Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne

La France-Wagner et le Mali: Dr Aly Tounkara décortique et recommande

Les sorties appuyées et fracassantes de l’élite politique française au pouvoir contre une supposée arrivée du groupe Wagner au Mali mérite d’être traitée avec l’attention soutenue qu’elles méritent, pour situer cet élément particulier dans les stratégies françaises de préservation de ses intérêts en Afrique.

L’agitation littérale faite autour de cette thématique, s’est traduite par :

– Des questions orales adressées par les autorités françaises aux autorités maliennes,

– Celles faites aux autorités russes,

– Le suivi satellitaire et sur le terrain des activités des partenaires maliens,

– Des campagnes de désinformation basées sur des commentaires et non des faits,

– Enfin, la mobilisation du bloc occidental autour de cette question.

Ce que tout cela dénote c’est bien sûr :

– L’incapacité de la France seule à faire face à l’option stratégique officiellement annoncée par le Mali de diversifier ses partenariats ;

– La nécessité pour la France d’utiliser l’élément Wagner et le montage médiatique méticuleux qu’elle a utilisé pour diaboliser ce groupe, au nom des principes de respects des droits de l’homme, sur la base d’une propagande qu’elle a montée pour contrer l’intervention en République Centrafricaine (RCA) ;

– La bascule dans une nouvelle phase du bras de fer avec le Mali, qui s’est traduite par la conduite d’un matraquage médiatique, avec comme thème phare le Mali est en train de vendre sa souveraineté, sans jamais mentionner que les maliens cherchent à résoudre les problèmes de sécurité auxquels le pays est en prise depuis une décennie ;

– La conduite d’actions subversives et d’instrumentalisations de ses amitiés traditionnelles y compris au sein des mouvements armés au Nord du Mali,

– L’instrumentalisation de l’Union européenne,

– La tentative d’instrumentalisation du Conseil de Sécurité

– L’instrumentalisation de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) et de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), sous le prétexte que la transition cherche à se pérenniser au pourvoir.

Toutes ces actions n’excluent pas des activités de déstabilisation des institutions, que cela soit par l’activité militaire ou le sabotage économique tel que le démontrent les sanctions imposées par la CEDEAO, bénies par Paris, mais malheureusement non suivies par les Nations Unies, grâce à la position adoptée par la Russie et la Chine au Conseil de Sécurité.

Comme le président Emmanuel Macron a promis d’user de tous les moyens pour venir à bout des ‘militaires’ de Bamako, avec France 24 et RFI qui appellent toujours au départ de la Junte, il faut s’attendre encore à ce qu’une série de mesures déjà préconçues soient mises en exécution. En effet, au-delà des sanctions qu’il qualifie de fortes et pertinentes, il se tient prêt à user de tous les moyens pour :

– Compléter le plan initial d’asphyxie du Mali, en poussant le G5 à adopter des sanctions en vue d’interdire le corridor maritime mauritanien au Mali, alors même que cette organisation ne prévoit aucune mesure du genre;

– Jouer de la peur de l’Algérie de se retrouver seule sur le dossier Mali et se voir mettre au banc des accusés, pour user de son influence grandissante au Nord, suite au retrait français, pour imposer un calendrier électoral dont le résultat attendu est la mise en œuvre de l’Accord d’Alger, afin que l’on passe à un autre lendemain ;

– La manipulation des identités ethniques, en faisant passer le message que la présence Russe ou Wagner, comme ils aiment à le dire, est déployée contre une partie particulière de la population ; cela dépendra des lieux de déploiement ; ainsi, pour les régions du Centre (Mopti et Ségou), la même rhétorique sera utilisée comme en Centrafrique en déclarant que c’est contre les peulhs ;

– Pour les régions du Nord (Gao, Tombouctou et Kidal), ils diront que c’est contre les Tamasheq et utiliseront les réseaux Amazighs entretenus depuis Lyon (France) pour remettre dans la discussion les questions identitaires et de besoin de liberté des peuples berbères.

– L’organisation d’une campagne de suivi de la présence russe, en cherchant à la dénigrer, en expliquant principalement qu’elle est là pour uniquement sécuriser les institutions de la transition et piller les ressources, en s’appuyant sur trois outils clés, à savoir :

– (1) la présence française au sein de la mission des Nations Unies, principalement le bureau en charge des questions des droits de l’homme, qui doit faire périodiquement un rapport souvent orienté sur les violations et abus, et qui aura pour mission de fournir les ‘munitions’ pour dénoncer cette présence en amplifiant les exactions attribuées aux Forces de Défense et de Sécurité (FAMa) et à ses partenaires, les Organisations Non Gouvernementales(ONG) seront chargés de relayer ces rapports, les amplifier ou créer des informations alternatives si celles fournies par les Nations Unies ne sont pas satisfaisantes. ;

– (2) des organes de presse choisis, tant en hexagone que dans d’autres pays, relayant des informations relatives aux droits de l’homme, mais touchant aux deux dimensions que sont l’exploitation des ressources allouées à l’intervention extérieure, ainsi que la couverture des actions de cette présence au sein du monde politique, de la presse et de la société civile. ;

– (3) l’activation des réseaux de sympathisants à la France, qu’ils soient militaires ou civils, ayant principalement des intérêts en France, à travers leurs investissements ou des largesses faites (bourses d’étude aux enfants, soin de santé etc.). Le travail ne constituera pas à saboter directement l’intervention extérieure, pour ne pas se mettre à découvert, mais plutôt à fournir les informations détaillées sur son action, que cela soit sur le théâtre des opérations que dans les autres domaines de la vie politique et médiatique.

Pourquoi la France fait donc tant de bruits autour de Wagner ?

