Les négociations de la 25e Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques qui se sont conclues 48h au-delà de son terme officiel du 13 décembre à Madrid ont laissé un goût amer au groupe Afrique qui n’est pas satisfait de toutes ses attentes de cette COP25, selon le Malien Seyni Alfa Nafo, porte-parole du groupe Afrique.APA : En tant qu’Africain, êtes-vous satisfait de la participation de votre continent à la COP 25 ?
Seyni Nafo : Est-ce que je suis satisfait ? Non. Est-ce qu’on aurait pu faire plus ? Oui ! Est-ce que les résultats auraient pu être pires ? Effectivement ! C’est-à-dire qu’à cette COP, on n’a pas eu tout ce qu’on voulait, mais on a surtout évité ce qu’on ne voulait pas. Il y a une relative déception. Mais est-ce que l’Afrique parle d’une seule voix ? Plus que jamais (il se répète) ! Nous avons un dispositif bien rôdé, c’est-à-dire que la présidence du groupe africain est tournante entre les cinq régions. D’ailleurs, l’Egypte vient de terminer son mandat, c’est le Gabon qui va commencer à partir du 1er janvier. L’Afrique parle d’une seule voix au niveau des experts, au niveau ministériel et au niveau des chefs d‘Etat dont certains ont été mandatés par leurs pairs pour suivre des thématiques très précises. Par exemple les énergies renouvelables, l’adaptation de l’agriculture, les commissions régionales comme le Bassin du Congo ou celle portant sur le climat au Sahel.
Les attentes de l’Afrique à la COP25 étaient au nombre de trois : le marché carbone, le programme de travail du comité sur les pertes et préjudices et la situation spécifique de l’Afrique. (…) En effet l’adaptation est la priorité de l’Afrique, mais son financement est en crise. Nous avons souhaité que dans cette nouvelle négociation, dans la mise en place du nouveau mécanisme sur les marchés financiers, que ce prélèvement soit étendu à l’ensemble des mécanismes qui pourraient exister. La différence avec l’Accord de Paris est que tous les pays ont des obligations de réduction d’émission. Dans le monde avant la COP 21 de Paris, sous le protocole de Kyoto, seuls les pays développés avaient des obligations de réduction d’émission. (…) Sous l’Accord de Paris, vous pouvez avoir des crédits carbones qui sont échangés entre pays en développement. Avant c’était entre Sud-Nord, maintenant vous pouvez avoir Sud-Sud, Nord-Sud, … Potentiellement vous avez un marché dix fois plus important.
APA : Avec la réticence de certains pays et le retrait des Etats-Unis de l’Accord de Paris, quels sont les risques d’échecs de ce mécanisme du protocole de Kyoto ?
Seyni Nafo : Les Etats-Unis ne font pas partie du protocole de Kyoto, c’est-à-dire le mécanisme mis en place, ils n’ont jamais abordé le fond pour l’adaptation par exemple. Cependant, il y a trois risques (possibles) pour cet échec. Puisque vous avez maintenant un nombre important de participants, il y a le risque de fuite si les règles ne sont pas robustes. Vous pouvez vous retrouver dans une situation où le pays en développement vend ses réductions d’émission au pays développé et que chacun d’entre eux compte ses réductions d’émission. Au lieu d’avoir des émissions qui baissent, on peut se retrouver dans une situation contraire. Le plus gros risque ainsi est ce qu’on appelle « l’intégrité environnementale », c’est-à-dire avoir des règles qui vous assurent qu’il n’y a pas de double comptage. Le deuxième risque est le risque de désaccord sur l’adaptation en vue d’un prélèvement. Vous avez une baisse potentielle des revenus pour l’adaptation. Le dernier risque est que certains pays fassent des marchés bilatéraux qui n’auraient pas les mêmes degrés de conformité et de rigueur que pourra avoir un marché sous (la supervision des) Nations Unies.
APA : Que peut attendre l’Afrique de la COP 26 qui se tiendra à Glasgow en 2020 ?
Seyni Nafo : Pour la COP26, on espère d’abord que les négociations qui durent depuis 5 ans arriveront à terme sur les marchés carbone. Ce premier point sera la priorité absolue. En 2009, les pays développés avaient pris l’engagement de mobiliser jusqu’à 100 milliards de dollars par an pour l’objectif 2020. Alors, nous y sommes ! Donc nous attendons un rapport de ces pays. L’Afrique avait demandé à cette COP 25 qu’on puisse anticiper… Nous n’avons pas eu ce mandat, mais nous allons le demander probablement en 2020 pour évaluer cet objectif. L’année prochaine, nous démarrons également les négociations financières qui doivent aboutir à la nouvelle cible de mobilisation. Dernier point : les pays doivent venir en 2020, selon l’Accord de Paris, avec des politiques et programmes sur le climat. Déjà 80 pays se sont engagés à recevoir leur cible de réduction d’émission et en termes de résilience. L’année prochaine sera une grande COP. Le Royaume Uni s’est déjà engagé à faire du financement de l’adaptation une priorité absolue pour les pays les plus vulnérables. Dès le début de l’année, le groupe africain va se rapprocher de ce pays et de l’équipe de la présidence de la COP pour qu’on commence à travailler le plus rapidement possible.
Ce qui avait manqué à Madrid est que le Chili (président de la COP 25) s’est engagé un peu tard à cause de la situation sociopolitique à Santiago ; ce qui ne lui a pas permis de faire un lobbying de haut niveau et d’enclencher une grande manœuvre au niveau de la diplomatie. On a payé l’échec. Il faut le dire, la diplomatie du climat est une diplomatie comme toutes les autres.