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Le changement climatique frappe durement l’Afrique

Face à l’offensive russe et chinoise pour équiper l’Afrique en centrales nucléaires, quelle sera la riposte de l’Europe? Sputnik a demandé à une experte eurafricaine pourquoi il faut du nucléaire pour industrialiser l’Afrique et quels en sont les risques. Hormis l’Afrique du Sud, aucun pays africain n’a pour l’instant de centrale en activité.

«Bien sûr que l’énergie nucléaire fait peur et pas seulement quand on parle d’Afrique. Parfois, le débat, ici, en Europe, est surréaliste. Alors que c’est grâce au nucléaire civil que l’Europe s’est industrialisée. L’autre raison pour valoriser l’énergie nucléaire dans le mix énergétique des pays africains, c’est qu’elle permet la production d’une électricité avec zéro carbone», martèle Claude Fischer-Herzog, directrice d’ASCPE une société d’études et de formation sur les entretiens européens et eurafricains basée à Paris.

De retour d’Helsinki où elle a organisé les 12 et 13 novembre un colloque sur le thème: «Le nouveau nucléaire en Europe, une réponse aux mutations électriques de nos sociétés?», cette fervente militante d’un rapprochement entre les sociétés civiles européenne et africaine n’en démord pas. Face au double défi de la demande exponentielle d’électricité du fait des changements dans les modes de vie partout sur la planète et, en même temps, le besoin d’une réduction des gaz à effet de serre pour en diminuer les impacts négatifs sur le climat, la meilleure option est, et reste, celle du nucléaire civil. «C’est vrai pour l’Europe, qui peut apporter son expertise, comme pour l’Afrique», insiste-t-elle.

«L’Afrique ne représente actuellement que 3% du PIB mondial, c’est-à-dire qu’elle n’est ni dans le concert des nations, ni dans la globalisation. Si on prend en compte le fait qu’elle sera peuplée d’ici à 2050 de 2,4 milliards d’habitants, il n’y a plus de temps à perdre. Ses besoins énergétiques actuels ont été estimés par la Banque africaine de développement à 160 gigawatts. Ce qui représente deux fois plus que ce qu’elle ne produit actuellement. En 2050, ils auront doublé et sans le nucléaire, qui représente aujourd’hui à peine 1% dans son mix énergétique à l’instar du solaire, je ne vois pas comment elle pourra y arriver», s’est interrogée au micro de Sputnik France cette experte qui milite pour l’appropriation sociétale du nucléaire par les populations en Europe comme en Afrique.

Avec un taux d’électrification moyen de 43% et près de 33 pays africains (sur 54) qui sont en dessous du seuil des 20% d’électrification, il y a en effet un gap énorme par rapport aux besoins en énergie du continent s’il veut parvenir à se développer. Selon des chiffres compilés par la Banque mondiale, la production de 48 pays d’Afrique subsaharienne équivaut, aujourd’hui, à celle d’un seul pays européen de taille moyenne comme l’Espagne!

De surcroît, seuls cinq pays africains ont un taux d’électrification atteignant les 100% (Algérie, Égypte, Libye, Maroc et Tunisie). Viennent ensuite l’Afrique du Sud (85,4%), le Ghana (64%), le Sénégal (56,5%), la Côte d’Ivoire (55,8%) et le Nigeria (55,6%). Et, loin derrière, le Burkina Faso (20%), le Niger (16%), dont la France exploite pourtant l’uranium depuis des décennies, la République centrafricaine (14%) et, enfin, le Tchad (9%).

Aussi, après le coup d’arrêt en 2011 dû à l’accident dans la centrale de Fukushima, c’est toute l’Afrique qui s’interroge désormais sur la place du nucléaire dans son mix énergétique. Selon l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), dont le nouveau directeur général, le diplomate argentin Rafael Mariano Grossi, vient de prendre fonction le 3 décembre, un tiers des quelque 30 pays dans le monde qui envisagent d’adopter le nucléaire dans leur production d’électricité sont africains.L’Égypte, le Ghana, le Kenya, le Maroc, le Niger, le Nigeria et le Soudan se sont déjà engagés pour évaluer leur degré de compatibilité avec un programme nucléaire. L’Algérie, la Tunisie, l’Ouganda et la Zambie réfléchissent également à cette option. En plus de l’Afrique du Sud, le seul pays du continent à disposer d’une centrale nucléaire en activité au nord du Cap, au moins cinq autres pays africains devraient s’équiper à l’horizon 2025.

Claude Fischer Herzog, directrice des entretiens européens et eurafricains, experte sur l’appropriation sociétale du nucléaire civile par les populations.

«L’Afrique a soif d’énergie et l’énergie nucléaire pourrait faire partie de la solution pour un nombre croissant de pays», avait déclaré Mikhaïl Chudakov, directeur général adjoint de l’AIEA et chef du département de l’énergie nucléaire depuis février 2015, lors d’une conférence de presse organisée au siège de l’agence à Vienne, l’an dernier.

