouveau gouvernement formé le 9 septembre dernier. Or, la junte ne représente que l’un des corps de l’armée malienne, les bérets verts, qui sont en conflit ouvert avec les bérets rouges, ancienne garde présidentielle. IBK aurait-il choisi son camp? Pourrait-il reformer et réunifier l’armée malienne?
La fin incertaine des jihadistes au Nord-Mali
Les attaques armées discontinues au Nord-Mali montrent que la menace jihadiste n’est pas une chimère. L’opération militaire française «Serval», initiée le 11 janvier 2013, a permis de disperser les mouvements jihadistes, dont Al-Qaeda au Maghreb islamique (AQMI). Mais cette «paix des vainqueurs» ne tient qu’à la présence des forces armées étrangères, l’armée malienne n’étant pas en mesure d’assurer la sécurité de son territoire nord, ce qui fait de cette région saharienne un «no man’s land». Les jihadistes qui avaient afflué de plusieurs pays pourraient être de retour au Mali si la question islamiste n’est pas résolue dans toute la région sahélo-saharienne.
La stabilité et la paix au Mali dépendent du règlement de la question touareg
Même si les médias ont tendance à mettre sous le projecteur la nébuleuse islamiste représentée essentiellement par les groupes rebelles Ançar Eddine et AQMI, la présence de ces derniers est bien récente et les véritables maîtres du Nord-Mali sont les rebelles touareg dont les revendications autonomistes remontent à la période coloniale. L’État malien qui renaît de ce conflit interne réussira-t-il à instituer la «Nation malienne» à travers la création d’un espace national où la cohabitation des différentes «nations» se fera sans péril ?
Le nouveau gouvernement issu de l’élection post-conflit semble visiblement avoir pris la mesure des enjeux. Il s’est fixé comme priorité la réconciliation nationale à laquelle un ministère a été dédié. Il s’agit d’instaurer un dialogue entre les communautés et notamment entre les Touaregs, les Songhay, les Peuls et les Arabes. Toute la difficulté est de réconcilier des populations que les violences intercommunautaires ont rendues méfiantes les unes envers les autres et pour qui la justice rime souvent avec vengeance. Le Mali devrait tirer des leçons des expériences antérieures d’autres pays tels que la Sierra Leone, le Libéria, la Côte d’Ivoire, etc. Mais il devra davantage tracer sa propre trajectoire vers la réconciliation nationale ; et cela, courageusement, en s’avouant ses erreurs au confessionnal de sa propre histoire, en faisant le deuil de la domination d’une communauté par une autre. Dans cette perspective, soulignons la nomination, comme ministre des Affaires étrangères, Zahabi Ould Sidi Mohamed, un Arabe et ex-chef rebelle du Front islamique arabe de l’Azawad. Il préfigure le nouveau visage du Mali réconcilié et unifié. Mais verra-t-on de sitôt ce visage du Mali ?
L’avenir des négociations inter-maliennes dépendra aussi de la crédibilité de l’État
La corruption et le laxisme dans la gouvernance avaient discrédité l’État et précipité le pays dans la crise. Si les élections post-conflit confèrent une légitimité aux institutions existantes, elles ne leur confèrent pas nécessairement une crédibilité. Le respect des règles fondamentales entre la population et les leaders politiques, le respect des droits humains, la bonne gouvernance ne découlent pas automatiquement de la tenue d’élections même réussies. La crédibilité de l’État est appréciée a posteriori à travers l’efficacité et l’effectivité des institutions républicaines. Seul un État crédible peut se poser en partenaire crédible dans les négociations entre les acteurs sociétaux et face à une communauté internationale dont la contribution est indispensable. Considéré pendant deux décennies comme un exemple de progrès démocratique en Afrique subsaharienne, le Mali pourrait-il retrouver le chemin de son succès démocratique?