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Je souffre profondément pour mes frères dogons !

L’actualité en provenance de la zone exondée de la région de Mopti est invariablement macabre.  Dans sa parution du 18 décembre, Le Point  souligne  « il y a moins de bruit mais beaucoup de dégâts et chaque minute qui passe est un sursis que la vie offre généreusement aux hommes assurant la défense du village. La réalité de la zone semble être occultée par les médias nationaux et internationaux. Même si quelques informations fusent, la réalité ne se dit pas dans la presse. Tout semble être fait pour permettre au désastre de régner en maître absolu et incontestable »  Les mauvaises habitudes dit-on ont la vie dure. C’est au tour de nos parents dogon de goûter à la pilule amère du blocage médiatique. C’est malheureusement une constante de nos  médias nationaux.

Ces derniers temps, les nouvelles en provenance de la région de Mopti font de plus en plus  état de nombreuses attaques de villages dogons, de récoltes brûlées, du bétail enlevé et de personnes assassinées en brousse. Rien ne peut justifier cette orgie de violences insensées et gratuites sur des compatriotes innocents. La récolte du paysan, fruit d’un dur labeur, de fatigues endurées et d’espérances légitimes, des mois durant, doit être scrupuleusement respectée par toute personne normale. Surtout qu’une récolte, une fois au marché, est à la disposition de tout monde. Et puis quelle que soit la situation, personne ne doit être privé des fruits de son labeur. Que les peulhs aient été privés, depuis au moins deux à trois ans, des pâturages et de l’essentiel de leur élevage était une injustice, mais  cela ne justifie en aucune  manière ces actions qui s’assimilent  à la vengeance dont la spirale risque d’être infinie et intenable pour les parties et pour le pays. Je suis peulhs, à travers  ma famille et mes parents j’ai des champs à Douentza et à Bandiagara, champs qui n’ont pu être exploités à cause de la crise ambiante. Je suis peulh, mais je souffre profondément de cette situation ; je souffre pour mes frères dogons paysans, victimes innocentes d’une situation qui nous dépasse tous. Quand est-ce que peulhs et dogons impliqués directement dans les conflits ou non, se rendront-ils compte qu’ils agissent ainsi contre eux-mêmes, contre leurs propres intérêts et qu’à la fin, ils sont tous les deux, les seuls perdants  de cette situation de crise? Les peulhs de la zone doivent faire très attention pour ne pas mettre les torts de leur côté et  perdre ainsi  tout le bénéfice  de la victoire morale acquise à cause des agressions qu’ils ont injustement subies et  endurées. Sans être béatement adepte de la non-violence, nous sommes profondément convaincus que la violence  ne résoudra pas notre problème dans notre région. Il nous faut autre chose : le courage de reconnaître que nous nous trompons d’ennemis et de revenir en arrière, le courage de  nous reconnaître mutuellement les droits et devoirs de vivre en paix dans notre région et la volonté de  nous aider mutuellement à surmonter la dramatique impasse que nous vivons. Il faut avoir le courage de faire la paix et de se battre pour la paix.  Si non, notre pays, le pays dogon, le pays peulh, le pays dafing, le pays malien tout court, la zone exondée de la région de Mopti se meurt, notre région souffre le martyre ! Depuis des mois, une drôle de guerre s’est installée et fait rage dans la zone.  Il ne se passe pas un jour sans qu’il n’y ait d’attaques de villages,  de champs et/ou des récoltes brûlés, d’explosions de mines, de véhicules braqués et d’innocentes personnes assassinées dans les champs et les pâturages, injustement, inutilement. Peu importe que ces personnes tuées soient des peulhs, des dogons, des djihadistes, des miliciens « revanchards », des « danams » ou des soldats de l’armée régulière, toutes ces victimes sont maliennes ou des gens qui sont venus aider le Mali. Ce sont tous des fils et des filles du Mali qui tombent. Chaque mort est de trop !

