Première pour une ancienne colonie africaine, le Bénin demandait officiellement la restitution des trônes, statues et bijoux pillés en 1892 et actuellement exposés au musée du Quai-Branly. Paris argue de son bon droit.
Désolé mais c’est non. La France vient de refuser officiellement de rendre les œuvres d’art que le Bénin lui réclamait. «Les biens que vous évoquez ont été intégrés de longue date, parfois depuis plus d’un siècle, au domaine public mobilier de l’Etat français, a écrit le Quai d’Orsay au ministre béninois de la Culture, dans un document que Libération a consulté. Conformément à la législation en vigueur, […] leur restitution n’est pas possible.» De quoi parle-t-on ? De portes de palais, de statues, de sceptres, de bijoux, d’un trône. Autant d’objets issus de l’ancien royaume de Danhomè (Dahomey en français) et passés dans le giron de la France à la fin du XIXe siècle lors de la conquête du pays. Ces dizaines d’œuvres figurent aujourd’hui dans la collection du musée du quai Branly-Jacques-Chirac, à Paris, qui en expose les pièces les plus belles.
Les demandes de restitution de leurs joyaux antiques de la part de l’Egypte et de la Grèce sont connues de longue date. Mais celle du gouvernement béninois constituait une première pour une ancienne colonie africaine. Le 27 juillet 2016, le Conseil des ministres du pays approuvait une demande «relative au retour, au Bénin, des objets précieux royaux emportés par l’armée française lors de la conquête de novembre 1892». Une victoire pour le Cran (Conseil représentatif des associations noires) du Bénin, qui porte ce combat de longue date et n’avait pas jusqu’alors réussi à convaincre l’exécutif béninois. Mais l’élection de Patrice Talon à la tête du pays, en avril 2016, a changé la donne. L’homme souhaite alimenter le développement économique en misant sur le tourisme, et donc le patrimoine. Les œuvres parisiennes iraient notamment rejoindre le musée historique d’Abomey.
«Réparer les crimes du passé colonial»
Il faut dire qu’au-delà du simple aspect touristique, ces objets revêtent un caractère symbolique qui justifie, selon le Cran, leur rapatriement. «Les trônes de nos rois Guezo, Glele et Behanzin, la porte sacrée du palais royal d’Abomey, les statues anthropomorphes et même les récades royales [sceptres, ndlr] n’ont pas leur place au musée du quai Branly», s’insurge dans un communiqué le président du Cran béninois, Laurent Tonegnikes. «Ces biens culturels ont une histoire qui ne peut s’expliquer que dans le contexte béninois.» Le président du Cran français, Louis-Georges Tin, insiste : «Ce sont des objets qui sont parfois religieux, sacrés. Ce que la plupart des Français ignorent. Cela m’étonnerait que les Parisiens souffrent de ne plus avoir près de chez eux le trône de Behanzin ! Alors que pour les Béninois ça veut vraiment dire quelque chose.» Toujours sur le plan symbolique, le prince Guézo, héritier du roi du même nom, écrivait dès 2015 dans une tribune publiée sur Mediapart : «Quand nos enfants voient dans ces musées les trésors de l’Afrique dépouillée, ainsi exposés comme des butins de guerre, comment leur expliquer que nos peuples sont amis malgré tout ? Il y a mille et une façons de réparer les crimes du passé colonial. L’une d’entre elles serait de restituer les biens mal acquis de la France.»
Les artefacts royaux, précisément, «ne sont pas les plus nombreux»parmi les milliers d’œuvres béninoises dispersées à l’époque. «Mais ce sont les plus importants», explique encore Tin à Libération. «Or, la nature de leur acquisition par la France ne souffre pas de débat : ils ont été volés lors de pillages.» Selon lui, l’argument du Quai d’Orsay ne tient pas. Certes, les œuvres concernées appartiennent depuis longtemps au patrimoine de la France. Mais il interroge : «Verrait-on un homme dire aujourd’hui “oui, cet objet a été acquis par mon grand-père [lors d’une spoliation] dans les années 40, mais je ne veux pas le rendre à son propriétaire d’origine” ?» Laurent Tonegnikes assène pour sa part : «Le pilleur n’a autre alternative que de présenter des excuses et libérer ce qu’il a pillé.»
Des excuses ? Pas au programme. Rendre les objets ? Pas davantage. Au Quai d’Orsay, une source diplomatique rappelle que «les principes juridiques d’inaliénabilité, imprescriptibilité et insaisissabilité des collections publiques» sont «bien connus». En clair : la loi est avec nous, le propriétaire légitime de ces biens est la France et il est tout simplement interdit de s’en séparer.
