La stratégie est déjà connue. Depuis le jour où ATT a osé reculer face à leur menace contre le nouveau Code des personnes et de la famille, elle marche non seulement à merveille, mais elle se fait de plus en plus ressentir. C’est l’intimidation et le chantage. Quand ils veulent gagner quelque chose de l’Etat, s’ils jugent maigre ce qui leur est proposé, les religieux montent vite sur leurs grands chevaux de guerre psychologique. Aux micros qui leur sont tendus lors des prêches ou des conférences qu’ils animent, ils tiennent des propos fracassants. L’essence est de maintenir la société et la classe politique en effervescence continue, sous prétexte de veiller sur le bien-être des populations et sur la bonne gestion. Dès que le but est atteint, ils s’engouffrent dans le silence pour une certaine période, avant d’avoir d’autres besoins à satisfaire. Plus on mange, plus l’appétit grandit, dit-on.
Une fois, il a suffi que Chérif Ousmane Madani Haïdara tempête contre les coupures de courant qu’une équipe s’est mise en branle pour que son domicile soit éclairé aussitôt. Le bitumage de la route de Tamani, son village natal, a été obtenu de la même façon. A peine Haïdara s’est plaint de l’étroitesse du stade de Bamako pour accueillir les pèlerins du Maouloud que 150 hectares lui ont été offerts par IBK. En plein état d’urgence instauré par le gouvernement pour éviter les attroupements massifs à cause de la menace terroriste, le Chérif, lui seul, défie tout l’Etat malien et exige la tenue des festivités du Maouloud. Les autorités bamakoises ont fait marche arrière.
Au départ, Chouala Bayaya ne manquait jamais de tirer à boulets rouges sur IBK lors de ses prêches. Puis soudain, il a changé de langage après avoir été, semble-t-il, arrosé de billets de banques par le régime. A la veille du nouvel an et par la suite, il a posté sur Facebook des photos de lui, en costume chic de couleur bleue marine, des images des voitures de luxe alors que des griots chantaient ses louanges autour du thé qu’il prenait, affichant un malin plaisir pour sa propre personne. Plus discret, le chérif de Nioro, qui n’est pas très actif sur la scène politique, préférant agir en coulisse, n’aime pas que ses camions soient fouillés par la douane ou que ses proches soient inquiétés par les porteurs d’uniformes. Quant à Dicko, il a toujours demandé que l’Etat accompagne à coups de millions de CFA les actions menées par le HCIM. Devenu président de la Commission de bons Office, structure rattachée à la Primature, il bénéficiait d’une grosse cylindrée et d’un fonds annuel de 800 millions de CFA. Tous les leaders religieux sont mieux escortés que les officiels, et leurs domiciles sont gardés aussi par les forces de l’ordre.
Ce qui échappe à l’attention de beaucoup est que ces leaders religieux ne demandent presque jamais que les rues de Bamako et d’autres grandes villes soient maintenues au propre ou qu’elles soient bitumées pour l’aisance des citoyens. Ils n’ont jamais usé de leur grande influence pour appeler les nombreux fidèles, ne serait-ce qu’à une seule journée de salubrité. Lors des grèves des élèves, médecins, cheminots et enseignants pour des revendications sociales, on ne les voit jamais au premier rang. Les déplacés peulhs et dogons qui sont à Bamako actuellement à dormir à la belle étoile sont les mieux placés pour dire combien de visites ils ont reçues de la classe religieuse malienne ou des hommes politiques. Quand le gouvernement leur offre des milliards ou des voitures de luxe, aucun d’entre eux ne refuse jamais de les prendre, ni ne demandent de les octroyer aux démunis du pays qui en ont plus besoin.
Dicko a toujours clamé à qui veut l’entendre qu’IBK est son ami. «Oui c’est mon ami…..Nous sommes amis et nous le resterons. C’est mon ami mais je lui dirai la vérité. Ceux qui parlent de rupture se trompent.», avait-t-il déclaré lors d’un point-presse. Lors de ses précédentes interviews, il a toujours soutenu qu’IBK aime le Mali qu’il porte dans son cœur, qu’il devrait être accompagné par toutes les forces vives de la nation, qu’il commet des erreurs et qu’il faudrait l’aider à les corriger. Aujourd’hui, l’amitié s’est transformée en haine quasiment voilée. Récemment, lors d’une autre prière collective, il a dit: «IBK ne mérite plus de passer un jour de plus au pouvoir ». Alors, que s’est-il passé depuis?
La cause, il convient de le rappeler encore une fois. C’est 2013, notamment les promesses de campagne qu’IBK n’a pas tenues vis-à-vis du HCIM qui avait introduit des doléances : fermeture des bars, aménagement des espaces de prière dans les bâtiments publics, salaires mensuels accordés aux imams à hauteur de 300 mille francs, nomination de certaines personnes dites « protégées » à des postes-clé, etc. En somme, des promesses d’eau potable sur mars qu’aucune technologie moderne de pointe n’a jamais encore retrouvée ! Elu président, il ne pouvait satisfaire aucune de ces doléances, sous peine d’une éventuelle explosion sociale. Les religieux se sont donc sentis bernés.