L’exemple du Kenya

D’où le souhait de la directrice d’ASCPE d’inviter un pays africain à Helsinki. Pour représenter le Kenya, dont la demande intérieure a explosé du fait d’une industrialisation aussi massive que rapide, Erik Owina Ohaga, un responsable de la Kenya Power and Lighting Company, a fait le déplacement. Il a expliqué lors du colloque auquel ont participé de nombreux décisionnaires européens du nucléaire qu’une plus grande diversification du mix énergétique kényan, jusque-là concentré sur la géothermie et l’éolien, était apparue comme une nécessité. Avec, comme autre avantage, la réduction de la dépendance énergétique du Kenya vis-à-vis de l’Éthiopie, la grande puissance hydraulique de la région, qui exporte une grande partie de sa production à ses voisins.

En se dotant d’une centrale nucléaire, ce pays reconnu comme l’un des plus prometteurs en Afrique de l’Est du fait du dynamisme de son entreprenariat privé, veut quadrupler sa production d’électricité qui doit passer de 1.000 MW en 2017 à 4.000 MW en 2027. Pour ce faire, le Kenya Nuclear Electricity Board (KNEB) a multiplié les partenariats à l’international. Selon son PDG, Collins Juma, des accords avec l’AIEA et la Chine afin d’y développer l’offre nucléaire la plus large possible, après la mise en place d’une autorité de surveillance, sont déjà signés. Compte tenu des «défis infrastructurels» que représente l’installation d’une telle centrale, celle-ci «ne peut être fonctionnelle qu’après 2027», rapporte la Lettre des entretiens européens d’ASCPE qui précise qu’en plus de l’intérêt manifesté par la Chine pour aider à sa construction, «la Corée du Sud, la France et la Slovaquie se sont également positionnées».

«Il faut environ neuf milliards d’euros pour construire une centrale nucléaire en Afrique. Même si cela paraît un chiffre énorme au départ, ensuite les dépenses sont réduites hormis pour le personnel qualifié et la maintenance. Donc, il ne reste plus que du cash-flow pour les investisseurs… Toutefois, les États africains, seuls, ne sont pas en mesure de réunir de telles sommes. D’où la nécessité de nouer et de multiplier les partenariats, non seulement pour l’expertise sur le choix des sites ou les études de faisabilité, mais aussi dans le financement préalable du projet, l’exploitation de l’uranium enrichi ou bien l’enfouissement des déchets radioactifs», commente Claude Fischer-Herzog au micro de Sputnik France.

À aucun moment, l’experte eurafricaine ne nie qu’il faille améliorer la gouvernance en Afrique avant de songer à y implanter des centrales. Mais elle rejette d’emblée la soi-disant dangerosité du nucléaire rappelant que les accidents de la route font 25.000 morts par an «sans que personne ne songe à arrêter l’industrie automobile!», clame-t-elle.

«Lorsqu’on s’engage dans le nucléaire, c’est pour 100 ans! Alors renversons les termes et voyons plutôt cela comme une opportunité pour susciter une plus grande stabilité politique en Afrique où l’on a un besoin crucial de cette énergie décarbonée pour se développer. C’est d’autant plus envisageable que 34 pays africains produisent de l’uranium. Or, ce minerai est vendu à très bas prix sur le marché mondial. Donc, pourquoi ne pas l’utiliser pour produire soi-même l’énergie dont on a besoin?», se demande Claude Fischer-Herzog.

L’offensive russe

Avec ses grandes entreprises et instituts comme EDF, Engie ou le CEA, la France maîtrise la totalité du cycle de l’atome. «C’est aussi le cas de la Russie», affirme l’experte eurafricaine. L’agence nucléaire russe Rosatom, qui officie depuis longtemps en Afrique, «est encore plus à l’offensive depuis le sommet de Sotchi!», ajoute-t-elle. Car, en plus des nouveaux réacteurs de type VVER, les Russes diversifient leurs technologies avec l’arrivée sur le marché des SMR (petit réacteur modulaire) et du nucléaire sur barge. Mais l’argument de vente des Russes réside dans le coût de leurs centrales «moins chères» et le fait que l’investissement est assorti de prêts avantageux pour une livraison «clé en main», constate-t-elle.

Les déclarations du directeur de Rosatom, Alexeï Likhatchiov, qui était à Sotchi, le 15 octobre dernier, aux côtés du Président Poutine, lors des rencontres bilatérales avec ses homologues africains, ou bien celles de Kirill Komarov, le premier directeur général adjoint de Rosatom en charge du développement et des affaires internationales, qui l’a répété dans deux entretiens avec des journaux français, ne laissent planer aucun doute à ce sujet. Non seulement la Russie a prévu d’investir 130 milliards d’euros dans son industrie nucléaire en 2019, mais la stratégie commerciale visant à livrer des centrales «clé en main» à ses clients va s’accélérer. Or, pour la directrice d’ASCPE, c’est là où le bât risque de blesser en ce qui concerne l’Afrique.