Et c’est vrai. Paris ne conteste pas le fait que ces objets aient été pillés, mais ils sont entrés en possession de la France par le don du général Alfred Dodds, qui a conquis le Dahomey pour la France à la fin du XIXe siècle. Et les dons aux collections des musées nationaux sont tout simplement inaliénables. Des textes internationaux sur les butins de guerre et les spoliations existent bien, mais ils sont postérieurs au pillage du Bénin (la première convention date de 1899) et ne sont pas rétroactifs.
«Que vont devenir ces objets s’ils reviennent au Bénin ?»
«Tout cela est exact d’un point de vue juridique. C’est la loi», pose Corinne Hershkovitch, avocate spécialisée dans le droit de l’art, spécialisée dans la restitution des biens. «Maintenant, rien n’empêche de se poser cette question : comment la personne qui a donné ces biens les a acquis ?» En clair, pourquoi se retrancher derrière le statut des œuvres sans voir qu’elles ont été tout simplement volées au départ ? Certes, les textes sur le droit de la guerre sont postérieurs, poursuit l’avocate, mais «bien avant, on a déjà restitué des œuvres à des pays que la France avait pillés, comme en 1814 avec le congrès de Vienne. Je crois qu’il faut mettre cette affaire en perspective avec la démarche actuelle de la France, qui s’affirme très en pointe dans la protection du patrimoine des pays aujourd’hui en guerre. Il doit y avoir une cohérence.»
La spécialiste refuse de prendre parti pour autant. D’ailleurs, appuie-t-elle, «il faut aussi s’interroger : que vont devenir ces objets s’ils reviennent au Bénin ? Y a-t-il la garantie d’une bonne conservation ? Cela doit être posé». Une chose est sûre. Le statut d’intangibilité des dons aux collections nationales «a été créé par la France, pas par le Bénin ! Aujourd’hui on ne peut pas complètement s’abriter derrière ça sans ouvrir au moins une réflexion.»
Pour passer outre le statut particulier de ces objets, «il n’y a pas d’autre moyen juridique que de faire voter une loi au parlement», explique-t-on au ministère de la Culture. Les Béninois ne peuvent donc compter que sur la bonne volonté politique des Français. On n’en est pas encore là.«Pour l’instant, nous avons une position de fermeté», poursuit le ministère. D’ailleurs, si la France accédait à la demande béninoise, «cela ouvrirait la porte à d’autres pays et ça n’aurait pas de fin». De là à imaginer que l’Italie réclame les peintures volées par Napoléon et l’Angleterre, la rétrocession de la Normandie…
Une pétition
«Fermeté», certes, mais le Quai d’Orsay insiste de son côté sur les coopérations existantes entre la France et le Bénin : «Nous sommes désireux de les approfondir et un dialogue est engagé à ce sujet entre les ministères de la Culture français et béninois.» Impossible d’avoir des informations plus concrètes. On peut néanmoins apprendre, au détour de la consultation des derniers conseils des ministres béninois, que le «dialogue» sur ce sujet n’est en effet pas rompu entre les deux pays. A la date du 8 mars, on lit que «le Conseil des ministres [béninois] a marqué son accord pour la participation de notre pays à la rencontre avec les autorités françaises, pour l’opérationnalisation du processus de restitution des biens culturels du Bénin en France, qui se tiendra à Paris courant mars 2017». Et de préciser : «Cette rencontre est consécutive à la demande formulée par le gouvernement à l’endroit des autorités françaises en vue du rapatriement de ses biens culturels et historiques, emportés par le colonisateur.» La rencontre franco-béninoise a bien lieu, entre les services des ministères concernés – et non directement entre les ministres comme aurait souhaité le Bénin. On ignore ce qui a été décidé, mais la position française était au moins de proposer une «coopération scientifique» plus accrue avec leurs collègues africains.
Le Cran compte bien continuer en tous les cas à mettre la pression sur les autorités. Le collectif a lancé une pétition qui a réuni notamment la signature de quatre députés français (Razzy Hammadi, Noël Mamère, Sergio Coronado, Pouria Amirshahi), d’une douzaine de députés et d’autant de rois du Bénin, qui gardent encore aujourd’hui un pouvoir symbolique important. La pétition sera envoyée cette semaine à François Hollande. Il lui reste un peu plus d’un mois à l’Elysée pour décider de s’emparer, ou non, de la question.
Liberation