Depuis son installation en 2017, la Cellule Nationale de Traitement d’Informations Financières (CENTIF) produit régulièrement des rapports sur les différentes situations de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, dont le Mali est à la fois la source et la destination.
L’acuité et la dangerosité des situations rapportées et décrites auraient dû inciter à une vigoureuse réaction des autorités maliennes.
En effet, dans son rapport de 2019, la CENTIF révélait, avec des chiffres à l’appui, que notre pays était une plaque tournante des activités criminelles liées au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme. Le montant total des fonds suspects originaires du Mali a été établi à plus de 124 milliards de francs CFA, à la suite d’une hausse vertigineuse des flux financiers suspects, passés de près de 48 au montant sus- cité, soit une progression de 158, 42%.
Sur ce dernier chiffre, il ressort que plus de 111 milliards F CFA ont été clandestinement transférés hors du Mali par des expatriés d’origine asiatique. Et que ce montant colossal, débusqué à la suite d’une Déclaration d’Opérations Suspectes (DOS), a transité dans des comptes bancaires au nom de sociétés non reconnues par les structures de recettes de l’Administration fiscale, dont certaines étaient déclarées en cessation d’activité. Ce qui fonde les pratiques de fraude fiscale et de blanchiment par la fraude fiscale.
Ce rapport 2019 n’a, selon toutes les apparences, eu aucun impact (ou très peu) sur le renforcement de l’efficacité du dispositif malien de lutte contre ces pratiques criminelles.
Aggravation du phénomène
Le rapport 2020 de la Cellule Nationale de Traitement d’Informations Financières est, en effet, révélateur de l’aggravation du phénomène. Et les données fournies étayent l’enracinement des pratiques frauduleuses, favorisé par la grande vulnérabilité de nos dispositifs financiers.
Le recours quasi général au paiement par cash, la faible bancarisation de l’économie, le rôle (implicite) joué par les banques dans l’extension du phénomène et, par conséquent, la non traçabilité des fonds retirés, l’inapplication de la Loi contre la criminalité financière (alors que des cas avérés sont transmis à la justice), l’absence de volonté politique pour lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, entre autres, ont contribué à faire de notre pays une place propice aux pratiques financières criminelles.
La faible notation du Mali par rapport aux onze (11) indicateurs retenus par la CEDEAO pour évaluer le niveau d’opposition à ces pratiques, confirmée, entre autres, par la dissipation de 138 milliards F CFA (uniquement pour le dernier trimestre de 2020) à travers les Déclarations d’Opérations Suspectes, a failli valoir à notre pays la très peu enviable taxinomie de « pays voyou « .
Cette suprême sanction ne nous fut épargnée, de justesse, que par la délégation expresse de membres du gouvernement à Dakar, pour un plaidoyer ayant abouti à une suspension de peine. En attendant la prochaine évaluation. Qui, selon toute vraisemblance, pourrait être désastreuse. En raison de l’engoncement abyssal de notre pays dans les déviances financières et du temps forcément insuffisant pour les nombreuses, différentes et nécessaires rectifications devant être opérées en vue de se rapprocher de certaines normes.
Lourdes menaces sur l’économie
Les informations contenues dans cette chronique ne sont pas des révélations pour la majorité des Maliens. Elles sont un rappel destiné à garder une conscience vive des réalités de notre pays.
Alors que la fébrilité s’empare (déjà) des hommes politiques, qui invitent à la convergence des forces vives, à l’union sacrée autour des idéaux maliens, dont, eux, seraient (évidemment) les gourous, et que les militaires prennent de plus en plus goût au pouvoir, au point d’hypothéquer toutes les tentatives de démocratisation de la République, le terrorisme gagne inexorablement du terrain et fait planer de lourdes menaces sur notre économie, avec la complicité de nos gouvernants.
Les escamotages financiers, dénoncés et mis en exergue par Marimpa Samoura et son équipe, remontent certes assez loin mais ont surtout gagné en ampleur et en complexité au cours de la dernière décennie.
L’on pourrait gloser à souhait sur les faits, il reste irréfutable que l’emprise des jihado-terroristes s’est accentuée au cours des cinq dernières années, favorisée par l’invraisemblable gouvernance du régime défunt.
Manque de courage des dirigeants
Les millions distribués aux terroristes afin qu’ils autorisent et couvrent les déplacements de l’ex-président de la République, des anciens Premiers ministres et de certains ministres au Centre et au Nord ont contribué pour beaucoup à la consolidation du trésor de guerre des prêcheurs de la violence et de la barbarie.
Enrichis par le manque de courage des dirigeants maliens, les terroristes ont investi dans la drogue et le trafic des armes. Ces sommes colossales empruntent des voies détournées pour se transformer en richesses et prospérer.
Mais réduire le phénomène aux seules activités des terroristes reviendrait à l’analyser partiellement, à travers des œillères.
Le blanchiment de l’argent a été également impulsé par les détournements de deniers publics, ayant atteint au cours des dernières années des proportions effarantes. Des milliards, détournés sous le régime IBK, et dénoncés par la même CNTIF, ont servi à prendre des parts dans des multinationales installées à Dubaï, à Monaco, au Luxembourg et, surtout, à acquérir des appartements en France (Paris, Biarritz, Cannes…), en Angleterre, en Allemagne, en Turquie, aux Etats Unis (New York, Washington, Miami, Los Angeles et même à Las Vegas).
L’argent des pauvres contribuables a servi à réaliser les rêves les plus fous de Maliens véreux et sans scrupules, avec la bénédiction du système, dont les populations sont loin de mesurer la profonde propension à l’enrichissement illicite et le goût pour l’argent facile.
Protéger l’économie nationale
Les conséquences de ces pratiques financières frauduleuses et de la vulnérabilité de nos différents systèmes de contrôle financier sont inénarrables, rien que pour préserver la foi des Maliens en l’avenir de leur pays.
En tout cas, voici une autre et très bonne raison pour Moctar Ouane et son gouvernement d’inspirer et de faire réaliser des réformes essentielles. Comme celles visant à protéger notre économie et à assurer notre sécurité.
Notre pays est riche de compétences susceptibles de mener ces changements. La volonté politique va-t-elle encore faire défaut?
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Source: l’indépendant