Après l’invasion russe du 24 février, il n’aura fallu que six jours au procureur de la Cour pénale internationale (CPI) pour décider d’ouvrir une enquête sur les crimes commis sur le territoire de l’Ukraine. Ni la Russie ni l’Ukraine ne sont membres de la Cour, mais après l’annexion de la Crimée, en 2014, Kiev lui avait donné compétence pour poursuivre les auteurs de crimes commis sur son territoire. Et ce depuis le 21 novembre 2013, date des premières manifestations contre le pouvoir de l’époque dans le cadre de la « révolution de Maïdan », où de nombreuses violences des forces de sécurité ont été commises. La CPI était engagée depuis des années dans un examen préliminaire d’éléments de preuve, sans être passée au stade de l’enquête. Mais après l’attaque russe en Ukraine, la Lituanie saisissait aussi la Cour, rapidement suivie par 38 autres Etats (ils sont 42 aujourd’hui), permettant ainsi au procureur d’ouvrir son enquête sans avoir à demander l’aval des juges de la juridiction.

En vingt ans d’existence, la CPI n’a condamné qu’une poignée de miliciens

Techniquement, rien n’empêche donc désormais la CPI d’inculper Vladimir Poutine. C’est la principale révolution de la justice internationale : l’abolition de l’immunité diplomatique attachée aux chefs d’Etat suspectés de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou de génocide. Pourtant, en vingt ans d’existence, la Cour pénale internationale n’a condamné qu’une poignée de miliciens. Ministres et chefs d’Etat lui ont tous échappé. Mouammar Kadhafi est mort en fugitif en 2011, quatre mois après l’émission d’un mandat d’arrêt contre lui. L’ancien président soudanais Omar Al-Bachir est en prison à Khartoum. Les dossiers contre l’ex-dirigeant ivoirien Laurent Gbagbo, l’ex-vice-président congolais Jean-Pierre Bemba et les Kényans William Ruto et Uhuru Kenyatta se sont effondrés.

Au premier jour de l’invasion russe, le bureau du procureur était en pleine réorganisation, après vingt ans de procès marqués par des échecs à répétition. Après sa prestation de serment, en juin 2021, le procureur Karim Khan avait promis des réformes. Mais pourra-t-il inculper Vladimir Poutine ? « S’il décide de le faire, ce ne peut pas être seulement parce qu’il est le chef suprême des armées. Il lui faudra des éléments plus solides », avertit un juriste de la Cour. Pour poursuivre les plus hauts responsables de crimes de masse, il faut établir l’intention, remonter les chaînes de responsabilité depuis les simples exécutants jusqu’au chef d’Etat et donc démontrer, dans le cas de l’Ukraine, l’existence de liens entre une décision prise au Kremlin et les corps gisant à Boutcha ou sous les décombres du théâtre bombardé de Marioupol. Ces enquêtes-là prendront du temps.

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