La bataille d’Abidjan et le jour où Laurent Gbagbo a été capturé, c’était il y a trois ans, le 11 avril 2011. Quel rôle précis ont joué les militaires français ? Jusqu’où sont-ils allés ? Jean-Christophe Notin a recueilli les témoignages de nombreux militaires français de l’opération Licorne. Aujourd’hui, il publie aux éditions du Rocher l’ouvrage Le Crocodile et le scorpion. Il répond aux questions de RFI.
Jean-Christophe Notin : Oui, puisque Gbagbo voulant éviter l’affrontement en direct avec les Français a choisi la manière détournée d’instaurer un blocus en fermant à la fois le port et l’aéroport. Donc, évidemment, la force française Licorne, basée à Port-Bouet dans Abidjan, aurait pu se retrouver rapidement à court de carburant. Elle a été obligée de constituer des convois très lourds avec des dizaines de blindés, de véhicules accompagnés d’hélicoptères qui devaient gagner Bouaké, la zone à peu près sûre où on pouvait instaurer un pont aérien. Donc, ces convois passaient par la sortie – ce qu’on appelle le corridor nord à Abidjan – où les forces pro-Gbagbo, elles, avaient instauré un barrage.
Et finalement, les convois français ont pu forcer les barrages sur l’autoroute du Nord.
Oui, parce que les Français ont une très grande expertise de ce genre d’événements grâce à la gendarmerie nationale. Les gendarmes mobiles qui sont équipés de blindés, eux-mêmes équipés de lames pouvant pousser les éventuels véhicules au milieu. Ça s’est relativement bien passé à chaque fois, mais on n’est pas passé loin, à plusieurs reprises, d’incidents assez graves.
A partir de février, le camp de Laurent Gbagbo perd des positions dans la ville, notamment à cause de ce commando invisible qui tend des guets-apens dans le quartier Abobo. Est-ce qu’on sait aujourd’hui qui était derrière ce commando invisible ?
Il y a eu beaucoup de fantasmes et de rumeurs sur le sujet. Maintenant que l’on dispose de l’analyse des services de renseignements auxquels j’ai pu avoir accès, on sait que c’était le légendaire « IB » [ Ibrahim Coulibaly, ndlr] qui avait participé à toutes les révoltes depuis une dizaine d’années, qui avait réussi à fédérer grosso modo une centaine de partisans qui ont mené des opérations coups de poing contre les forces de sécurité.
En mars, c’est le bombardement d’un marché d’Abobo, puis le vote du Conseil de sécurité en faveur de frappes anti-Gagbo. Le 4 avril, les frappes des hélicoptères de Licorne et de l’Onuci [opération de maintien de la paix de l’ONU en Côte d’Ivoire] commencent, mais le camp Gbagbo résiste farouchement et vous dites que les pilotes d’hélicoptère sont alors pris du « syndrome du faucon noir » ?
Oui, avec un guetteur s’installant sur un toit et tirant au lance-roquettes sur l’hélicoptère. C’est exactement ce qui s’est passé à Mogadiscio en 1993, « La chute du faucon noir » [bataille de Mogadiscio appelée ainsi, ndlr]. Ça aurait été une scène évidemment terrible et qui aurait contrebattu l’effet politique qu’on voulait pour l’opération.
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Dans la nuit du 8 au 9 avril, il faut exfiltrer un diplomate britannique de sa résidence de Cocody tout près de celle de Laurent Gbagbo. Quatre hélicoptères français sont engagés. Et vous dites qu’à ce moment-là, les militaires français sont passés tout près de la catastrophe ?
Oui, une opération qui était encore inconnue à ce jour et que je révèle donc grâce à mes sources au sein des forces spéciales. C’est une opération impliquant une cinquantaine de forces spéciales, plusieurs hélicoptères et qui a donc failli très mal tourner : les forces spéciales se sont retrouvées quasiment bloquées contre un mur comme pour un peloton d’exécution. L’affrontement a duré plusieurs heures, les Français ont failli enregistrer plusieurs pertes au sol, mais également en l’air. Les hélicoptères ont été impactés.
