Il est incontestable que depuis bientôt une année, c’est le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP) qui occupe le devant de la scène sociopolitique au Mali. Toute chose qui lui a valu d’être, qu’on le veuille ou pas, la bête noire des tenants du pouvoir d’Etat, tant sous le régime défunt qu’au cours de cette transition-ci.
A bien disserter sur les tenants et les aboutissants de la lutte engagée par le M5-RFP depuis bientôt un an, on admettrait volontiers que la force de ce mouvement populaire réside essentiellement dans la constance exemplaire dont il a su faire preuve, dans la défense de ses idéaux vis-à-vis de la gouvernance du pays. A l’image de toutes les organisations populaires, le M5-RFP a, lui-aussi, connu des hauts et des bas dans son combat de tous les jours. C’est ainsi qu’après avoir réussi, avec l’aide d’une junte militaire, à renverser le régime IBK dont il était le principal contempteur, le M5-RFP s’est vu écarté de la gestion de la transition dont les rênes sont tenues par les militaires qui ont perpétré le putsch ce 18 août 2020. Dès lors, comme il fallait s’y attendre, une espèce de ressentiment s’est installée entre la junte et le M5-RFP avec pour conséquence évidente la crispation du climat sociopolitique au cours de la transition. C’est en raison justement de cette crispation, symbolisée par l’état de défiance entre les deux principaux ‘’tombeurs’’ du régime défunt, que l’acheminement de la transition a semblé prendre du plomb dans l’aile. Mais comme le dit l’adage ‘’à quelque chose malheur est bon’’, une crise profonde a éclaté au sommet de l’Etat, entrainant la démission du Président de la Transition et celle de son Premier ministre.
Face à cette situation, la Cour Constitutionnelle du Mali a déclaré que le vice-président de la Transition, Assimi Goïta, occupe désormais les fonctions de Président de la Transition
Fort de cette décision judiciaire qui fait de lui la plus haute autorité du pays pendant cette transition, Assimi Goïta a demandé au M5-RFP de lui proposer quelqu’un en son sein pour prendre les rênes du gouvernement de transition en remplacement de Moctar Ouane, le PM démissionnaire. Si les maliens se sont fortement réjouis de cette main tendue du ‘’nouveau’’ président de la Transition au mouvement contestataire, c’est parce qu’ils se convainquent que ce rapprochement entre les deux principaux protagonistes pourrait largement contribuer à endiguer le fossé qui les sépare et du coup le climat sociopolitique se verrait fortement apaisé. Eh bien à l’unanimité des membres de son Comité Stratégique, c’est sur Choguel Kokalla Maïga que le M5-RFP a jeté son dévolu pour le poste de Premier ministre de la Transition. Si ce choix convenait au désormais président de la Transition, Assimi Goïta, et que Choguel soit nommé Premier ministre de la Transition, alors le citoyen ‘’lambda’’ malien resterait perplexe devant certaines questions qu’il pourrait se poser. On se souvient que lors de sa rencontre avec Bah N’Daw, alors président de la Transition, le jeudi 6 mai 2021, le mouvement contempteur du régime IBK avait revendiqué l’application de dix (10) mesures pour ‘’la rectification de la transition’’ et au nombre desquelles, la dissolution du gouvernement et celle du CNT.
Mais là où le bât a blessé et qui a semblé totalement incongru est, aussitôt la dissolution du gouvernement ‘’Moctar Ouane’’ a été faite et à charge pour ce dernier (reconduit) de constituer une nouvelle équipe gouvernementale de ‘’grande ouverture’’, le M5-RFP s’était aussitôt fendu d’un communiqué qu’il a rendu public et dans lequel il a annoncé, sans ambages, son refus d’intégrer le nouveau gouvernement en ces termes : « Le M5-RFP prend acte de la démission du Premier ministre Moctar Ouane et rappelle qu’il n’a été ni consulté ni associé à ce changement, qui, de toute manière, ne répond ni à ses attentes ni à ses dix (10) mesures formulées le 6 mai 2021, lors de sa rencontre avec le président de la Transition, Bah N’Daw… ». Si Choguel accepte maintenant la main tendue du président Assimi Goïta, en endossant le costume de Premier ministre de la Transition, que deviendront alors les dix (10) mesures revendiquées à cor et à cri par le M5-RFP pour la ‘’rectification de la transition’’ ?
En tant que Premier ministre de la Transition, le président du Comité Stratégique du M5-RFP oserait-il ramer à contrecourant de la junte ?
Nul n’ignore qu’actuellement le Mali traverse une période charnière de son existence, du fait d’une transition très tumultueuse. Pour juguler les difficultés liées aux différentes crises, ce sont tous les maliens qui sont interpelés avec les autorités de la transition en tête. A cet effet il est nécessaire que le président de la Transition puisse faire en sorte de fédérer l’unanimité autour de ses actions, en s’attachant les services d’une personnalité dont l’aura est sans conteste dans la société malienne. Choguel répond-il parfaitement à ce critère ? Quoi qu’il en soit, un tandem formé d’Assimi et de Choguel contribuera à apaiser, très significativement, la tension qui est perceptible dans maints domaines de notre société. En effet, se voyant proposer les rênes du gouvernement, deux alternatives s’offriraient alors à Choguel. Soit il accepte ou soit il refuse. En cas d’acceptation, les maliens l’observeront à la tâche car, comme le dit l’adage, « c’est au pied du mur que l’on reconnait le vrai maçon ». Avec le M5-RFP à la ‘’Primature’’, les maliens pourraient espérer, ne serait-ce que pour un laps de temps, la cessation des manifestations populaires tous azimuts car les nuages pourraient se dissiper entre la junte et la classe politique.
Mais au cas où Choguel se verrait proposer les rênes de la ‘’Primature’’ et qu’il refuse, alors il paraitra aux yeux de l’opinion nationale comme un ‘’aigri’’ qui ne peut que s’insurger sans jamais proposer de solution
L’opinion nationale ne lui pardonnera pas cette frilosité, lui qui s’est toujours illustré par ses oppositions virulentes contre le pouvoir d’Etat, dès lors qu’il n’en fait pas partie. Du coup il perdra en estime auprès de l’opinion nationale. C’est dire que dans l’un ou l’autre des deux cas (acceptation ou refus de la proposition), c’est la transition qui s’en sortirait renforcée, soit en réussissant à concilier les positions de ses principaux acteurs, soit alors en réduisant au silence un d’entre ceux-ci qui rechigne à assumer des responsabilités. Alors pourquoi ne pas tenter un tandem entre Assimi Goïta et Choguel K. Maïga ?
El Hadj Mamadou GABA
Source: LE SOIR DE BAMAKO