Entre le 10 décembre 2019 et le 9 janvier 2020, en deux attaques perpétrées à Inatès et à Chinégoder, localités frontalières du Mali, le Niger a officiellement perdu 174 soldats de tous grades confondus. Des chiffres qui font froid dans le dos. Pourtant, des rumeurs persistantes indiquent qu’il y en a eu plus que ça, aussi bien à Inatès qu’à Chinégoder. Quoi qu’il en soit, la colère des Nigériens est à son comble.
Ça suffit, entend-on un peu partout. Pour la première fois, le chef de l’Etat Issoufou Mahamadou semble avoir entendu les cris de colère qui montent. Le lundi matin 13 janvier 2020, le Président Issoufou, peu avant de s’envoler pour Pau (France), a tenu un conseil des ministres consécutif à la réunion du conseil de la défense. À l’ordre du jour, un seul point : le remaniement à la tête de l’armée. Un remaniement qui a consacré la nomination du général de Division Salifou Modi comme chef d’état-major des armées tandis que Didilli Amadou pose sa musette au secrétariat général du ministère de la Défense, en remplacement du général Waly Karingama. Quant au général de Brigade Seïdou Bagué, il atterrit à l’état-major de l’armée de terre. Des changements d’hommes attendus depuis longtemps mais qui ne suffisent guère à opérer le tournant souhaité par les populations nigériennes dans la guerre contre le terrorisme. Il faut bien plus qu’un simple jeu de chaises musicales pour permettre à l’armée nigérienne de s’acquitter honorablement de sa mission. Les soldats Salifou Modi, Didilli Amadou et Seïdou Bagué ne peuvent vraisemblablement pas faire du miracle. Ce ne sont pas des magiciens. Et ils ont beau être des soldats valeureux, ce qu’ils entreprendront pour changer la donne sur le terrain ne reflètera que le contexte et les conditions dans lesquels ils vont évoluer. Le contexte et les conditions dans lesquels évolue actuellement l’armée nigérienne pèsent sans aucun doute sur les contre-performances qu’elle enregistre face à l’ennemi. Mal équipée à la hauteur des groupes terroristes, comme l’a indiqué Mohamed Bazoum au lendemain d’une attaque meurtrière qui a coûté la vie à plusieurs gendarmes dans la région de Tillabéry, l’armée nigérienne manque également de matériels de surveillance et d’appareils volants de combats. Cette situation, dénoncée avec vigueur par des personnalités proches du régime, explique, à plusieurs égards, la déconfiture d’une armée réputée très brave. Outre l’alerte donnée par le ministre de l’Intérieur Mohamed Bazoum, Abou Maman, fondateur du journal Le Républicain, a enfoncé le clou en dénonçant le sous-équipement matériel dans lequel végète l’armée de l’air nigérienne. À la Une d’un numéro de mars 2019, Abou Maman a titré : « Ministère de la Défense – Pourquoi tant de laxisme et négligence au sein de l’armée de l’air ? ». Et en illustration, Le Républicain affiche une photo du chasseur Sukhoï, acquis sous Mamadou Tandja, encore opérationnel mais inactif, souligne-t-il. Pourquoi ? Il n’y a pas que le chasseur Shukoï, il y a également des hélicoptères de combat, toujours acquis sous Mamadou Tandja, mais dont on n’a jamais entendu parler dans des interventions armées en rescousse aux soldats attaqués ou en poursuite d’ennemis. En plus de ces appareils dont le triste sort a été révélé par Abou Maman, Hassoumi Massoudou, alors ministre de la Défense, a déclaré publiquement que le gouvernement a fait l’acquisition d’un drone sophistiqué de dernière génération. Où est-il et à quoi sert-il alors que des centaines, sinon plus, de soldats nigériens sont devenus de la simple chair à canon pour des terroristes sans foi ni loi.
En plus du matériel , il faut bien noter qu’une armée sans renseignements est presque condamnée à subir. Si le nouveau ministre de la Défense, Issoufou Katambé, a déclaré aux soldats lors de sa tournée dans la région de Tillabéry pour leur remonter le moral, qu’il n’est plus question d’attendre une attaque pour riposter, encore faut-il disposer de la marge de manoeuvre indispensable aux initiatives militaires. Or, selon des informations en provenance de sources crédibles, certaines manettes de commandement échappent aux chefs militaires indiqués pour ça . Un corps dont la force principale est sa discipline.
Les renseignements militaires et/ou policiers sont, donc, déterminants dans la lutte contre le terrorisme. La direction générale de la documentation et de la sécurité de l’Etat (DGDSE) doit être par conséquent mise à contribution afin de fournir les hommes sur le terrain en renseignements crédibles. Il en est de même des renseignements militaires et des renseignements généraux de la police dont l’apport combiné constitue le premier levier de défense.
Le décor est planté. C’est dans ce contexte et ces conditions que le chef suprême des armées a procédé à quelques changements dans la hiérarchie militaire. Les Nigériens ont été nombreux à saluer l’acte comme encourageant et prometteur. Mais il est loin d’être suffisant pour engranger les résultats attendus, ont indiqué plusieurs citoyens de référence qui se sont prononcé sur la question. Pour Moussa Tchangari, acteur de la société civile et secrétaire général d’Alternative Espace Citoyen, « un changement d’équipe à la tête de l’armée ne signifie pas forcément un changement de politique de gestion de la crise sécuritaire ». Quoi qu’important, il n’est pas, dit-il, suffisant pour inverser une situation aussi désastreuse. Salifou Modi, Didilli Amadou, Seïdou Bagué ainsi que le chef suprême des armées, le Président Issoufou qui amorcé ce changement de fusil d’épaule, savent ce qu’il leur reste encore à faire pour dissuader tout autre ennemi du Niger à s’attaquer à ses positions militaires.
Source : Le Courrier