Au-delà des annonces du président Félix Tshisekedi, c’est tout un pays qui se lève contre l’hydre de la corruption qui lui fait perdre chaque année 15 milliards de dollars.
La dernière mission du Fonds monétaire international, l’Union européenne et la société civile viennent successivement de jeter une lumière crue sur l’ampleur de la corruption en République démocratique du Congo. Rien de bien nouveau sous le soleil. Sauf que depuis le 24 janvier 2019, le géant d’Afrique centrale a un président de la République, Félix Tshisekedi, qui dit vouloir lutter de toutes ses forces contre ce fléau qui fait perdre chaque année à la nation entre 15 et 20 milliards de dollars, alors que le budget national tourne lui en moyenne autour de 5 milliards de dollars. Alors, que faire ?
Le vote du budget, un moment décisif
Tout a commencé début novembre, lorsque le Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba a déposé à l’Assemblée nationale le projet de budget 2020. Arrêté à 10,2 milliards de dollars en recettes et en dépenses – contre 5,5 pour l’année en cours –, c’est un budget historiquement haut avec un taux d’accroissement de 63,2 % par rapport à 2019. Un budget qui n’a pas été facile à boucler. Et qui a aussitôt inquiété le FMI actuellement en mission à Kinshasa. « C’est très rare qu’un pays soit capable d’augmenter ses revenus de 50 à 60 % d’une année sur l’autre », a réagi son représentant à Kinshasa, Philippe Égoume, cité par Bloomberg.
Corruption à tous les étages
Pays riche en minerais (or, coltan, cobalt…), la RDC est l’un des pays les plus pauvres du monde, avec un revenu moyen de 457 dollars par an et par habitant. La faute, en partie, à une corruption intensive : la RDC occupe la 161e place – sur 180 – dans le classement de Transparency International sur la corruption publié en janvier 2019. Mais ce n’est pas la seule explication, car le mal remonte à très loin. Selon l’étude consacrée à la corruption publiée en 2013 par Oasis Kodila Tedika, chercheur à l’université de Kinshasa, la corruption existait déjà en RDC sous la colonisation belge et a durablement affecté la période postcoloniale et atteignant un statut de règle absolue sous sa forme étatique lors de la deuxième république sous le président Mobutu.
S’il s’est exprimé à plusieurs reprises sur le sujet, le premier discours à la nation de Félix Tshisekedi tenu vendredi 13 décembre était très attendu, alors que les premiers résultats ne semblent pas satisfaisants. Parce qu’en RDC, la diversité de la corruption renvoie aussi bien à la petite corruption qui touche le citoyen lambda dans son quotidien qu’à la grande corruption qui s’insinue au sein même des structures étatiques, et ce au plus haut niveau. Exemple : au quotidien, le simple chauffeur de taxi est toujours « rançonné » par des agents du « roulage » (des policiers en charge de la circulation), « comme au temps du président Kabila », déplore l’avocat et militant des droits de l’homme, Jean-Claude Katende. « Je suis au courant de la persistance des pratiques de la corruption et de l’existence des réseaux de fraude massive », a asséné le nouveau président devant le Parlement. « Tous ces réseaux seront démantelés. Et je serai intraitable dans la lutte contre la corruption », a-t-il répété à plusieurs reprises.
Vers la création d’une agence de lutte anticorruption ?
Le président a détaillé les contours de l’hydre à mille têtes : harcèlement des PME par des agents non-habilités, « dizaines » de services aux frontières contre quatre prévues par la loi, « barrières » routières de péages illégaux, qui « doivent être supprimées immédiatement ». Mais au-delà d’une « cellule du climat des affaires » pour lutter contre le « harcèlement fiscal » des entrepreneurs, et d’une « agence pour le changement des mentalités » déjà annoncée, Félix Tshisekedi n’est que timidement entré dans le vif des propositions concrètes. Il a souhaité la création « d’une juridiction spécialisée dans la lutte contre la fraude fiscale, le blanchiment des capitaux ainsi que le détournement des deniers publics », devant un parterre d’officiels, dont son directeur de cabinet Vital Kamerhe. Ce dernier est l’un des quatre responsables cités par l’Inspection générale des finances (IGF) dans un rapport sur l’affaire des 15 millions de dollars qui ont échappé au Trésor public. Le parquet a annoncé une enquête en août, sans suite jusqu’à présent.
Autre exemple, un autre proche collaborateur du chef de l’État a été incarcéré récemment pour avoir concédé de manière illégale un mandat à une entreprise canadienne intéressée par l’exploitation de diamants. Il a été remis en liberté jeudi soir.
Le président l’a lui-même souligné : « La RDC est parmi les pays les plus corrompus du monde. Mais vous n’avez jamais un seul procès qui met en cause les corrompus et les corrupteurs. » « Soit la justice n’est pas prête, soit elle n’a pas l’expertise », poursuit-il, souhaitant une véritable « agence de lutte anticorruption » en lieu et place de l’« agence pour le changement des mentalités » qui ne produit aucun effet.
La société civile en première ligne
À Kigali, le lanceur d’alerte congolais réfugié en France Jean-Jacques Lumumba a reçu lundi un prix contre la corruption, en présence du président rwandais Paul Kagame. Le petit-neveu du héros de l’indépendance congolaise Patrice Lumumba reconnaît que le voisin rwandais est un exemple : « C’est le deuxième pays le moins corrompu d’Afrique. Il a fait des progrès sur la coercition et la répression. On sent dans la ville que les personnes ont peur d’être attrapées pour des faits de corruption. »
Lundi à l’occasion d’une journée mondiale contre la corruption, un mouvement Unis a décrété 2020 « année de lutte contre la corruption » en RDC. Son coordinateur, Jimmy Kande – cadre bancaire comme Jean-Jacques Lumumba –, veut attaquer le mal à la racine : « En 2020, nous allons travailler avec les écoles pour que les élèves et les écoliers soient sensibilisés aux conséquences de la corruption. » Regroupées dans un mouvement le « Congo n’est pas à vendre », une dizaine d’ONG congolaises ont redemandé au président Tshisekedi d’afficher « la rigueur de la sanction inconditionnelle contre les auteurs des détournements et de la corruption ».
Par Le Point Afrique