«En Afrique, clé en main, c’est compliqué, car il faut non seulement mettre en place des autorités de sécurité nucléaire, mais aussi former localement de la main d’œuvre qualifiée. Et, surtout, permettre aux populations de s’approprier le nucléaire afin de mieux le comprendre pour pouvoir l’accepter sur leur territoire. À Sotchi, le dialogue a été noué avec l’Éthiopie et le Rwanda. Les Russes sont déjà au Nigeria et au Kenya. Leur VVER est une bonne technologie et ils sont aussi beaucoup plus offensifs que les Occidentaux», note-t-elle.

Selon le chef de l’agence nucléaire russe, Rosatom dispose déjà de protocoles d’accord avec 18 pays africains parmi lesquels l’Égypte, le Nigeria, le Soudan, le Kenya, le Ghana, la Zambie et l’Ouganda. Pour l’instant, seule l’Égypte a prévu de lancer un chantier pour quatre réacteurs qui seront érigés à El-Dabaa, sur la Méditerranée, d’ici à 2028-2029. Mais la coopération avec la Zambie et le Rwanda devrait «aboutir très vite», a encore affirmé Alexeï Likhatchiov à Sotchi.

Il y a déjà au moins un pays d’Afrique francophone où Rosatom a supplanté l’un de ses principaux rivaux. Après la décision du groupe nucléaire français Orano (anciennement Areva) de réduire ses activités au Niger (cinquième pays au monde avec les réserves d’uranium les plus importantes), les autorités de Niamey ont trouvé dans l’agence nucléaire russe un nouvel allié potentiel. Non seulement pour les aider à développer les ressources du pays en uranium, mais aussi, sans doute, à s’équiper dans un futur proche!Bien que disposant de 20% des réserves mondiales d’uranium, indispensable pour faire tourner les réacteurs des centrales après transformation, l’expertise nucléaire reste encore très faible sur le continent. Un domaine dans lequel la France, la Russie, mais aussi la Chine, qui sont déjà des partenaires privilégiés de l’Afrique, font office de leaders mondiaux. Contrairement à la Russie, la Chine ne s’est pas appuyée sur le nucléaire pour intégrer le marché africain. Elle profite simplement de son poids économique pour vendre sa technologie comme au Kenya où le groupe China General Nuclear Power (CGN) a réussi à signer, l’an dernier, avec la KNEB grâce au «Hualong» (Dragon, en chinois), le réacteur de troisième génération de conception entièrement chinoise.

«S’il y a une industrie où la coopération est indispensable, c’est bien le nucléaire. Le respect des normes de sécurité, sous une autorité de tutelle, est indispensable et l’on doit pouvoir compter sur des opérateurs fiables d’où qu’ils viennent. L’Europe, par exemple, s’est fixée des normes encore supérieures aux normes mondiales. Parfois au détriment des investissements d’ailleurs… mais je reste persuadée que le développement de cette industrie sur le continent est une nouvelle chance pour l’Europe d’apporter à l’Afrique son expertise et son savoir-faire», clame Claude Fischer-Herzog.

Face aux enjeux économiques, sociaux et financiers, mais aussi éthiques et, bien-sûr, politiques que recouvre l’énergie nucléaire, son souhait est qu’elle soit mise au cœur d’une nouvelle coopération entre l’Europe et l’Afrique. Comme pour lui faire écho, le Parlement européen a adopté le 28 novembre une résolution soulignant, pour la première fois, l’importance de l’énergie nucléaire dans la transition énergétique de l’Europe. Il a donc appelé la Cop25 qui se déroule, cette année, à Madrid, du 2 au 13 décembre, à «prendre des mesures audacieuses et ambitieuses», parmi lesquelles la plus ambitieuse de toutes pourrait être une résolution votée en faveur de l’énergie nucléaire. Dans cette course mondiale à la production d’énergie verte ou décarbonée, quelle sera la place de l’Afrique?

«Les enjeux climatiques sont mondiaux mais l’exigence des pays développés d’une Afrique zéro carbone, comme on l’entend parfois, est irréaliste et irresponsable! Non seulement celle-ci ne contribue qu’à 4% au réchauffement climatique mais, en plus, elle devrait investir propre si elle veut le développement! À l’heure de la COP25, les pays africains qui le souhaitent doivent pouvoir faire le choix du nucléaire et bâtir un mix diversifié en valorisant tous leurs atouts décarbonés. Ce qui suppose de partager avec eux des technologies de décarbonation des énergies fossiles», conclut la directrice d’ASCPE.

Source: sputniknews

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