Dans une lettre ouverte au Premier ministre Soumeylou Boubèye Maiga, l’honorable Moussa Diarra du RPM, estime qu’une République incapable d’assurer à ses enfants l’enseignement régulier et l’éducation de qualité, n’est qu’une République fantôme qui ne mérite pas d’exister. À son expérience et son analyse, le pays s’effondre, à travers l’ensemble de ses secteurs socio-économiques. Depuis 1960, ‘’jamais un gouvernement malien n’a été autant décrié pour de justes raisons comme celui que vous dirigez’’, s’est-il adressé au PM avant de l’inviter à rendre le tablier dans la plus grande dignité. Nous vous proposons l’intégralité de la lettre ouverte.
LETTRE OUVERTE À MONSIEUR SOUMEYLOU BOUBÈYE MAÏGA, PREMIER MINISTRE
Monsieur le Premier ministre,
L’heure est grave, plus que grave. La gradation des horreurs et des dérèglements déjà pointés, et qui semblent inscrits dans une continuité de plus en plus néfaste, pose véritablement le problème existentiel même de notre pays en tant qu’État souverain dans des frontières sécurisées.
La situation interpelle instamment chaque Malienne et chaque Malien, hommes et femmes, vieux comme jeunes, même ceux qui sont au berceau, voire dans le sein de leurs mères.
Il est temps pour les citoyennes et les citoyennes de se plancher résolument sur l’avalanche de drames qui meurtrissent sans discontinuer notre si beau pays ; de procéder sans complaisance aucune à un diagnostic rigoureux assorti d’une thérapeutique de choc.
Monsieur le Premier ministre,
Le privilège de servir l’État au poste où vous êtes ne manque pas de sacerdoce, il requiert en plus la bénédiction du peuple. Votre parcours politique personnel confère à votre fonction actuelle toute la légitimité historique.
Monsieur le Premier ministre,
L’histoire politique nationale aura en effet retenu que, au début des années 1990, vous avez eu le courage singulier de dire en face au Général Moussa Traoré, alors maître de notre pays en proie à mille soubresauts, que toutes les solutions envisagées ayant échoué, le mal n’était plus que lui, lequel mal devrait trouver son remède de cheval. On connaît la suite qui a coulé dans du zinc votre réputation de Tigre.
Depuis, vous avez été mêlé à la gestion de l’État à des niveaux différents, tous prestigieux et stratégiques : directeur de la sécurité d’État, ministre de la Défense, ministre des Affaires étrangères, secrétaire général de la présidence de la République, j’en passe.
L’histoire, qui est à la fois reconnaissante et impitoyable, ne manquera pas de promener sa lanterne sur les rôles que vous avez joués au service de notre patrie durant les 30 dernières années.
Aujourd’hui, en tant que Malien et élu de la nation sous les couleurs du RPM, l’honnêteté m’oblige d’admettre que vous avez servi valablement le président de la République en atteignant l’objectif de l’organisation sans heurts majeurs de la dernière élection présidentielle, celle de l’année passée, il y a quelque six mois. On peut vous le reconnaître ou vous le contester, le plus grand nombre de nos compatriotes pensent bien que vous avez assuré la victoire d’IBK, sa réélection. Mais aujourd’hui, nul n’a besoin d’être Dieu Lui-même pour savoir que le Mali fait face à un problème existentiel. Face à cette perspective effroyable tant redoutée, si Ibrahim Boubacar Keïta échoue en ne pouvant pas relever les défis de l’heure, quelle épithète faudrait-il pour qualifier votre bilan en tant que chef du gouvernement ? Certes, vous avez réussi d’éviter au pays de tomber dans l’impasse en 2018. Mais est-il bienséant qu’en 2019, la République tombe dans le chaos à cause de votre gestion décriée par la quasi-totalité de notre peuple ? Cela, même l’aveugle le voit partout et peut le lire dans les médias ; même le sourd-muet peut valablement le faire savoir en expliquant les preuves qui ne manquent pas.
