Nous travaillons en parfaite symbiose avec le Fespaco même si cette année, les nouveaux qui sont venus n’ont pas bien compris qu’il y a une tradition de vie commune entre les journées cinématographiques de Carthage (JCC), le Fespaco et la Fepaci. Ces confidences sont du secrétaire général de la fepaci, Cheick Oumar Sissoko, après la tenue du Fespaco. Interview.
Arc-en-ciel : Quels sont vos rapports avec le Fespaco ?
Cheick Oumar Sissoko : Le Fespaco, on peut dire qu’il est l’enfant de la Fédération panafricaine des cinéastes (Fepaci). Ce sont les pionniers du cinéma africain qui ont travaillé avec les Etats pour qu’il y ait le premier festival panafricain le JCC en 1966 à Carthage à Tunis.
1966-1969, la semaine du film à Ouagadougou qui devient en 1972 sur la demande la Fepaci, le Fespaco.
Nous travaillons en parfaite symbiose avec le Fespaco, même si cette année, les nouveaux qui sont venus n’ont pas bien compris qu’il y a une tradition de vie commune entre les journées cinématographiques de Carthage (JCC), le Fespaco et la Fepaci. J’avais demandé d’ailleurs en 2019, une rencontre entre les trois structures pour revenir aux fondamentaux. C’est le travail en commun, c’est l’assistance commune parce que nous avons un objectif commun, c’est de développer la cinématographie africaine, c’est de permettre la création des films, c’est de permettre leur visibilité dans les trois festivals. Il y a eu un partenariat puisque nous étions à toutes les réunions à travers le secrétariat exécutif de quatre personnes, trois étaient impliquées dans les commissions et beaucoup de membres du conseil exécutif et du conseil consultatif. Beaucoup de ses membres ont été dans le comité de sélection des films, de long métrage. Il y avait aussi comme présidents du jury. Habituellement c’est le colloque qui nous réunissait, une initiative du Fespaco, mais cette année, ils l’ont préparé sans nous.
Quel regard, les Défis ?
C’est vrai que nous choisissons ensemble les thèmes, mais le Fespaco a été le seul à choisir cette année le thème. Qu’à cela ne tienne, c’est un bon thème. Parce que à l’heure du numérique, il y a de nouveaux défis, il y a de nouveaux regards. La grande question pour pouvoir relever les défis, c’est la question de la structuration de l’économie du cinéma. Il faut faire face à cela. Structurer l’économie du cinéma, c’est travailler à insérer le cinéma dans les grandes questions économiques pour des plus-values à nos économies. Par conséquent la création des entreprises de métiers : entreprise de production, entreprise de post production, entreprise de distribution, le commercial et les salles de cinéma. Cela veut dire qu’il faut assurer une très grande formation.
Le défi à relever c’est qu’il faut que l’hégémonie médiatique du nord, de l’occident puisse minimiser avec notre positionnement. Et notre positionnement suppose que nous formions vraiment les gens, que l’économie de la culture soit structurée. Nos regards convergent vers quoi ? C’est que l’Afrique a vraiment besoin de sa propre image, de son regard témoin sur nos vies, nos sociétés. Parce que le regard de l’autre s’est toujours fait avec des dessins, parce qu’on a besoin de parler de notre continent, de ses problèmes, de son potentiel économique, humain, spirituel et scientifique. C’est un patrimoine dont on ne parle pas à suffisance.
L’Unesco a un projet avec nous, c’est : (l’African film heritage project). Autant nous devons chercher les archives ensemble, autant l’immense travail scientifique et spirituel qui a été fait par l’Unesco sur l’histoire général de l’Afrique nous apporte des perspectives énormes pour pouvoir montrer que les civilisations africaines portent des valeurs à vocations universelles. Cette part de destin de l’humanité, nous avons besoin d’en parler tout comme nous devons avoir comme mission de parler de nos façons de vie. C’est une façon de rendre visible, d’officialiser, d’aimer, de lutter mais aussi de bâtir. Et comme elles sont écartées de l’univers des images, il faut que nous puissions nous battre d’abord en faisant des films sur le continent africain. Nous ne pouvons pas ne pas avoir ses nouveaux regards d’amener l’Afrique et sa diaspora à travailler de concert pour que des films puissent être fait pour la renaissance africaine.
Comment vous jugez la qualité des films au Fespaco cette année ? Autrement dit, Est-ce qu’on peut dire que techniquement les œuvres présentées sont à la hauteur des attentes ?
Le numérique est certainement un avantage parce qu’il est à la portée des jeunes qui, par leur intelligence arrivent à maitriser l’outil. Mais le défis de professionnaliser le secteur est assez évident quand on regarde les structures des films. Les jeunes oublient que le cinéma est une science, une technique qui a ses règles qu’on doit pouvoir maitriser.
Cette année, le film qui a eu l’Etalon est un très beau film sur lequel on peut dire oui, certains films se font avec ses qualités esthétiques, avec les forces de caractères, avec les comédiens d’une certaine dimension.
Il y a dans la compétition de long métrage des films dont la qualité laissait à désirer. Par contre, certains étaient de bons films. Les films du Maghreb se distinguent par leur supériorité technique. La Somalie a présenté un très beau film et au finish, il s’adjuge de l’étalon de Yennenga.
