La décision du maire est superbement ignorée par les fumeurs. Les clubs de consommation ne désemplissent pas
Installée dans une salle noyée dans la fumée, une dizaine de jeunes se la coule douce, ce samedi, vers 19h, à notre passage dans le club de chicha d’un restaurant à l’ACI 2000, non loin de l’hôtel Radisson Blu, en Commune IV. Des jeunes filles faisaient leur entrée dans ce célèbre salon de consommation de chicha quand nous étions sur le départ. Le club ne désemplit pas. Alors que, par un arrêté communal daté du 3 juillet 2019, le maire de la Commune IV Adama Berthé, a interdit la consommation du Tramadol et de la chicha (narguilé), deux substances psychotropes considérées comme des drogues. Visiblement, les salons de consommation de chicha, dans la circonscription, semblent échapper à cette décision du maire Berthé.
Un tour au club de chicha de ce restaurant, permet de voir de grosses cylindrées stationnées aux alentours, des jeunes qui paraissent ne rien avoir en commun avec des fils de pauvres. Habillés en Bazin Getzner, certains en style pantalon serré et chemise de classe, ils fument tranquillement la chicha, dans la salle à l’étage. Un jeune derrière le comptoir (le gérant du coin), à notre arrivée, se préoccupait plutôt de servir à ses clients leur chicha. Il s’est montré plutôt méfiant devant notre présence et notre insistance, sachant bien qu’il est, désormais, interdit de faire ce business en Commune IV du district de Bamako.
« Revenez la nuit… Vous trouverez le gérant lui-même sur place. Vous pouvez venir de 23 heures à minuit », s’est-il adressé à nous, se débarrassant, à peu de frais, d’un journaliste qui n’est pas le bienvenu. Pendant ce temps, un consommateur de chicha prenait sa commande au comptoir. Celui-là est en désaccord complet avec la décision du maire. « Pourquoi il nous interdit la consommation ? Est-ce de la drogue ? », nous a-t-il lancé.
Malgré la réticence du jeune homme, nous avons réussi à nous infiltrer dans la salle envahie de fumée. Certains utilisaient la pipe à une tête et d’autres, venus ensemble, fumaient la pipe à deux têtes. « On ne peut pas s’en passer. Moi, personnellement, il faut que je fume la chicha pour me sentir bien. En plus, ce club est un lieu de détente et de rencontres pour nous. Je suis là tous les soirs pour prendre ma dose. Je fume la chicha depuis plus de cinq ans », confie Mohamed Bathily. Et de soutenir qu’il n’a encore rien senti comme séquelle de la consommation de la chicha.
Au fond, deux amis contestent, avec véhémence et ironie, la décision des autorités de la Commune IV du district de Bamako. « Décidément, ce maire veut faire sa popularité sur notre dos. Il n’a pas mieux à faire ? La population a beaucoup de problèmes à gérer avec, eux, les élus locaux. Certainement, qu’il n’a plus de terrain à brader dans sa commune c’est pourquoi il met sa hargne sur les paisibles consommateurs de chicha. Même demain, nous fumerons notre machin», tournaient-ils en dérision le maire et son arrêté d’interdiction.
MONDE PARADISIAQUE- Aicha, assise avec son petit ami, exprime ce qu’elle ressent lorsqu’elle fume la chicha. Non seulement, selon elle, c’est un plaisir à la mode mais aussi ça lui donne l’appétit ! Elle parlait en accroc de la chose. « J’aime le vertige que me donne la chicha, chaque fois, que je la fume. En plus, fumer la chicha me fait beaucoup manger… Ici, le club de chicha est un autre monde paradisiaque…», confie-t-elle, avant de révéler qu’elle possède une chicha, chez elle, à la maison mais qu’elle préfère le club, son ambiance, son environnement et son décor, pour se changer les idées et en partager avec les autres amateurs.
Alors que nous quittons les lieux, nous avons rencontré des jeunes filles et leurs compagnons au bas de l’escalier. D’autres garaient leurs véhicules.
Tout comme dans ce restaurant couru où la salle de chicha fait le plein, plusieurs clubs de consommation de chicha de la capitale malienne ne se vident point, surtout que la décision d’interdiction du maire Adama Berthé ne les frappe pas tous. D’ailleurs cette décision fait l’objet de débats dans certaines salles de consommation. C’était le cas, le week-end dernier, dans un club à Darsalam, face à la Place du cinquantenaire, au flanc de la colline, en Commune III du district de Bamako.
Certains consommateurs apprécient la décision du maire de la Commune IV. Selon eux, des jeunes se permettent dans des quartiers de la Commune IV de remplacer par l’alcool l’eau ou la boisson sucrée utilisée dans la chicha. « Je connais des grins à Djikoroni-Para et Sébénikoro qui louent la chicha à 3000 Fcfa/jour. Ils mélangent de la drogue et de l’alcool dans les produits de la chicha. Ils remplacent le tabac par le chanvre indien et y mettent des boissons alcoolisées en lieu et place de l’eau et la boisson gazeuse. Cette pratique n’honore aucun consommateur de la simple chicha et, surtout, nous qui fréquentons les salons de chicha », se plaint Chiapé, soutenant ainsi le maire de la Commune IV, dans sa décision d’interdire la consommation de la chicha.
De toutes les façons, les médecins déconseillent la consommation de ce produit. Ils tirent la sonnette d’alarme, relevant que la chicha nuit dangereusement à la santé humaine plus que la cigarette. C’est un produit nocif pour la santé de l’homme. Le Pr Cissé est formel : « La chica ? C’est une drogue », lance-t-il, soutenant que tout produit qui procure à son consommateur une sensation anormale, toute utilisation d’un produit, en le mélangeant à d’autres substances pour créer des effets, fait de la matière résultant de cette manipulation une drogue.
Une drogue, entendue comme une molécule qui a un effet sur le cerveau, modifiant les perceptions et le comportement de l’individu. Notre interlocuteur donne l’exemple du chanvre indien qui, sous les appellations de cannabis ou de haschich, en fonction de la forme qu’on lui donne et l’utilisation qu’on en fait, n’en reste pas moins une drogue, un produit stupéfiant.
Selon les statistiques des saisies au 1er semestre 2018 de l’Office central des stupéfiants (OCS), le Tramadol arrive en tête avec au total 32.091 comprimés saisis suivi par le cannabis avec 7.640,542 kg saisis. En 2017, l’OCS a saisi et détruit 8 tonnes de cannabis au Mali.
Oumar Diakité
Source: L’Essor- Mal