Monsieur le Premier ministre,
Depuis 1960, jamais un gouvernement malien n’a été autant décrié pour de justes raisons comme celui que vous dirigez. Jamais un chef de gouvernement n’a autant échoué comme vous. Rien ne marche. Tous les secteurs vitaux de l’État sont en faillite, le pays se délite régulièrement, l’administration est en lambeaux. Concurremment, la corruption dans ses multiples affres enregistre des progrès notoires ; la pauvreté s’agrippe de plus en plus à la gorge des plus démunis ; sous peine de se laisser étrangler, ceux-ci ne finiront-ils, bientôt, par vouloir se défaire de votre gouvernance pour le moins honni ? Il semble bien que c’est ce sursaut salutaire qui est en cours et qui s’affirme chaque jour. Il n’y a qu’à ouvrir les yeux pour voir, attitude raisonnable, ou à les fermer pour ne rien voir, comportementale méprisant.
À présent, tant de souffrances ne suffisent-elles pas à émouvoir ce que votre âme a de noble ? Hélas ! Des hordes non identifiées de tueurs viennent régulièrement endeuiller notre pays. Aucune explication admissible n’est donnée à leurs équipées sanglantes.
La situation sécuritaire au Mali est chaque minute préoccupante. C’est même une litote que de dire qu’elle va de mal en pis. La gradation des horreurs est si pernicieuse qu’il est normal de se demander comment une telle avalanche de malheurs en est arrivée à s’acharner sur notre pays, un pays qui, en Afrique, est sans doute le seul à voir s’élever sur son sol au moins trois grands empires rayonnants : le Ghana, le Mandé, le Songhaï. Leurs lustres ont traversé les temps, les espaces, les océans. À la suite des griots et des voyageurs et explorateurs avertis, les historiens avisés continuent de sonder les immenses richesses humaines qui ont fait la gloire de ce pays. La Charte de Kouroukanfouga, inépuisable épître des droits, intéresse toujours les chercheurs.
Comment expliquer qu’un aussi vieux pays, creuset de mille valeurs demeurées inoxydables, en soit devenu à présent à être la cible privilégiée et la proie «recherchée» des gredins de la pire espèce ?
Des massacres de Koulongo à ceux de Dioura, immédiatement suivis par les exterminations opérées à Ogossagou, pour ne citer que ceux-là, nous sommes désormais plongés dans une profonde angoisse, dans une anxiété quasi morbide, dans la désolation, dans la désespérance, dans l’indescriptible embarras.
Monsieur le Premier ministre, qu’est-ce qu’un État qui n’arrive pas à assurer à ses citoyens la sécurité et la quiétude indispensable à toutes actions ? C’est un État voyou appelé à se disloquer dans la licence et le cynisme.
L’École malienne, ou ce qui en reste, est un échec patent, un épouvantail de désespérance dressé pour faire douter les citoyens de leur avenir.
Monsieur le Premier ministre,
Qu’est-ce qu’une République incapable d’assurer à ses enfants l’enseignement régulier et l’éducation de qualité ? C’est une République fantôme qui ne mérite pas d’exister.
Pour toutes ces raisons, montent de partout les colères de nos concitoyens, tant à l’intérieur des frontières sur lesquelles l’État a une présence et dans les pans entiers du territoire national qui échappent à notre souveraineté, mais aussi à l’extérieur où vit une diaspora soucieuse du pays des ancêtres.
Aux conflits communautaires, de toute évidence planifiés selon les plus fins observateurs, se juxtaposent désormais des querelles de chapelles de religieux dont on voit que certains groupuscules sont stipendiés par l’argent de l’État.
N’est-il pas temps pour vous, Monsieur le Premier ministre, de rendre à la République et au président de la République un service de qualité ? Celui de vous retirer humblement pour permettre que les forces vives de la nation viennent à l’unisson au chevet de la patrie commune.
Mais la question est de savoir si vous avez un tant soit peu pitié du Mali et des Maliens. Toute votre attitude semble indiquer que vous vous croyez hyper puissant parce qu’imposée à IBK. C’est bien ce qu’on entend dire dans vos proches milieux à qui on demande sans réponse : imposé par qui ? Il s’y ajoute que vous ne cessez de maugréer en privé contre le président de la République que vous jugez faiblard à alors que force doit rester à l’État. Si cela s’avérait, vous souhaitez donc vraiment la répression contre les manifestations des corporations et autres composantes de la société civile ?
Que non ! Le pays attend de vous plutôt un acte patriotique : rendre avec élégance le tablier parce que le peuple ne vous aime pas. Nous ne sommes plus au temps des demi-dieux lâchés dans l’arène.
Je vous remercie.
Honorable Moussa Diarra, député élu en Commune IV du District de Bamako.
Source: info-matin