Vous aurez compris que le choix et l’insistance sur la thématique ‘Wagner’ est un super alibi pour Paris, qui pense pouvoir forcer les européens à se fédérer autour de sa cause, en avançant les questions de droits de l’homme et de prédation de la Russie sur le Continent Africain. Or, quand les forces américaines et leurs mercenaires tirent sur une ambulance en Afghanistan on évoque une erreur ou un dommage collatéral. Quand les français tuent des civils à une cérémonie de mariage à Bounty, ils nient dans un premier temps avant de les assimiler à des membres d’un Groupe Armé. Au même moment, l’erreur n’est pas permise aux russes. Ils sont tout de suite accusés d’exactions, de barbaries etc.

La situation est d’autant plus délicate pour Macron que les élections approchent à grands pas et qu’il doit démontrer le contraire de la réalité, à savoir la perte de vitesse de la France sur un champ qui fait sa puissance, et qu’elle pillait à son aise.

L’Allemagne, quoi qu’il arrive, est et reste la première économie de l’Europe. Elle a sa propre stratégie à jouer, et ne se détourne pas notamment de ses intérêts stratégiques en Europe de l’Est, y compris ses provisions de gaz fournies par la Russie.

Le président du conseil italien est celui qui se fait le plus virulent contre Macron. En plus d’avoir expliqué à tous leurs interlocuteurs que tous les problèmes de migrations en Europe sont le fruit du pillage de l’Afrique par la France, l’Italie est rentrée dans une campagne active de confrontation à la politique française.

C’est cela qui pourrait expliquer son intervention directe au Sahel, à travers le choix de sa ressortissante comme l’envoyée spéciale européenne pour le Sahel. L’Italie compte défendre non seulement ses intérêts dans son champ stratégique de proximité qu’est la Libye dont elle déplore le démantèlement par la France de Sarkozy, mais aussi aller plus loin, quitte à s’associer à l’Algérie pour convoiter les ressources. Il n’est pas être naïf, la présence française dans le Sahel trouve toute sa pertinence dans le fait que son économie dépend en grande partie

de l’Afrique.

Agnès Pannier-Runacher a déclaré :« Notre industrie reste, aujourd’hui encore, trop dépendante des filières d’approvisionnement extra-européennes en matière de métaux critiques. Alors que ces ressources sont limitées et que la concurrence mondiale est forte, le moment est décisif pour sécuriser nos approvisionnements en ressources minérales indispensables pour parvenir à la neutralité carbone en 2050 »

Tout en leur donnant leur soutien du bout des lèvres, les USA estiment que la France a diminué son influence de manière drastique dans les pays placés sous ‘sa responsabilité’ depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, durant le mandat de Macron. Elle ne peut que continuer sur le chemin du déclin, surtout à un moment où la Chine a décidé de mettre la main sur les ressources africaines que la France avait pour responsabilité de ‘’sécuriser’’ à son profit et celui de ses alliés.

Mieux ou pire, on peut même penser que les USA remettent en cause la question de pré-carré ou de zone d’influence, en termes de compétition économique. L’annulation par l’Australie du contrat français de sous-marins nucléaires au profit des USA pourrait démontrer ou illustrer cela. Comme lot de consolation, face à cet affront, Macron, le Drian et Parly n’ont pu, après moult effort qu’obtenir de Washington son soutien continu à la politique de destruction de la France dans le Sahel et en Afrique.

Les Etats unis continueront à garder un œil bienveillant sur les agissements français, ils ne seront toutefois pas dupes des grandes manœuvres françaises pour faire naitre une politique européenne de défense autour de ses ambitions propres et qui n’exclut pas la fin de l’influence américaine, un rêve caressé par les dirigeants français depuis le président De Gaulle.

Dans ce contexte que doit faire le Mali ?

Au regard de ce qui précède, les autorités maliennes de la transition doivent :

– Communiquer efficacement et pertinemment sur les manipulations et la conspiration dont le Mali fait l’objet à travers certains médias nationaux et internationaux,

– Mettre en garde la mission des Nations Unies sur ses éventuelles campagnes de dénigrement et de calomnie sur d’éventuelles allégations, violations des droits de l’homme et ‘’ethnicisation’’ des problèmes sécuritaires attribuées à l’armée malienne et ses partenaires, en l’occurrence russes,

– Convenir rapidement d’un chronogramme explicite sur la tenue des élections générales avec la classe politique et la société civile maliennes en vue de se prémunir de la possible grogne sociale lorsque les effets négatifs des sanctions illégales et illégitimes imposées par l’UEMOA et la CEDEAO venaient à perdurer,

– S’inviter dans les campagnes électorales françaises au travers des médias crédibles tels Mediaprt, Canard enchainé afin d’expliquer la politique sécuritaire française au Mali et de partager avec l’opinion publique française les démarches entreprises par les autorités maliennes sur le plan sécuritaire et même institutionnel pour recouvrir une bonne partie du territoire national sous le contrôle des groupes radicaux violents en dépit de la présence des forces étrangères,

– Ne pas écarter l’éventualité de battre sa propre monnaie, au cas où les sanctions excéderont un (01) mois. Après tout, ces sanctions ne revêtent-elles ou ne traduisentelles pas une exclusion du Mali ?

L’alternative rapide serait de passer des accords monétaires avec la Guinée, pour utiliser le franc guinéen comme monnaie. Ceci, en attendant de battre sa propre monnaie.

Dr Aly TOUNKARA, Maitre de conférences à l’Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako et expert au Centre des Études Sécuritaires et Stratégiques au Sahel(CE3S).

Source: INFO-MATIN
Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne
Ecoutez les radios du Mali sur vos mobiles et tablettes
ORTM en direct Finance