Amadou Toumani Touré ATT
Parce que la France qui est engagée dans une guerre au Mali, connaît l’importance géostratégique que joue le réseau marocain, Maroc Telecom, qui détient à son tour le contrôle majoritaire des principaux opérateurs de la région du Sahel, notamment en Mauritanie, au Burkina-Faso, au Niger mais aussi et surtout au Mali. Avec cette cession de Vivendi, la France pourrait perdre un avantage dont elle dispose.
En matière de stratégie militaire, les réseaux de télécommunication revêtent une importance capitale. De ce point de vue, Maroc Telecom serait d’une très grande utilité dans la région du Sahel pour les services de Renseignement français, car ce réseau est un outil efficace d’espionnage qui permet de maintenir les groupes djihadistes sous contrôle, d’identifier leurs zones d’opération ou de repli, d’identifier leurs numéros d’appel ou de mettre leur communication sous écoute.
Si on n’ajoute les soupçons de la France à l’égard du Qatar concernant sa collusion avec les groupes islamistes au Nord-Mali, il sera difficile à la France de laisser le Qatar s’emparer des actifs de Vivendi dans le capital de Maroc Telecom.
Une autre raison qui explique que notre pays intéresse tant les puissances capitalistes : il s’agit de la position géostratégique de Tessalit. Tessalit est «une oasis de montagne» située sur la route qui traverse le Sahara, d’Oran (Algérie) à Gao, route appelée la «piste impériale». Tessalit est la première halte en quittant le désert des déserts. Elle a servi de lieu de safari pour les convois de voitures Peugeot 504 allant au Sud pour y être vendues.
Mais Tessalit à une histoire secrète très liée à la France et à l’OTAN. L’Afrique Occidentale Française (AOF) avait trois (3) bases aériennes au Mali : Bamako, Gao et une «base secondaire», Tessalit. C’est là que la France y implanta une base aérienne majeure permettant aux avions de transport à hélices dont l’autonomie était trop faible de faire escale et de se ravitailler.
Tessalit est une localité située à égale distance de l’Atlantique, de la Méditerranée et du Golfe de Guinée. La France l’offrira à l’OTAN et un détachement militaire dépendant du Commandement français en Afrique de l’Ouest en assurait la gestion et maintenait système radio et radar météo.
Après l’Indépendance du Mali en 1960, le président Modibo Keita a perçu l’importance stratégique de la région de Kidal et s’est toujours opposé à toute présence de troupes étrangères sur le sol malien. C’est pourquoi il ordonna en 1961, le départ des troupes coloniales du territoire malien. Mais, au fil des années, la localité de Tessalit a acquis une très grande importance au point de créer une rivalité féroce entre la France et les Etats-Unis pour le contrôle de ce «porte-avion» du désert.
De nos jours, tous les satellites militaires d’observation passent au-dessus de la localité de Kidal qui dispose de 5 pistes aériennes dont 4 sont en sol stabilisés. Parmi ces 4 pistes, une fait particulièrement l’objet de toutes les convoitises. Elle est longue de 2.500 mètres sur 30 et en dur. Elle est considérée comme la plus grande structure aéroportuaire du Sahara.
S’agissant de l’organisation terroriste Al-Qaïda, elle est l’enfant légitime des Etats-Unis qui l’ont créée pour contrer l’Union Soviétique aux lendemains de l’invasion de l’Afghanistan. Mme Hillary Clinton l’a explicitement reconnu en janvier dernier, lors de sa dernière audition au Congrès en tant que Secrétaire d’Etat américain.
Accablée de critiques sur la faillite sécuritaire qui avait provoqué la mort de l’Ambassadeur des Etats-Unis à Benghazi, Mme Hillary Clinton s’est lâchée devant les congressistes en reconnaissant que «ceux contre lesquels les Etats-Unis se battent» ont été créés il y a 20 ans par les Etats-Unis «pour faire face aux soviétiques qui avaient envahi l’Afghanistan de peur qu’ils ne dominent l’Asie centrale».
Et Mme Clinton de préciser avec sa froideur naturelle que le «Président Ronald Reagan, en accord avec le Congrès dominé par les démocrates, avait même ordonné qu’on importe des extrémistes d’Arabie saoudite et leur mouvement wahhabite» !
Hillary Clinton a souligné également que les Etats-Unis ont chargé les services secrets pakistanais de recruter les moudjahidines qui luttaient contre le gouvernement communiste de Najibullah à Kaboul : «A l’époque on disait que ce n’était pas un mauvais investissement puisqu’on en avait fini avec l’Union Soviétique. Mais soyons prudents avec ce qu’on a semé parce que nous allons le récolter. Nous avons dit aux militaires pakistanais, débrouillez-vous avec les missiles (Sol air) Stinger qu’on a laissés un peu partout dans votre pays et les mines disséminées tout au long de la frontière. Nous avons donc arrêté de traiter avec l’armée pakistanaise et l’ISI».
