La vision et les ambitions affichées par le président et le Premier ministre de la Transition, si bonnes et louables soient-elles, se heurtent à une contrainte majeure : le très court terme. S’y ajoute un environnement sociopolitique qui peut être instable à tout moment. Au point de devenir un frein à la victoire dans la course contre la montre que veut imprimer la Transition à la gestion des affaires publiques, avec notamment des dossiers dont la complexion énorme est à la dimension du ras-le-bol qui a constitué un terreau fertile à deux coups d’Etat en l’espace de huit mois.
Jusqu’à présent, la Transition menée par Amadou Toumani Touré, en 1991, reste l’un des meilleurs repères dans la construction démocratique du Mali, au contraire de la Transition de 2013 présidée par Dioncounda Traoré. C’est parce que la Transition dirigée par Feu le Général ATT s’est attaquée à l’essentiel, notamment et uniquement poser les jalons de la construction d’un Etat démocratique fort et stable. Il appartenait, justement, aux régimes qui l’ont suivi de poursuivre ce travail. Mais dès 1997, les remous enregistrés lors des élections rappelaient que le système démocratique, encore fragile, attendait toujours sa consolidation.
Encore qu’il fût nécessaire d’éviter de tomber dans le piège de voir la stabilité d’un pays sous le prisme déformant de la démocratie ramenée au multipartisme et à l’organisation d’élections. “On ne se nourrit pas de démocratie !” dit-on souvent dans des pays d’Afrique où le niveau encore extrêmement élevé de pauvreté et les fortes inégalités, sont les premiers indicateurs des limites de cette démocratie. Et puisque, comme on le dit encore en Afrique: “Ventre qui a faim n’a point d’oreille”, la pauvreté peut empêcher de continuer de croire aux discours de dirigeants qui font tout, sauf apporter des solutions aux problèmes vécus par les populations au quotidien.
Défi de réalisation de chantiers gigantesques à très court terme
La Transition de 2013 au Mali, qui a débuté suite à l’Accord-cadre signé entre la Cédéao et la junte d’alors, dirigée par le capitaine propulsé général, Amadou Haya Sanogo, s’est terminée en juillet 2013 après l’organisation à la va-vite des élections présidentielles et législatives. Si le rétablissement de l’intégrité territoriale a été réalisé avec l’aide de la France, et les élections organisées, des problèmes de fond persistaient, notamment les problématiques sécuritaires et socioéconomiques, en plus de la reconstruction de l’Etat qui s’était quasiment effondré. Ces problèmes de fond que le régime du président IBK a eu du mal à résoudre, ont évolué au fil des jours pour aboutir à des crises multiples, lesquelles ont nécessité des mouvements d’humeur, quasiment de révolte, pour finir par entrainer la rupture de l’ordre constitutionnel.
Faut-il retourner à la case départ, notamment avec un régime de transition politique, pour ensuite commettre les mêmes erreurs ? Là gît l’ampleur du défi à relever par le duo Assimi Goïta et Choguel Maïga. Un duo qui donne de l’espoir dans les discours, mais doit surtout se prouver par les faits, plus précisément, réaliser des chantiers gigantesques à très court terme.
Scepticisme quant à la question électorale
Rien que la question électorale procure scepticisme quant à sa réalisation à très court terme car ce n’est pas seulement une question de textes, mais faudrait-il s’entendre sur la problématique de l’organe unique pour organiser les élections, l’installer, mettre en place ses démembrements jusque dans les coins les plus reculés du pays, les doter de moyens de travail, nommer les membres desdits démembrements et renforcer leurs capacités dans le but d’une appropriation des nouveaux textes régissant désormais les élections au Mali. Et pour qu’ils soient vraiment opérationnels, mettre à leur disposition les ressources financières adéquates, etc.
Un travail rendu plus difficile par le redécoupage territorial caractérisé par la création de nouvelles régions. Ce qui influe sur la configuration des circonscriptions électorales et partant, sur le fichier électoral à remodeler. Après tant d’efforts, il faut enfin tenir les scrutins législatifs, locaux et celui présidentiel. Tout cela en huit mois, alors que le gouvernement de Choguel est surchargé avec, en plus, des ambitions affirmées de réalisation d’autres grands chantiers que les Maliens retiennent désormais comme des promesses fermes à tenir.
