C’est à travers un ouvrage de 200 pages édité au Mali que le Pr Kissima Gakou tente d’apporter sa contribution dans la crise qui secoue le Mali. Ce livre entreprend un diagnostic et explore quelques pistes de solutions pour en sortir. Nous avons rencontré l’auteur pour en savoir davantage.
Rappelons que le Pr Kissima Gakou est le doyen de la Faculté de Droit Privé (FDPRI) de l’Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (USJPB). Avant ce poste, il était en responsabilité au sein du ministère de la Défense en qualité de conseiller technique, chargé des affaires stratégiques et des questions de défense. Il est détenteur d’un doctorat en sciences criminelles de la Sorbonne, d’un 3e cycle spécialisé en Etudes Stratégiques et Politiques de Défense de l’Ecole des Hautes Etudes Internationales de Paris et d’un DESS en diplomatie et administration des organisations internationales de la faculté de droit Jean Monet Orsey Paris. Il est en outre consultant pour une multitude de recherches institutionnelles, sécuritaires et organisationnelles menées en Afrique, en Europe et aux Etats-Unis.
Pour le Pr Gakou » Les crises sont des phénomènes quasiment normaux dans l’évolution des sociétés humaines. Mais les crises ont un cycle. Elles naissent, grandissent et évoluent en diverses trajectoires selon les cas, puis dépérissent ou disparaissent. Ce processus, c’est une loi naturelle maintenant connue de l’homme. Elle est immuable « . Toutefois, pour le cas du Mali, le professeur constate que malgré les années qui passent, les moyens colossaux investis par une multitude d’acteurs intervenants, la crise persiste.
A ses yeux, il est nécessaire de s’arrêter pour relocaliser et dresser les véritables points de blocage. A cet égard, il estime que la mobilisation de la communauté scientifique est fortement requise car c’est elle qui a comme mission principale « de se saisir des problématiques complexes et les rendre simples comme en mathématique avec les équations à inconnues multiples« . Cela, afin de permettre à ceux en charge des actions d’être plus efficaces dans leurs interventions. Quant à la nature de la crise malienne que d’aucuns qualifient de » multidimensionnelle « , le Pr Gakou bat en brèche cette qualification.
L’effondrement de la sécurité, un élément déclencheur majeur
Selon lui » le fait de qualifier invariablement cette crise de « multidimensionnelle » est le meilleur moyen de ne pas trouver la solution « . Une manière de dire que la crise malienne doit être étudiée suivant » le modèle de séquençage de génome » pour isoler chaque variant avant de procéder au traitement efficient et adéquat.
S’agissant des raisons de cette crise malienne, le Pr Kissima Gakou est on ne peut plus clair. Il estime que c’est l’effondrement des services de sécurité qui est l’inducteur des soucis auxquels le Mali demeure confronté aujourd’hui. C’est pourquoi il propose sa » contribution à la compréhension de ces différents facteurs de causalité qui sont corrélés entre eux « . Ainsi, dans son ouvrage, le professeur tente d’expliquer comment la libération au Mali d’une trentaine d’otages occidentaux remis au défunt Président d’alors feu Amadou Toumani Touré, en 2003, a été un hic de plus contre la sécurité nationale.
Libération des 32 otages européens en 2003, déclic d’une conflictualité augmentée
En guise de réponse à l’imbroglio sécuritaire profilant sur le pays, il a organisé en 2004 un colloque national sur les questions de sécurité et de défense. A travers ces assises destinées à éveiller la conscience collective nationale, il voulait » déclencher et canaliser une compréhension commune des problèmes (menaces) et définir ensemble des solutions communes à mettre en œuvre pour conjurer la crise « . Il a regretté le fait que les recommandations pertinentes auxquelles est parvenu ce colloque se soient arrêtées aux portes d’une session du Conseil des ministres.
Selon le Pr Gakou, cet évènement vécu comme un succès en 2003 par les autorités de l’époque était a contrario, hélas, un très mauvais signal. L’histoire lui donnera raison car le trafic des otages surtout occidentaux est devenu un business très lucratif. Pour autant, cet épisode ne représente pour lui qu’un » épiphénomène » loin d’être l’unique cause de la crise. » C’est un élément de sécurité qui s’ajoute à d’autres susceptibles d’influencer la nature et l’échelle du problème global » explique-t-il. A la question de savoir quels sont les acteurs qui n’ont pas joué leur partition, Pr Gakou pointe un doigt accusateur sur la communauté scientifique malienne à laquelle il appartient lui-même de s’être » murée dans une léthargie complète « .
Une bonne compréhension et appropriation du phénomène
Pour les pistes de solutions à explorer afin de sortir de cette crise, le Pr Gakou insiste sur la nécessité d’une compréhension claire des enjeux, l’internalisation et l’appropriation conséquente des véritables données du problème par les acteurs intrinsèques qui ne sont autres que les Maliens eux-mêmes. Pour lui, l’impasse récurrente dans laquelle le pays est plongé découle également du comportement et de l’état d’esprit du Malien caractérisé par la célèbre pensée de George Bataille : « la méconnaissance par l’homme des données matérielles de sa vie le fait errer gravement « .
Par ailleurs, l’universitaire précise que depuis fort longtemps, on peut constater et déplorer le fait que presque tous les segments de la société malienne fonctionnent en mode « réaction’‘ face à tout. Selon lui, » ce dysfonctionnement psychologique collectif amplifie et entretient une situation ambiante délétère stérile et improductive qui plombe toute possibilité « d’agir en connaissance de cause » ».
A quoi s’ajoute ce qu’il qualifie de » manipulation quotidienne des émotions à travers des TICS et/ou autres moyens qui nous captivent dans des diatribes interminables et des narcissismes étriqués en déconnexion totale avec le réel « . « Nous sommes trop dans la réaction au sens générique du terme plutôt que dans l’action « déplore-t-il.
Quant à l’originalité de ce livre, il apparait comme un » regard malien sur des problèmes maliens « . D’ailleurs, pour rester cohérent dans sa démarche, c’est bien au Mali que l’ouvrage du Pr Gakou a été édité alors que de multiples éditeurs étrangers de renom étaient demandeurs.
Maciré DIOP
Source: l’Indépendant