
Encore peu diversifiée et jusque-là largement dominée par les petites unités de transformation, l’industrie malienne reste vulnérable aux chocs exogènes. Quand on évoque les défis à relever pour l’implantation de véritables industries, les spécialistes évoquent généralement la faiblesse des infrastructures, le coût de l’énergie et du transport… comme «des freins essentiels à son développement». Et pourtant, l’accès aux matières premières est aussi un goulot d’étranglement dans un pays qui ne contrôle aucune de ses productions, aussi bien minières qu’agricoles. Celles-ci (à part certainement la fibre de coton) sont frauduleusement exportées, privant les industries locales du minimum pour tourner. L’international malien devenu businessman, Seydou Kéita dit Seydoublen est en train de faire l’amère expérience avec son complexe agro-industriel Seydou Diogo Awa (SDA). Son statut de star-patriote va-t-il amener les décideurs politiques à prendre conscience de ce défi et à circonscrire le fléau ?
«Au Mali, il suffit de commencer une entreprise. Les gens entendent juste ta chute pour dire qu’ils savaient. Personne ne veut t’aider» ! C’est le cri de détresse lancé par un jeune entrepreneur de Sikasso (380 km au sud de Bamako) en apprenant les déboires du complexe agro-industriel «Seydou Diogo Awa» (SDA) de Seydoublen (Seydou Kéita, ancienne gloire du foot reconvertie dans les affaires). Et cela peut se traduire par des peaux de bananes pour empêcher votre entreprise de tourner. A commencer par vous priver de matières premières.
Les Maliens seraient ainsi choqués d’apprendre que l’usine de production d’huile de l’ancien footballeur Seydou Kéita dit Seydoublen est en manque de matières premières» pour tourner à plein régime. Et cela à cause de «l’existence des fonds occultes étrangers gérés par des Maliens». Depuis l’annonce de l’interdiction de l’exportation de certaines céréales, ont souligné nos confrères de «Le Focus» dans leur livraison du 3 mars 2025 (N°288 du lundi 03 février 2025), «des gens qui profitent de ces fonds ont commencé à protester contre la décision du gouvernement».
Mais, toujours est-il que, l’accès à la matière première a toujours été un goulot d’étranglement des industries maliennes. Encore peu diversifiée et largement dominée par les petites unités de transformation, l’industrie malienne reste vulnérable aux chocs exogènes. Généralement, les experts évoquent la faiblesse des infrastructures, le coût de l’énergie et du transport… comme des freins essentiels au développement industriel de notre pays. Tout comme l’insuffisance d’une main d’œuvre qualifiée, le problème récurrent de financement, la contrebande, la concurrence déloyale, la fraude et le poids fiscal.
Mais, l’approvisionnement en matières premières est aussi un immense défi à relever pour de nombreuses industries du pays, surtout celles qui du secteur alimentaire. A part peut-être l’Huilerie cotonnière du Mali (HUICOMA), les unités industrielles de ce domaine ne fonctionnent que quelques mois (3 à 4 mois) de l’année, faute de matières premières pour tourner à plein régime durant toute l’année. Officiellement, parce que la graine de coton produite dans les usines d’égrenage de la CMDT «ne couvre même pas 20% de leur besoin annuel».
Complexe Agro-industriel Seydou Diogo Awa le 2 juillet 2024

Mais, officieusement, ce n’est un secret pour personne qu’une part non négligeable des matières premières comme le sésame, l’arachide, l’amande de karité… sont frauduleusement exportées (en nature ou transformées) du pays, condamnant les unités industrielles locales à tourner au ralenti. En effet, selon certaines statistiques, sur une production de 690 000 tonnes de coton, la CMDT extrait près de 460 000 tonnes de graine dont une grande partie se retrouve à l’étranger. Ce qui, du coup, prive l’économie malienne de valeurs ajoutées importantes. Ce qui n’est pas surprenant, d’autant plus que le Mali n’a aucun contrôle sur ses productions, aussi bien minières qu’agricoles (à part le coton fibre). Ainsi, une évaluation correcte et transparente de l’interdiction d’exporter le sésame, l’arachide, l’amande de karité va réserver beaucoup de surprises aux enquêteurs.
«Il n’y a pas de meilleur endroit que d’investir à Dubaï. Avec ma Golden Visa, j’ai tous les atouts pour le faire. Mais, j’ai décidé de venir investir plus de 14 milliards de FCFA dans mon pays par amour. Il n’y a pas de meilleure aide pour le pays que de créer des emplois. J’aime mon pays et je suis fier d’être Malien», a déclaré l’ancienne gloire du foot malienne qui essaye aujourd’hui de se reconvertir dans le domaine des affaires après l’immobilier. Et pour lui, il est préférable de fermer l’usine plutôt que de créer la vie chère au Mali. Mais, il ne doit pas trop compter sur le gouvernement pour sévir, en bloquant par exemple les stocks des fonds vautours qui ne sont pas encore sortis du pays.
Il est vrai que le gouvernement a la latitude d’approvisionner le complexe SDA à hauteur de souhait en exigeant de la Compagnie malienne pour le développement du textile (CMDT) de lui fournir les 40 000 tonnes (sur les 460 000 tonnes). N’empêche que, par expérience, le jeune homme d’affaires ne doit pas trop compter sur le deal avec le gouvernement parce que nous savons tous que, en la matière, la marge de manœuvre de nos décideurs politiques a toujours été très étroite. Pour les raisons que vous savez tous (corruption, délinquance financière, délit d’initiés…), ils sont toujours faibles devant les opérateurs économiques…
Ce qui fait que les accords signés (notamment les mesures contre la vie chère) sont caducs avant même leur signature. Ils n’ont aucun impact sur la galère des populations parce qu’ils ne sont jamais appliqués. La preuve est que les denrées exonérées sont vendues aux consommateurs sans tenir compte du sacrifice fiscal consenti par le trésor public.
Ainsi, si Seydou veut réellement tirer le meilleur profit de son investissement, nous lui conseillons de prendre langue avec la CMDT ou les coopératives de productrices, en ce qui concerne en tout cas les graines de coton ou le beurre de karité. Le gouvernement n’a aucune maîtrise sur nos différentes filières agricoles. Au contraire, ce sont des coopératives qui peuvent lui garantir la quantité de matières premières dont il a besoin et à un prix mutuellement bénéfique.
Hamady Tamba
Source: Le Matin