L’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales est un phénomène qui prend de l’ampleur au Mali. Conscient de cet état de fait, les acteurs sont à pied d’œuvre pour lutter contre le fléau. C’est ainsi qu’un atelier de renforcement de capacité des journalistes a été organisé en mars 2019 par l’Association pour la promotion des jeunes et enfants communicateurs (APJEC) et l’Association contre l’exploitation sexuelle des enfants au Mali (ACESEM) avec l’appui technique du bureau de la coordination d’Ecpat Luxembourg. Outre les journalistes, plusieurs acteurs ont pris part à cet atelier dont l’Organisation non gouvernementale (ONG) Avenir Enfant Sahel (AV.E.S). Ainsi, dans le cadre de la campagne médiatique autour des problématiques de l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales (ESEC) au Mali, le directeur exécutif de l’ONG AV.E.S, Namory Keïta a bien voulu nous accorder une interview. Dans cette interview, il invite l’Etat malien à prendre conscience du phénomène. Lisez !
Le Républicain : Pouvez-vous nous parler de votre structure ?
L’avènement de l’ONG AV.E.S comme structure de développement, est la résultante d’un long processus. Elle a été créée en 2002, suite au désengagement de Save the Children UK, par des cadres nationaux qui travaillaient au compte de cette organisation. De sa création à nos jours, AV.E.S. a su se maintenir au rang des ONG opérationnelles. Aujourd’hui, la structure entend développer son rayonnement tant au Mali que dans l’ensemble du Sahel. Notre vision est de devenir une structure de référence dans un sahel où tous les enfants jouissent pleinement de leurs droits. La mission principale de AVES est de promouvoir le bien être des enfants avec leur pleine participation. L’un des objectifs de AVES est de contribuer à la promotion et à la protection des droits de l’enfant au Mali et dans le Sahel, par l’information – Education – Communication, le plaidoyer / lobbying et l’initiation d’activités économiques. Nos activités tournent autour de la protection des droits de l’enfant, les activités de suivie de l’enfant et le développement de l’enfant.
Le Républicain : Pouvez-vous nous faire un commentaire sur le partenariat qui existe entre votre structure et Ecpat Luxembourg qui a comme cheval de batail la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants ?
Notre collaboration avec Ecpat Luxembourg date depuis 2007. De 2007 à nos jours, nous avons réalisé avec Ecpat Luxembourg trois projets triennaux. Le dernier projet triennal vient de prendre fin. L’exploitation sexuelle des enfants, la protection des enfants est le centre d’intérêt qui lie Ecpat Luxembourg à Avenir enfant sahel. L’exploitation sexuelle des enfants est une réalité au Mali. Nous nous inscrivons dans la lutte contre cette réalité qui est en train de gagner du terrain au Mali comme dans le reste du monde. Je ne suis pas le financier, je me garde d’avancer des montants. Mais globalement, l’appui financier de Ecpat Luxembourg à Avenir enfant sahel doit être plus de 100 millions de FCFA.
Le Républicain : Quelle explication donnez-vous sur le phénomène de l’exploitation sexuelle des enfants au Mali ?
L’exploitation sexuelle des enfants est un phénomène qui a pris de l’ampleur par la mondialisation. Le monde est un village planétaire. Avec l’influence des medias, avec l’interpénétration culturelle, le phénomène a pris de l’ampleur. Et la cause fondamentale de cette exploitation sexuelle des enfants au Mali est liée à la pauvreté des ménages, à la baisse de l’éducation et des parents et à l’école. Comme les autres fléaux comme le Sida, l’excision, l’exploitation sexuelle des enfants doit être portée à un niveau national, doit avoir un soutien dans la politique nationale dans la protection de l’enfant.
Le Républicain : En cas de crime commis dans le cadre de l’exploitation sexuelle des enfants au Mali, on a tendance à gérer la situation à l’amiable, alors comment faire pour transcender les pesanteurs socioculturelles au Mali afin que justice soit rendue aux victimes ?
C’est une question très complexe, si on arrivait à résoudre cette question, on dira qu’on a pu évoluer sur le phénomène. Les pesanteurs socioculturelles sont vraiment très importantes et pour moi c’est l’handicap dans la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants. Pour venir à bout de ça, c’est un travail de longue halène d’information et de sensibilisation de toutes les couches socioculturelles impliquées dans le phénomène à commencer d’abord par les parents qui doivent saisir les autorités compétentes en la matière en cas d’exploitation sexuelle des enfants. C’est un serpent qui se morde la queux parce qu’on dit que c’est entre nous, on ne s’en sort pas. Et si on veut s’en sortir aussi, on est traité comme quelqu’un qui n’a pas d’égard envers les autres, il a osé amener le cousin de sa femme à la justice, s’en est fini une fois pour toute, le phénomène est très complexe. Il faut voir de près ces pesanteurs socioculturelles, quelles sont ses impacts très négatifs sur le jeune garçon ou la jeune fille victime et amener les parents et les autres acteurs à oser franchir le pas vers l’action judiciaire.
Le Républicain : Au-delà de l’information et de la sensibilisation que vous disiez tantôt, qu’est ce qui doit être fait pour la cessation de la pratique ?
Si on arrivait à améliorer l’offre d’éducation scolaire, ça serait une très bonne chose. Parce que généralement, les victimes sont des déscolarisés précoces. Faire en sorte que les filles soient maintenues autant que possible à l’école. Il faut augmenter l’offre d’éducation à la maison et à l’école. Ecpat Luxembourg a commencé le combat, la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants mais il faut aussi inscrire dans les programmes nationaux de protection des enfants. C’est à partir de là qu’on va prendre en compte dans la politique même. Tant que ça n’a pas un encrage institutionnel politique important, la lutte contre le phénomène va être difficile.
Le Républicain : Votre mot de la fin ?
Je dirais aux autorités de prendre à bras le corps, d’insérer la question de l’exploitation sexuelle des enfants dans les programmes nationaux et de faire le maximum de mobilisation des ressources financières pour qu’on puisse engager des projets d’information et de sensibilisation de toutes les couches. Jusque là ce sont des actions isolées faites par les ONG qui ont des portés peu longues. Les ONG sont là un, deux ou trois ans mais ce qui reste, c’est l’Etat. Nous ONG, on met la piste à l’oreille mais c’est à l’Etat de continuer. Et si l’Etat n’insère pas dans ses programmes nationaux, l’Etat n’en fait pas un problème, vous voyez quel est le problème. L’appel que j’ai à lancer à l’Etat, c’est de prendre conscience du phénomène.
Propos recueillis par Aguibou Sogodogo
Source: Le Républicain