Je crois qu’on a beaucoup de choses à faire sur la scénarisation, sur nos histoires, mais en même temps sur la direction de la photographie, sur le montage, sur la musique….
Cette année, ce ne sont pas les travailleurs du fespaco et les autres burkinabés qui avaient leur mérite, mais ce sont un comité de sélection qui a fait du beau travail. Mais, à mon avis quand on regarde qu’il y avait des films envoyés en sélection officielle, qu’on voit la qualité de ses films, on se demande s’ils ont vu tous les films ? Est-ce qu’ils se sont retrouvés autour des films dans une même salle ?
Je demande seulement de voir un film sénégalais. Celui de Clarence Delgado. C’est un magnifique film avec une très bonne histoire, avec un bon scenario, des dialogues exceptionnels, des comédiens à la hauteur, je me pose des questions.
Que signifie l’absence du Mali, pays de grand cinéma dans la compétition officielle ?
Pour la première fois depuis 1979 où « Bara » gagnait l’Etalon d’or de Yenenga, je n’ai pas souvenance de l’absence du Mali à la compétition officielle de long métrage. Nous avons toujours été là et de très bonne manière. Nous étions à l’avant-garde. N’eut été le manque de lobbing de notre part, de notre désorganisation, nous aurions pu avoir plus d’Etalon que les trois que nous avons. Tout simplement parce que nous ne nous préparons pas. Tout simplement nous ne nous aimons pas. Mais regarder partout, c’est difficile à accepter, c’est une violence que nous recevons en plein dans la figure. Nous n’avons pas préparé, le Fespaco. Quand j’ai eu l’Etalon en 1995 que le peuple de Bamako est allé m’accueillir à l’aéroport de Bamako, ce qu’il avait à la bouche : Nous avons gagné la coupe d’Afrique du cinéma. Et une coupe d’Afrique se prépare. Moi, j’ai choisi d’abord Ouaga avant d’aller à Cannes. Et quand on vient à Ouagadougou, on ne peut pas aller en compétition officielle à Cannes, mais en compétition parallèle. Parce que c’est relever notre niveau, c’est donner à Ouagadougou un label international de cinéma.
Je pense que le département de la Culture, le gouvernement, les maliens comprennent que la culture est le fondement de notre humanité et qu’elle doit être prise au sérieux. Nous devrons être jaloux des pays voisins qui non seulement mettent leur argent, mais s’organisent de mieux en mieux. Je ne jette pas l’anathème sur le gouvernement du Mali, je demande à nous cinéastes de balayer devant notre porte, de dire que nous sommes les ambassadeurs de notre pays, nous n’avons pas le droit de ne pas nous préparer sérieusement.
Est-ce que ce n’est pas le fonds qui manque ?
L’Etat du Mali a accepté sur la pression des cinéastes depuis 1991 le vote d’une loi qui régit les activités cinématographiques. Depuis 1998 dans cette loi article 21, il y avait la création d’un fonds d’aide à l’industrie cinématographique cela n’a pas pu être effectif, parce qu’il y avait des goulots d’étranglements. 2016, sur notre demande, notre pression, l’Etat du Mali a accepté de créer un fonds d’aide de 6 milliards F CFA. Pour ce même fonds, le Maroc, donne 4 milliards F CFA, le Sénégal 2 milliards F CFA, la Côte d’Ivoire se prépare à donner 3 milliards F CFA, le Burkina par son président a annoncé qu’une étude est en cours, mais il y a plusieurs formes de soutiens au cinéma burkinabè. Depuis 2016, la loi a été promulguée par le président de la République, et depuis cette date nous n’avons rien reçu. Mais ça n’explique pas vraiment cette déconfiture de notre cinéma.
Il faut dire que le fonds est important, mais n’est pas capital. Il faut d’abord une réorganisation entre nous. Vous savez, le Sénégal du temps de Abdoul Diouf a donné 5 milliards F CFA aux cinéastes, cela n’a pas rehaussé le niveau du cinéma sénégalais comme ils l’entendaient. Il faut des professionnels. Qu’est-ce que nous proposons à l’Etat, si cet argent venait en terme d’organisation ou bien comment nous mettre ensemble pour aider les uns les autres à faire de beaux films.
Moi, cinéaste formé dans une grande école, sortant d’une université, quand je fais un scenario, je le propose à plusieurs personnes : des historiens, des philosophes, des sociologues, des cinéastes mais aussi à l’éventuel public qui doit venir voir ces films, pour recueillir leur avis. Aujourd’hui, on prépare en moins d’un mois, on tourne les films à moins d’un mois, on peine à payer les comédiens et autres.
Le cinéma est un art collectif, trop sérieux parce qu’un film doit être vu par des millions de personnes. Une concertation entre nous est nécessaire afin de nous aider à relever la qualité artistique de nos films.
On a décidé de se voir pour voir comment on est arrivé là ? Je propose même qu’on regarde les films venus ici, pour qu’on puisse faire nos remarques, nos observations.
Propos recueillis à Ouaga par
Amadou Sidibé
Source : Arc en Ciel