Dans ce billet, le blogueur Yacouba Dramé revient sur une légende qui a encore cours dans la région de Mopti, selon laquelle l’histoire du football malien est aussi celle d’une malédiction.
Les Aigles du Mali viennent une fois de plus de s’incliner devant les Éléphants de la Côte d’Ivoire lors des huitièmes de finale de la CAN 2019, en Égypte. Cette défaite ravive les tensions et les pensées négatives sur le football malien.
Ils sont nombreux les supporteurs maliens à croire à une malédiction, qui frapperait le football malien. Selon une ancienne légende, très répandue notamment dans la région de Mopti et à laquelle certains croient dur comme fer, un grand marabout de Djenné aurait maudit ce sport. Macki Baye, arbitre national, en a entendu parler, mais n’y croit pas le moins du monde. Pour lui, tout cela relève de la légende : « Je pense que les jeunes ont fait un très bon parcours, mais ils n’ont pas été efficaces devant les buts. De là à dire que le football malien est maudit, je n’y crois pas du tout. »
Je partage cette conviction, mais pour beaucoup de Maliens, cette vieille histoire pourrait être à l’origine de cette déception à chaque fois renouvelée. A l’indépendance, les dirigeants du Mali, nouvel État, ont décidé de continuer avec la politique, instaurée par l’administration coloniale, de recrutement des jeunes talentueux qui brillent dans leur communauté en matière de sport.
Dans un souci d’union, il a été décidé de former une équipe nationale de football, qui rassemble et ressemble à la nation malienne dans sa diversité. Chaque région a dû apporter sa contribution à l’édifice sportif en envoyant son meilleur joueur à l’équipe nationale. Si l’ensemble des régions ont pu envoyer leurs candidats sans problème, tel ne fut pas le cas de la région de Mopti. Le choix de la région était porté sur un jeune joueur du nom de Amadou Cissé, natif de Djenné.
Amadou avait tout pour être un très bon joueur. Avec son physique imposant, il impressionnait les adeptes du foot à l’époque à travers ses sublimes gestes de contrôle, de conduite de balle, ses dribbles et ses magnifiques buts. Il était admiré par toute la ville de Djenné et au-delà. Mais, malgré ce talent, Amadou n’était pas heureux et se cachait pour jouer au football avec les autres enfants, car son papa lui interdisait de fréquenter les terrains de sport.
Pour jouer, Amadou avait eu la promesse de ses coéquipiers de ne jamais parler de football à la maison. Le secret était bien gardé dans la ville jusqu’au soir où le commandant de l’arrondissement est passé en famille pour informer son père du choix porté sur son enfant pour représenter sa région au sein de l’équipe nationale du Mali : c’est le début du calvaire du jeune Amadou et de l’ensemble d’un pays.
Assis comme à son habitude sur la peau du mouton égorgé lors de la fête de Tabaski de l’année passée, chapelet en main et les yeux fixés sur le saint Coran dont les pages sont éparpillées un peu partout près de lui, Djenné Karamoko, comme on appelait le père d’Amadou, régnait sur la ville en matière de religion.
Craint et vénéré par certains, détesté et haï par d’autres, le père d’Amadou était un Kissè kelefili, celui qui n’a qu’une seule parole, dans la ville de Mopti.
Le malheur du Mali
Lorsque le commandant l’informa de la décision, Djenné Karamoko, très étonné, lui a répondu :« Chez moi on ne pratique pas de sport, la religion ne nous le permet pas, je pense que tu t’es trompé de famille.»
Après beaucoup d’explications, il s’est avéré que le fils aîné de la famille Cissé était le meilleur footballeur de la région de Mopti. Le commandant a exigé le départ de l’enfant et donné un délai pour les préparatifs. Ce que le père a refusé catégoriquement, mais la réalité du système exigeait la libération de l’enfant pour qu’il rejoigne l’équipe.
Blessé dans sa fierté, se sentant trahi par son enfant, Djenné Karamoko décida de laver l’affront en entreprenant 30 jours de retraite spirituelle pour maudire son enfant et le football malien. Après sa retraite spirituelle, lors du départ de son enfant, dans son discours d’adieu, le vieux marabout, Djenné Karamoko, interpellait les dirigeants ainsi : « Vous avez le pouvoir de m’enlever mon fils aîné, mais sachez que Amadou ne va jamais gagner de coupe de mon vivant, et ni après ma mort et le Mali ne sera jamais champion en Afrique, tel est mon désir et il sera ainsi pour toujours. »
Cette histoire, sans qu’on ne sache si elle est vraie ou pas, a voyagé à travers le temps et les générations. Encore plus important, ceux dont elle a recueilli l’adhésion ne boude pas leur plaisir à la raconter à chaque fois que le Mali est éliminé d’une compétition dans le domaine du football. Bocar Nienta, jeune entrepreneur pense qu’il ne faut pas prendre cette légende à la légère : « Je pense sincèrement qu’il faut voir si cette histoire est une réalité, car on n’arrive même pas à battre la Côte d’Ivoire et nous sommes toujours à la recherche d’un sacre continental, qui ne vient pas ».