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L’accord politique et l’article 50 de la Constitution : Grossière erreur !

C’est devenu un exercice de routine au Mali où l’on se plaît généralement à se référer à la Constitution comme pour mieux la violer. L’Accord politique de gouvernance du 02 mai 2019 ne fait pas exception à cette règle qui n’honore guère la République. Certes, l’analyse de l’Accord révèle à bien des égards, la volonté manifeste de ces rédacteurs de ne pas s’égarer hors du champ constitutionnel et de se protéger ainsi contre d’éventuelles dérives de sortie de piste institutionnelle. Analyse du Dr Brahima Fomba.

A cet égard, les articles 29, 38 et 55 de la Constitution cités dans le Préambule de l’Accord paraissent justifiés, comme pour rappeler à ceux qui ne l’auraient pas compris, que l’on reste bien dans le cadre républicain et que l’Accord ne se confond nullement avec ces montages institutionnels grotesques dont on est si familier dans les contrées africaines.

Ce corpus constitutionnel de référence de l’Accord met l’accent sur les prérogatives constitutionnelles du Président de la République mentionnées à l’article 29, liées à son statut de «gardien de la Constitution, d’incarnation de l’unité nationale, de garant de l’indépendance nationale et de l’intégrité du territoire » et sa mission lui faisant obligation de « veiller au fonctionnement régulier des pouvoirs publics et assurer la continuité de l’Etat ». Le corpus renvoie également à l’article 38 qui interdit toute remise en cause des pouvoirs présidentiels de nomination du Premier ministre et des ministres. Par ailleurs, le renvoi à l’article 55 permet de faire du Premier ministre le maître d’œuvre de l’Accord politique en sa qualité constitutionnelle de Chef du Gouvernement responsable à ce titre de « la direction et de la coordination de l’action gouvernementale ». On aurait même dû y ajouter l’article 53 selon lequel « le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation ». En tout état de cause, le corpus constitutionnel de fondement de l’Accord politique de gouvernance du 2 mai 2019 ne devrait aucunement renvoyer à l’article 50 de la Constitution dans lequel l’Accord politique ne saurait trouver un quelconque fondement juridique. Les rédacteurs de l’Accord ont commis à cet égard une grossière erreur en se référant à cet article au niveau de son Préambule. Cette énormité juridique est formulée ainsi qu’il suit : « Qu’en vertu des dispositions pertinentes des articles 29 et 50 de la Constitution, le Président de la République lui-même est l’initiateur et le garant de la mise en œuvre de l’accord ; Que les mesures qui seront initiées visent à assurer la continuité de l’Etat et le rétablissement du fonctionnement régulier des institutions de la République… ».

Depuis quand au Mali, la continuité de l’Etat et le fonctionnement régulier des institutions de la République ont-ils été rompus ? Même si par extraordinaire tel était le cas, dans quelle mesure l’Accord politique de gouvernance du 2 mai 2019 contribue-t-il véritablement à « assurer la continuité » rompue de l’Etat et à « rétablir » le fonctionnement régulier des institutions de la République ? L’article 50 de la Constitution n’a rien à faire au sein des argumentaires juridiques de fondement de l’Accord politique.

En vérité, la référence à l’article 50 dans le Préambule de l’Accord témoigne éloquemment d’une interprétation totalement erronée que ses rédacteurs font de cette disposition constitutionnelle.

L’article 50 est ainsi libellé : « Lorsque les Institutions de la République, l’indépendance de la Nation l’intégrité du territoire national, l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier les pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exceptionnelles exigées par ces circonstances après consultation du Premier Ministre, des Présidents de l’Assemblée Nationale et du Haut Conseil des Collectivités ainsi que de la Cour Constitutionnelle.  Il en informe la Nation par un message. L’application de ces pouvoirs exceptionnels par le Président de la République ne doit en aucun cas compromettre la souveraineté nationale ni l’intégrité territoriale. Les pouvoirs exceptionnels doivent viser à assurer la continuité de l’Etat et le rétablissement dans les brefs délais du fonctionnement régulier des institutions conformément à la Constitution.  L’Assemblée Nationale se réunit de plein droit et ne peut être dissoute pendant l’exercice des pouvoirs exceptionnels ».

La référence à cet article au niveau du Préambule de l’Accord relève d’une méconnaissance de la signification et surtout de la portée juridique de cette disposition constitutionnelle. Aucune des deux conditions cumulatives posées par l’article 50 n’est réunie pour rendre son application possible à travers l’Accord politique de gouvernance. Il faudrait au préalable une menace grave et immédiate sur les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité du territoire national, l’exécution des engagements internationaux du Mali. Il faudrait en plus une interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels.  Au regard de ces dispositions, les rédacteurs de l’Accord doivent prouver que la continuité de l’Etat et le fonctionnement régulier des institutions de la République sont actuellement rompus au Mali. C’est seulement lorsque ces deux conditions sont réunies que le Président de la République est fondé à recourir à l’article 50. Mais de quelle manière ? Non pas par une dilution de ses prérogatives constitutionnelles dans un cocktail politique indigeste de partage de gâteau pompeusement dénommée Accord politique de gouvernance. Mais plutôt en prenant les mesures exceptionnelles exigées par ces circonstances devant viser à assurer la continuité de l’Etat et le rétablissement du fonctionnement régulier des institutions. En aucun cas, un soi-disant Accord politique de gouvernance ne saurait tenir lieu de « mesures exceptionnelle » visant à assurer la continuité de l’Etat et le rétablissement du fonctionnement régulier des institutions de la République. Le régime juridique consécutif à une mise en œuvre de l’article 50 n’a absolument rien à voir avec la signature d’un simple accord politique. Il faut savoir qu’un tel régime juridique consacre en fait la mise en parenthèse de l’Etat de droit normalement prévu par la Constitution et permet par voie de conséquence au Président de la République d’y déroger. Plutôt que de conduire à un Accord politique de partage de pouvoir pour ne pas dire de gâteau, les mesures exceptionnelles de mise en œuvre de l’article 50 doivent concourir au contraire à concentrer entre les mains du Président de la République, la totalité des pouvoirs l’autorisant ainsi à décider seul dans des domaines qui, en période normale, exigeraient l’intervention de l’Assemblée nationale et/ou du gouvernement et même des forces vives de la nation y compris les partis politiques.

Il faudrait se garder de dramatiser à ce point l’Accord politique de gouvernance du 2 mai 2019 qui ne mérite pas autant d’honneur sur le plan juridique. Il ne représente même pas un modèle enviable dans tous ces types de compromissions politiciennes dont les Maliens ont l’habitude au fil des régimes qu’ils ont vu passer. L’Accord politique de gouvernance du 2 mai 2019 a toutes les allures d’une « OPA » peu glorieuse opérée sur le 5 Avril 2019 par des leaders sans leadership réel, en fin de cycle politique, agissant en bande organisée avec de minuscules partis politiques insignifiants dont la réalité politique se résume au petit bout de récépissé qu’ils gardent jalousement dans des fonds de tiroirs. Une telle association de politiques et de partis en mal d’audience et de reconnaissance pouvait-elle espérer mieux du Président IBK qu’une simple adhésion à son Programme présidentiel teinté d’un catalogue hétéroclite de vœux pieux ? L’Accord politique de gouvernance du 2 mai 2019 ne vaut pas plus que ça : un simple partage de prébendes concocté lors de conciliabules menés en catimini dans des salons feutrés à l’abri du regard du peuple souverain du Mali.

Dr Brahima FOMBA Université des Sciences

Juridiques et Politiques de Bamako (USJP)

Source: L’ Aube

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