Ensuite, vient le partage du gâteau de campagne électorale, comme c’est d’habitude au Mali. Il y a ceux qui gagnent gros, ceux qui s’en sortent avec des miettes et ceux qui ne trouvent rien. Les deux derniers font vite de rejoindre les rangs d’une opposition qui n’est digne que de l’appellation du ventre qu’on cherche à remplir. Une troisième cause non négligeable est l’élection du président du HCIM qui se tiendra courant avril. Donc après mars, mois de malheur au Mali, la bataille est déjà engagée pour le fauteuil, avec tout ce qui peut se tenir comme meetings ou prières déguisées. Il se murmure derrière les rideaux que Sébénikoro que le pouvoir souhaiterait un changement à la tête de l’institution religieuse, puisque Dicko a osé ne pas soutenir IBK lors de la présidentielle de 2018.
Que n’a-t-on pas encore dit de cette classe politique malienne ? Corrompue, apatride, décevante et fêtarde. Surtout lâche face aux forces extérieures; aux religieux, forces intérieures qui les balancent comme une feuille sèche au gré du vent; face au destin de toute une nation en tourmente et perdue déjà dans les ténèbres du temps, sans aucun repère d’orientation. Ayant réalisé que le peuple ne les suit plus, ils se sont honteusement associés aux religieux, queues entre les jambes, pour continuer leur œuvre macabre, en creusant nuit et jour la tombe du Mali. Les uns volent, les autres, y compris ces religieux, y sont invités. Parce que c’est devenu la nouvelle norme de politique dans le pays, à remplir la bouche des griots, et celle de ceux qui peuvent déranger par leurs propos. Au Mali, l’une des plus grosses erreurs est celle de vouloir régler tout par l’argent. C’est pour cette raison que tout le monde est devenu expert, qu’à tort ou à travers, tous ont la bouche dans les affaires publiques. Etant chômeur ou dans la galère quelque part, à défaut de pouvoir trouver un travail, on devient facilement ainsi conseiller, diplomate ou même ministre. Au pays, la médiocrité et le « griotisme » ont pris le dessus sur le bon sens. Les dignes fils sont mis à l’écart au profit des graines qui pourrissent toute la bouchée. Tant que c’est ainsi, le Mali ne s’en sortira jamais!
La marche et la prière du vendredi 05 avril 2019, entendez par là marche et contre-marche, seront la suite de ce sinistre tableau. Ceux qui ont gagné quelque chose sont contre ceux qui s’estiment lésés sont pro. Même ici, la division se dessine, dangereusement cette fois-ci sur des bases religieuses qui pourraient entraîner le pays dans un cycle de violences, car chaque camp religieux réclame des millions de fidèles. wahhabites, salafistes, hamallistes, tidjaniya, clivages ethniques….toutes les composantes sont réunies pour l’explosion. En vérité, nous entrons déjà dans la phase finale qui fera brûler presque tout. Ce ne sont ni les hommes politiques ni les leaders religieux qui en feront les frais parce qu’ils ont les moyens de quitter le Mali pour vivre paisiblement ailleurs, mais les simples citoyens qui se seront massacrés par centaines sur place ou entassés par milliers dans des camps de réfugiés. Nul n’aura plus besoin d’eux.
Les hommes politiques ne sont plus à mesure de mobiliser les masses. Pour ce faire, ils font recours aux hommes religieux qui endorment mieux la conscience sociale pour détourner les regards du pillage. A leur tour, ils exigent de tirer un gros profit de leurs services. En fin de compte, on mettra tout sur la volonté et sur le dos de Dieu!
Quand la classe politique veut voler ou accéder aux fruits du vol, elle fait appel à la classe religieuse. Lorsque c’est des querelles individuelles, des règlements de compte qui éclatent, la menace des meetings, des prières dites collectives sans aucun résultat, du soulèvement populaire est brandi. Et le peuple dans tout ça ? Il reste le ballon que les deux équipes frappent dans toutes les directions sur la pelouse. Une chose reste claire : le trophée n’est jamais remis au ballon lui- même!
Le salut du peuple, il est évident, ne viendra ni de la classe politique actuelle ni de ces leaders religieux. Ce sont deux poumons logés dans le même thorax. C’est aux citoyens eux-mêmes de s’affranchir de ce joug, d’inventer un nouveau Mali et un nouveau Malien, de trouver les vrais leaders qui les aideront à avancer sur le chemin de la dignité et de l’assurance en un meilleur futur de stabilité, de justice, de paix et de bonheur pour tous. IBK est un homme qui a failli sur tous les plans. Il est le premier président qui n’a été à la hauteur d’aucune de ses promesses. Cependant, rien ne montre que les religieux feront mieux. Le vrai paradis, c’est le Mali que nous sommes en train de perdre dans les divisions et les clivages ethniques inutiles. Mais il n’est pas encore trop tard; il faut un sursaut national. Saurons-nous le faire, tant nous nous réclamons des grands héros qui ont fait notre gloire historique ?
Le doute, tout comme l’espoir, est permis.
Sékou Kyassou Diallo
Source: Le Démocrate