Pour avoir joué aux apprentis sorciers, les Etats-Unis ont précipité le monde dans l’enfer. Ils ont crée Oussama Ben Laden auteur présumé des attentats du 11 septembre 2001 qui ont fait plus de 3.000 morts à New-York. Le dirigeant d’Al-Qaïda sera éliminé en 2011 à sa résidence d’Abotabaad, près de la capitale pakistanaise Islamabad au cours d’une opération rondement menée par les Forces spéciales et la CIA.
Ce sont les Etats-Unis qui ont fabriqué AQMI. Ils n’ont jamais cherché à vaincre cette organisation islamiste terroriste qui s’est enraciné au Yémen, puis a étendu ses tentacules en Afrique du Nord, en Afrique au Sud du Sahara, dans le Golfe persique… On ne cherche pas à analyser certains aspects de la poussée d’AQMI qui font qu’elle a développé ses capacités d’action qui lui permettent de frapper dans n’importe quel pays du monde, surtout en Afrique de l’Ouest où un commando a enlevé deux ressortissants français au Niger.
Ces deux ressortissants français ont été tués par la suite en territoire malien au cours d’une opération des Forces spéciales françaises. Il faudra également y ajouter les nombreux enlèvements de ressortissants occidentaux et celui récent de sept ressortissants français au Cameroun.
Pendant plus d’une dizaine d’années, ce sont les 45 armées les plus puissantes au monde qui ont combattu les talibans sans jamais parvenir à les vaincre au point que l’Institut Carnegie des Etats-Unis a indiqué qu’en 2014, lorsque l’armée américaine se sera retirée de l’Afghanistan, les talibans reviendront au pouvoir. C’est la raison pour laquelle, les Etats-Unis mènent secrètement depuis plusieurs années, des négociations avec les talibans afin de pouvoir assurer la sécurisation de leurs sources d’approvisionnement en gaz et en pétrole (à travers les oléoducs qui passent par ce pays) !
En ce qui concerne le cas du Mali, comment d’un côté les puissances occidentales dénoncent l’islamisme militant et radical et ferment les yeux sur leurs soutiens en moyens financiers, en armement de toutes sortes fournis par l’Arabie Saoudite et le Qatar principaux bailleurs d’Ansar-Eddine, du MUJAO, d’AQMI ? N’y a-t-il pas une stratégie cachée qui montre qu’en réalité il y’a deux impérialismes qui font la guerre contre le Mali : l’impérialisme occidentale (que nous connaissons) et l’impérialisme arabe, salafiste incarné par l’Arabie saoudite et le Qatar ?
Aujourd’hui, il est aisé de comprendre le sens de la jonction entre ces deux impérialismes à travers les investissements massifs de ces monarchies du Golfe en occident (Arabie Saoudite et Qatar). C’est pourquoi, on comprend que ces groupes djihadistes sont combattus et considérés comme des terroristes au Mali, mais soutenus et aidés en Syrie et en Libye où ils sont considérés comme des démocrates et des libérateurs ? Quelle hypocrisie !
Les puissances occidentales (Etats-Unis, France, Union Européenne) à coup de matraquage médiatique, tentent de nous faire croire que le Coup d’Etat du 22 mars 2012 a été le point de départ de tous nos malheurs : annexion complète des trois régions Nord, effondrement de l’Etat, embargo économique et commerciale de la CEDEAO….
Le coup d’Etat n’a pas précipité la chute des régions Nord du pays, car bien avant, de nombreuses villes du Nord avaient commencé à tomber comme Ménaka, Anderaboukane, Abéibara, Tinéssako, Léré et Aguel Hoc. C’est ainsi qu’est survenu le coup d’Etat du 22 mars 2012.
Beaucoup d’analystes et d’hommes politiques maliens ne tarissent pas d’éloges sur les initiatives du président François Hollande pour obtenir une action armée afin de déloger les islamistes armés (à l’exception notable du MNLA) des régions Nord qu’ils occupent depuis mars 2012.
Ainsi, le Président français, pour avoir saisi le Conseil de Sécurité des Nations-Unies, est devenu «un vrai ami du Mali» qui va prendre la tête de la prochaine croisade contre les islamistes fanatisés qui poursuivent leur entreprise macabre et criminelle : amputations des mains, des bras et des pieds, imposition forcée de la Sharia, exécutions extrajudiciaires, atteintes graves aux libertés individuelles et collectives.
Face à tant d’atrocités commises contre nos compatriotes, aux humiliations, à la destruction sauvage de notre patrimoine culturel, la réaction devant cet «engagement» et cette «détermination» du président français me paraît humainement compréhensible, et tout à fait juste.
Cependant, largement instruit des expériences historiques précédentes des interventions menées par la France en Afrique, je m’inscris à contrecourant de ce discours particulièrement dithyrambique et laudateur pour me livrer à une réflexion critique. La crise qui secoue le Mali intéresse beaucoup le «docteur France» qui prétend venir au secours du malade du cancer qui ronge le Nord du Mali. Mais, à mon avis, ce docteur est plutôt mal placé pour intervenir. Pour la simple raison qu’il est intervenu dans bien des endroits en Afrique sans jamais vraiment résoudre les problèmes : Au Rwanda, en Lybie et en Côte-d’Ivoire.
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Nouhoum KEITA