Cette situation prévisible était redoutée par tous les observateurs avertis et qui connaissaient bien les réalités historiques, sociales et économiques de la zone. Ils avaient à temps mis en garde les autorités contre la tournure et la direction prise par les évènements dès 2016 et 2017. Ils n’ont malheureusement pas été écoutés. Dans une large mesure, les avant – goûts des  seuls résultats qui pouvaient, dans ces conditions, être atteints, sont là. Au lieu de résoudre notre crise, nous l’avons empirée.

Mais quels que soient nos ressentiments après tout ce qui s’est passé et  qui se déroule encore dans la zone, nous ne dirons jamais, comme nous l’avions entendu et lu au sujet  des peulhs, il n’y a pas si longtemps que cela, nous ne dirons jamais que « C’est bien fait pour eux ! Ils n’ont eu que ce qu’ils méritent pour avoir soutenu les miliciens de Dan Na Ambassagou dans leur meurtrière croisade anti peulhe ». Même présentement  de nombreux check- points meurtriers pour les peulhs  et seulement pour eux, sont tenus par les miliciens de Dan Na Ambassagou sur les principaux axes routiers de la zone. C’est malheureusement connu et toléré.  Les embargos et la chasse au faciès continuent toujours en maints endroits de la zone. Malgré cette situation,  nous ne cracherons pas sur nous-mêmes, nous n’insulterons pas le présent et l’avenir en nous réjouissant de notre malheur, parce que pour nous, ceux qui meurent injustement aujourd’hui dans les champs et dans les villages,  ne sont pas que dogons seulement, ce sont nos frères, ce sont d’autres nous-mêmes. Nous sommes solidaires de nos parents et compatriotes qui souffrent injustement dans leur chair et leur âme. Et nous  en appelons à tous ceux  qui peuvent user de leur influence de le faire pour arrêter les destructions et les massacres injustes et révoltants. Ce sont des crimes qu’on ne peut passer sous silence. Nos différends, quels qu’ils soient,  peuvent se résoudre autrement que par les armes. Alors quel intérêt à continuer à s’entretuer ?

Aujourd’hui, les vendeurs d’illusions sont face à leurs responsabilités.  Nos parents dogons dans les villages ont beaucoup de mal pour sauver le peu qui leur reste de récoltes. Ils perdent souvent la vie dans des combats pour nous fratricides.  Selon plusieurs sources, tout semblerait accuser les djihadistes et des miliciens peulhs revanchards d’être les auteurs des crimes en cours. Les « danams » semblent acculés dans les villages. Nous ne sommes pas des experts militaires, mais les observateurs et connaisseurs sont d’avis que sans un soutien actif de l’armée Dan na Ambassagou ne pèsera pas lourd devant les vrais  djihadistes. Et il pèsera  encore moins s’il s’aliène ne serait-ce que la neutralité de ce qui reste de la communauté peule qui vit encore dans la zone. Rien n’indique que l’armée soit aujourd’hui en mesure d’apporter à Dan Na Ambassagou le soutien dont il a besoin. Il faut être lucide et regarder la situation en face.