L’histoire politique en Afrique a fini de démontrer que les gouvernements de Transition, sous la pression de la Communauté internationale, mettent à l’agenda des Transitions des chantiers indispensables à la sortie de la crise nationale à diverses facettes: sécurité, gouvernance, réconciliation et relance économique…Or, on constate que ces chantiers ne sont jamais menés à terme durant des transitions de deux à trois ans. Ils sont même rarement initiés à cause d’un environnement politique qui ramène parfois tout à la question électorale, les anciens politiciens décriés cherchant à se redonner une légitimité de retour au pouvoir par la voie des urnes et les opposants de tous les jours trouvant en la Transition, qui prône le changement, l’occasion rêvée d’accéder au pouvoir et sont pressés, pensant leur heure arrivée. Pendant ce temps, des opportunistes de la Transition, à l’intérieur comme de l’extérieur du pays, tentent uniquement de profiter de cette période exceptionnelle et ne se soucient guère d’un quelconque progrès dans la vie politique et économique nationale. Voilà trois forces qui constituent des pesanteurs sur la Transition qui finit par ployer. Pour éviter de rompre, elle organise des élections, même bâclées.
Refonder un pays, c’est tout un programme, pas à très court terme
Pourtant, les pathologies socioéconomiques des régimes démocratiques africains, fort nombreuses encore, sont connues et identifiées : la corruption endémique et l’absence de redevabilité, les pratiques de captation des ressources et de l’Etat, la monopolisation des ressources et moyens de l’Etat par l’élite au pouvoir, l’inefficience bureaucratique, l’absence de sens de l’intérêt général et la priorité donnée aux intérêts individuels des gouvernants du jour, les manipulations sophistiquées ou flagrantes des textes, la représentation dévoyée au bénéfice de l’exécutif, la justice sans indépendance réelle, la faiblesse programmatique des partis politiques, l’insuffisance des allocations destinées aux organes de contrôle et aux collectivités locales, la fermeture des espaces civiques et publics…Arrêtons-nous là, le tableau étant déjà trop sombre.
Mais il faut bien présenter ce tableau pour attirer l’attention que, refonder un pays, comme on le clame actuellement au Mali, c’est tout un programme. On ne peut donc passer sous silence la résolution de ces problèmes tant et si bien que l’on a opté pour le changement en termes de progrès à apporter. Si la Transition n’est pas appelée à mettre en œuvre ce programme, elle doit donc en poser les jalons pour empêcher le retour à la chienlit, l’après Transition ne devant donc s’occuper que de poursuivre des chantiers dont les fondations ont été déjà posées. Le Premier ministre Choguel Maïga et son gouvernement, pourront-il alors relever ce défi en huit mois?
Lueurs et leurres
Rappelons qu’à côté de nous, plus précisément au Burkina Faso, la crise politique et constitutionnelle a incité les autorités de la Transition à se demander dans quelle mesure le départ du président Blaise Compaoré était-elle aussi imputable à la mauvaise qualité et au coût exorbitant des services publics aux côtés d’autres motivations telle la volonté populaire de défendre l’article 37 de la Constitution. Le gouvernement de la Transition a vite compris que la défense de l’article 37 n’était que l’occasion pour la population d’exprimer tout haut son désir de changement et a ainsi élaboré un programme socioéconomique d’urgence en matière d’éducation, de santé, d’alimentation, concomitamment aux réformes institutionnelles. En effet, il fallait jeter les bases d’une nouvelle vision pour que les citoyens burkinabè voient désormais les politiques publiques non seulement comme un programme d’action gouvernementale, mais aussi comme l’expression d’un contrat social entre les gouvernants et les citoyens.
Est-ce possible dans un régime de Transition politique piloté par des acteurs internationaux, à l’instar de la Cédéao qui privilégie des choix de court terme au détriment des choix de long terme qui permettent une véritable sortie de crise? C’est là où il faut être prudent et lucide car la Transition au Mali, qui a déjà perdu plusieurs mois à cause d’un conflit larvé entre le président et le vice-président, court le risque, au-delà des déclarations d’intention, d’approfondir la crise nationale au lieu de lui apporter un début de solution. Ce n’est pas souhaitable, mais comme dans beaucoup de pays africains et comme au Mali en 2013, malheureusement, les lueurs d’espoir d’un changement véritable, voire d’une refondation, peuvent se transformer rapidement en leurres, si l’on n’y prend garde.
Amadou Bamba NIANG
Source: Aujourd’hui Mali