Ce qu’on apprend dans votre livre, c’est que lors d’un redécollage d’urgence, un hélicoptère tape un lampadaire et il est sur le point de se crasher.
Oui, pour récupérer les hommes au sol, les pilotes ont pris des risques considérables. Ils ont tapé ces lampadaires. Ils les ont d’ailleurs sciés. Evidemment ça n’arrange pas trop la conduite d’un hélicoptère et ça aurait vraiment pu tourner au drame absolu.
Les Français comme les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) pro-Ouattara à ce moment-là sont surpris par la capacité de résistance du dernier carré de Laurent Gbagbo. Est-ce qu’il n’y avait que des soldats ivoiriens dans ce dernier carré ?
Non. Déjà le dernier carré est constitué des meilleures troupes de Gbagbo : les Cecos [Centre de commandement spécial], la Garde républicaine. Mais il y avait également beaucoup de mercenaires libériens et quelques Angolais qui étaient vraiment très motivés et par l’argent et par différentes substances que les Français ont pu retrouver sur place.
Des substances de quelle nature ?
De la drogue.
On arrive à la journée décisive du 11 avril : comme les FRCI du camp Ouattara n’arrivent pas à approcher la résidence Gbagbo, c’est une colonne de blindés français qui fait la percée. Il est 11H45. Il y a cette phrase inoubliable – c’est dans votre livre – d’un officier français de la base opérationnelle de Port-Bouet au capitaine qui commande le premier blindé de la colonne : « Balance-moi ton putain d’obus dans le portail de cette baraque ! »
Oui, c’est là où on voit une certaine exaspération à Paris qui veut absolument conclure ce jour-là. Donc les blindés français ont montré la voie de Gbagbo, les FRCI ne suivent pas. Donc le commandement français estime qu’il faut en plus pratiquer des ouvertures dans les murs pour être sûr que les FRCI rentrent, d’où ce fameux lieutenant-colonel qui donne l’ordre de « bréchage ».
Le « bréchage », en termes pudiques, c’est la frappe sur le portail de la résidence de Laurent Gbagbo.
Le portail et les murs.
Et derrière le portail, il y avait un anti-char ?
Oui, ça a été la grosse découverte. Une arme anti-aérienne qui n’était pas prévue et qui aurait pu tirer sur les assaillants s’il n’avait été détruit par le blindé français.
Qui a tiré un deuxième coup…
Oui.
Et alors, la question évidemment que tout le monde se pose : est-ce qu’après ce « bréchage », les Français ont participé à l’assaut de la résidence elle-même ?
Non, là c’est vraiment la limite absolue qui a été donnée par le sommet de l’Etat : ne pas entrer dans la résidence de Gbagbo. Ça se comprend également, la bataille est terminée. Il n’y a pas besoin d’engager des vies humaines françaises, risquer des vies alors que, de toute façon, Gbagbo est coincé.
Qu’est-ce que vous prouve que les Français n’ont pas participé à l’assaut final ?
C’est d’après les témoignages que j’ai recueillis au sein de la résidence française, qui était juste à côté des troupes qui étaient engagées. J’ai rencontré ceux qui, vraiment, non seulement ont détruit le mur, qui étaient en survol de la résidence, ça m’étonnerait quand même qu’avec une telle conjonction de témoignages on n’aboutisse pas à la vérité.
Laurent et Simone Gbagbo sont donc capturés, mais ce que vous dites, c’est qu’une fois l’assaut terminé, les Français vont rendre visite à cette fameuse résidence.
C’est une des surprises de ce livre. En soirée, quelques éléments français de différents services – DGSE, GIGN et l’ambassadeur également – se sont rendus sur place. Le but étant de vérifier le contenu des papiers de Laurent Gbagbo.
Et de ne pas seulement les regarder…
On imagine qu’il y a eu certaines saisies.
rfi