INFOGRAPHIE – « La route de la Méditerranée centrale », comme l’appellent les spécialistes, convoie le plus d’immigrés clandestins vers l’Europe.
Ancien guide touristique dans le désert du Sud libyen, Ahmed ne voit plus aujourd’hui passer que des migrants venus d’Afrique noire dans sa ville de Sebah. «Il y en a énormément et ils sont de plus en plus nombreux», affirmait-il vendredi au téléphone. «Ils rentrent comme ils veulent», ajoutait Ahmed. «Qui peut les arrêter? Le gouvernement de Tripoli ne fait rien pour le Sud libyen. Ici, il n’y a pas de force de sécurité pour garder la frontière, et il n’y a pas de travail, rien à faire…»
Dans cette Libye sans État où les milices armées font la loi, le trafic des clandestins, parmi ceux des armes et de la drogue, est en pleine expansion. Ce pays est devenu l’ultime point de passage sur le continent africain pour des milliers de pauvres hères rêvant de gagner l’Europe. N’ayant plus d’argent pour payer les passeurs, ou ayant été rançonnés par ces derniers, certains demeurent coincés à Tripoli ou Benghazi. Les centres pour immigrés clandestins étant saturés, la capitale libyenne a même réquisitionné son zoo, vidé de ses animaux et fermé depuis la révolution! On peut y croiser les migrants qui n’ont pu embarquer sur des navigations de fortune à destination des côtes italiennes de l’île de Lampedusa, des Pouilles ou de la Calabre.
Une porte d’entrée
La route migratoire qui partait de l’Afrique vers l’île portugaise des Açores et celle qui traversait le Maroc ou l’Algérie à destination de l’Espagne sont aujourd’hui beaucoup moins fréquentées, les contrôles ayant été renforcés. C’est donc vers la Libye que converge maintenant l’essentiel de l’émigration clandestine africaine. Se retrouvent dans ce pays les Subsahariens venus de l’ouest de l’Afrique et ceux qui fuient la Corne de l’Afrique.
C’est cette dernière filière, «la route de la Méditerranée centrale», comme l’appellent les spécialistes, qui aujourd’hui convoie le plus d’immigrés clandestins vers l’Europe. Entre janvier et septembre 2013, l’agence veillant sur les frontières extérieures de l’Europe (Frontex) a enregistré pas moins de 31.500 migrants clandestins sur les côtes italiennes. Ils étaient environ 10.000 en 2012.
Izabella Cooper, qui travaille pour Frontex, a retracé le chemin de ces migrants qui, fuyant la dictature d’Érythrée et la misère de Somalie, passent par le Soudan, puis soit par l’Égypte, soit par le Tchad, pour gagner la Libye. Pendant des années, affirme Izabella Cooper, la route de la Méditerranée centrale a été une importante porte d’entrée en Europe. En 2008, 4 000 migrants ont été enregistrés, pour la plupart sur les îles de Malte et de Lampedusa. En 2009, un accord entre l’Italie et la Libye a fait baisser la pression migratoire. Mais celle-ci est repartie de plus belle lors du printemps arabe de 2011. Cette année-là, 60. 000 migrants environ ont fui la Tunisie et la Libye.
Avec la chute du régime de Kadhafi et la chasse aux Africains noirs de peau (les rebelles libyens les accusaient fallacieusement d’avoir soutenu la dictature), l’immigration clandestine a baissé, pour atteindre moins de 10.000 personnes en 2012. «Mais aujourd’hui, constate Izabella Cooper, la pression migratoire des derniers mois est comparable à celle de 2011.»