Dans « Le Point « du  18 décembre 2019, dans un article intitulé  « Centre du pays : à chacun son arme », l’auteur  qui a signé B. M. note que dans la zone, civils et militaires sont armés pour lutter « contre, le même ennemi, les djihadistes. Un ennemi crée de toute pièce par l’extérieur. Les Peuhls désignés comme terroristes se cherchent eux-mêmes et accusent de leur côté les dogons- donso. Alors qui sont les terroristes ? Les forces barkhane et les FAMAS luttent contre qui ? ». Et il continue son analyse « Sans cautionner le terrorisme ni soutenir l’insécurité, notre objectif est de poser le problème sous un angle clair pour permettre à toute personne rationnelle de voir les choses à sa façon et d’en déduire selon la logique universelle qui s’appuient sur le concret ». Quand on connait les réalités du terrain, on ne peut que comprendre les observations du journaliste qui notent que : « Lors du dernier ratissage de l’armée, selon nos informations, la plupart des personnes arrêtées ne sont que des simples paysans donso ou des jeunes peuls derrière les troupeaux de vaches. Ils n’ont été que des victimes collatérales de la situation. Et n’ayant plus de voix pour se défendre ou s’innocenter, ils se résignent à subir la torture et la mort. L’amertume et la haine de leurs proches, leurs fils et leurs parents contre l’État immuable demeureront éternelles et dès que possible, leur vengeance sera au rendez-vous. Donc en plus de la faiblesse et de l’absence de l’État, les autorités actuelles sont en train de créer des problèmes pour le futur et  surtout pour les gens qui les succéderont dans le temps. » Et pour illustrer cette idée, il rappelle  que « des preuves palpables ont démontré que la rébellion des années quatre-vingt-dix n’est que la conséquence de celle de 1963 et ce sont les enfants des parents tués qui seraient en train de venger les leurs ». Aussi, appelle-t-il « L’État actuel à la prudence, sinon, chaque ethnie malienne aura dans les années à venir son petit morceau de terre, tant la division deviendra l’ultime solution ». Que Dieu nous en préserve ! Mais pour cela et pour changer cette situation intenable de quasi-guerre civile et aller vers la paix, l’armée nationale ne semble plus être en mesure de jouer un rôle efficace et protecteur neutre de l’ensemble des protagonistes. Et pourtant, notre terroir a besoin de l’expression d’une réelle volonté de paix de tous les côtés, peulh comme dogon. Vu tout ce que ces communautés ont enduré jusqu’ici,  elles doivent  urgemment, après une analyse sereine et objective de la situation qui n’est pas en faveur de la continuation des hostilités, être en mesure de trouver des personnes ressources locales  crédibles, pondérées et  suffisamment influentes pour engager sans délai, sans conditions et directement, des négociations en vue d’aller vers l’apaisement et la paix. Des facilitateurs ne manqueront pas, même sur place. C’est la réelle volonté politique et l’accompagnement sincère de l’Etat qu’il faut obtenir.  On présume que si l’Etat était libre  de prendre, en toute souveraineté,  ses décisions, le soutien serait facile à obtenir.  Quoi qu’il en soit, il est évident que  notre armée a besoin de toutes ses forces pour s’engager sur d’autres fronts et non perdre son temps, des forces, son énergie et son honneur au centre du pays à gérer des différends entre frères, différends souvent suscités et artificiellement entretenus.

Pour un pays, comme pour une communauté, il n’y a rien de mieux que la paix et la concorde entre ses habitants. Pour notre zone exondée de la région de Mopti, peulhs et dogons sont comme une paire de chaussures. A chaque fois qu’une des chaussures manque, vous ne pouvez plus marcher correctement chaussé.  Donc l’une ne peut aller sans l’autre. Reconnaissons que nous nous sommes laissé aider à nous entrainer sur un chemin périlleux qui ne nous a apporté que  malheurs et désolations. Revenons en arrière pendant que nous  pouvons le faire encore. Nous avons besoins les uns des autres. Laissons nos extrémismes de côté. Allons les uns vers les autres, nous nous retrouverons. Et nous bénéficierons d’appuis insoupçonnés. Il n’est jamais trop tard pour bien faire.

C’est l’appel d’un simple citoyen malien, peulh originaire de la zone qui souffre pour ses parents dogons et peulhs qui souffre pour son pays C’est l’appel d’un simple professeur, certes homme de culture, relativement informé de la situation de son pays, mais qui n’a jamais été un politique ni un entrepreneur économique pour défendre quelque intérêt particulier que ce soit et qui ne peut se prévaloir d’aucune influence et qui ne peut parler qu’en son propre nom.

Pr Bouréima Gnalibouly DICKO, en retraite à Bamako. Déc 2019

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