L’Agence française de développement (AFD) est accusée de censure après la suspension sine die de la publication d’un dossier consacré au conflit au Mali par sa revue Afrique contemporaine. La polémique, qui secoue la recherche française, a entraîné des démissions en chaîne au sein du comité de rédaction.
Publication de référence, le prochain numéro de la revue Afrique Contemporaine a été suspendu de parution par son financeur, l’AFD, l’Agence française de développement. Pour cet organisme, considéré comme la “vitrine développement” de la politique étrangère française, le contenu du dossier, très critique envers l’action de la France au Mali, posait problème. Son directeur de publication, l’ancien conseiller Afrique de François Hollande, Thomas Melonio, a donc demandé à plusieurs reprises des modifications significatives du dossier prévu au sommaire de la revue, avant d’en suspendre sine die la parution.
Une décision qui a poussé le rédacteur en chef de la revue, Marc-Antoine Pérouse de Montclos, ainsi que quatre chercheurs membres du conseil scientifique de la revue, à démissionner en dénonçant un “blocage de nature politique” par l’AFD.
L’un d’eux, Yvan Guichaoua, chercheur rattaché à l’Université du Kent (Royaume-Uni) explique les raisons de sa démission dans une tribune parue sur le site Benbere. “Ces articles proposent une analyse sérieusement étayée de divers aspects de la situation politique au Mali. On peut ne pas être d’accord avec leurs conclusions mais leurs propos sont parfaitement légitimes sur le plan scientifique et ils reposent sur des bases empiriques solides.”
40 personnes parlent à ce sujet
Florent Geel, responsable Afrique de la FIDH, dont l’enquête de terrain a servi d’appui à un de ces articles, dénonce quant à lui “l’interventionnisme d’une structure, l’AFD, qui finance un magazine scientifique, et qui cherche à influencer le contenu de ces recherches et à contrer un discours critique.” Deux articles sont particulièrement incriminés, souligne-t-il : “l”un critique le caractère très militariste de l’intervention française et l’instrumentalisation en partie des forces des Nations Unies dans la lutte contre le terrorisme. L’autre dénonce les exactions des djihadistes, des milices, mais également de l’armée malienne. Ces dénonciations sont considérées comme diffamatoires comme s’il s’agissait de propos d’opinion alors qu’il s’agit de faits prouvés.”
En signe de solidarité, plus de 200 chercheurs ont signé une tribune dans le journal Le Monde dénonçant des “interférences politiques” de l’Agence française de développement. “Il arrive que les conclusions des chercheurs en sciences sociales déplaisent aux décideurs. De la même manière que la justice doit être indépendante de l’exécutif, l’indépendance académique n’est pourtant pas négociable. Elle est d’autant plus cruciale que le chercheur a besoin de sérieuses garanties pour être en mesure de critiquer l’institution qui le paie”.
“Il n’a jamais été question d’interdire à qui que ce soit de s’exprimer”
A l’AFD, on récuse avec vigueur l’accusation de censure et on assure, au contraire, avoir demandé que des articles complémentaires puissent être ajoutés au dossier. “Il n’a jamais été question d’interdire à qui que ce soit de s’exprimer” se défend Thomas Melonio. “En revanche dès lors qu’un contenu très tranché et polémique, relevant de la controverse scientifique, est exprimé, il faut des contrepoints pour qu’il y ait du pluralisme. C’est dans le cadre de ce processus éditorial que nous avons eu un différend avec le rédacteur en chef pour que des points de vue complémentaires soit apportés”.
“Comme dans toutes les revues scientifiques, les articles sont validés par des référés externes” reprend Thomas Melonio, c’est-à-dire d’abord soumis à relecture par “des gens qui ne connaissent pas le nom de l’auteur et qui peuvent apporter des commentaires scientifiques. Tout article validé par des référés externes à vocation à être publié. Mais la responsabilité de l’équipe de rédaction est ensuite de proposer un ensemble complet qui puisse, dans un sujet comme le Mali, assurer l’intégralité des points de vue et des angles pertinents pour aborder le conflit malien”.
Un conflit enlisé
Pour l’AFD, comme pour d’autres institutions françaises impliquées dans la gestion du conflit au Mali, la question malienne est particulièrement sensible, tant l’impasse dans laquelle se trouve ce pays, au bout de sept ans de guerre, est révélatrice des limites de l’approche sécuritaire et militaire mise en oeuvre, couplée au manque d’efficacité d’une politique de développement extrêmement coûteuse mais enlisée faute de gouvernance.
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