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Guinée : un double scrutin « en vase clos »

Inflexible, le pouvoir guinéen est allé jusqu’au bout de son projet de référendum constitutionnel couplé à des législatives. Mais à quel prix ?

« Les violences continuent ». La voix éteinte et fatiguée, le débit saccadé, Abdoulaye Oumou Sow, blogueur et membre fondateur du Front national de défense de la Constitution (FNDC), commence ainsi le compte-rendu du double scrutin (législatives et référendum constitutionnel) de ce dimanche 22 mars. « Hier, nous avons dénombré 10 morts, et nous avons appris ce lundi matin qu’il y avait aussi 4 morts à N’Zérékoré en Guinée Forestière. Des incendies étaient encore en cours, et à Conakry, les tensions sont encore palpables aujourd’hui », ajoute-t-il.

Le gouvernement, de son côté, mentionne dans un communiqué publié ce dimanche à 22 heures des « violences et affrontements entre militants ont malheureusement causé la mort de deux personnes à Conakry », et « deux autres décès par accident et par arrêt cardiaque on été signalés ». Il dénonce aussi « des actes inciviques et des violences (qui) ont causé la destruction du matériel (électoral) ».

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Qui dit vrai ? Le Point Afrique a joint deux personnes au hasard, dans la liste des dix victimes publiée ce dimanche par le FNDC. Le premier interlocuteur raconte que Mamadou Baïlo Diallo, 12 ans, résidant à Koloma, banlieue nord de Conakry réputée pro-opposition, a reçu une balle au niveau de la poitrine à 18h en revenant de la mosquée, et à proximité d’une zone de tensions entre manifestants et forces de défense et de sécurité. Il est décédé à 22 h. Le second explique que son jeune frère Ousmane Barry, 23 ans, résidant à Bambeto (dans la même banlieue que Koloma, ndlr.), et consigné à la maison en raison des violences, a reçu une balle dans le dos vers midi à l’extérieur de la concession familiale. Il est décédé peu après son arrivée à l’hôpital.

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De la violence et des perturbations du réseau internet

C’est donc à une nouvelle explosion de violences que se résume d’abord la journée électorale du 22 mars. Outre Conakry, la situation semble particulièrement tendue à Nzérékoré, capitale régionale et ville carrefour enserrée par le Liberia et la Côte d’ivoire. Des bureaux de vote ont été détruits, l’église protestante ainsi que plusieurs maisons ont été incendiées. Certains témoignages font état d’exactions commises par d’anciens combattants de l’Ulimo, une milice libérienne qui recrutait des Konianké, un sous-groupe des malinkés (proches du parti au pouvoir) lors de la guerre civile au Liberia.

Ce week-end a aussi été marqué par des problèmes d’accès à Internet. « Le réseau n’était pas coupé, mais il y a eu des filtrages. Facebook et Twitter sont devenus inaccessibles sur Orange et MTN, les deux plus gros réseaux téléphoniques, à partir de samedi et jusque-dans dans la nuit entre dimanche et lundi. C’est une première en Guinée et c’est un mauvais signe », observe François Patuel, consultant et chercheur en droits humains sur l’Afrique de l’Ouest.

La société Guilab (Guinéenne de large bande), qui gère le service, a prétexté des travaux sur un câble sous-marin à fibre optique. Soit un problème « technique qui n’a rien à voir avec la politique ou les élections ». Mais pour François Patuel, il s’agit d’une « violation flagrante du droit à la liberté d’expression, d’autant plus grave qu’elle survient en période d’élection, quand chacun doit pouvoir s’informer et s’exprimer sur ce qu’il se passe sur le terrain ». Résultat, on a pu voir circuler sur WhatsApp des incitations à installer des applications VPN afin de contourner les blocages.

Une polarisation extrême de la scène politique 

Le gouvernement, de son côté, assure que « de manière générale le vote s’est déroulé dans des conditions apaisées sur l’ensemble du territoire national ». Mais ce double scrutin semble surtout consacrer la polarisation extrême de la scène politique, avec deux camps arc-boutés sur leurs positions.

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D’un côté, le pouvoir, déterminé à doter la Guinée d’une nouvelle Constitution – qui permettrait notamment au président Alpha Condé, deux mandats à son actif, de remettre les compteurs à zéro et de se présenter à la présidentielle d’octobre. A toutes les voix qui se sont élevées, en Afrique et ailleurs, pour exprimer leurs préoccupations, au sujet du respect de l’alternance démocratique, de la non-inclusivité du scrutin ou des irrégularités du fichier électoral, le président Alpha Condé semble être resté sourd. Aux médias étrangers qui l’ont interrogé quant à sa volonté de se maintenir au pouvoir, il a rétorqué sans relâche : « pourquoi serait-il impossible en Guinée de faire trois mandats ? », et dénoncé une vision de la « démocratie à géométrie variable » qui stigmatiserait la Guinée. « Seuls les citoyennes et citoyens guinéens peuvent décider », a répété le dirigeant guinéen samedi 21 mars dans son adresse à la nation .

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Et de l’autre côté, le FNDC, mouvement citoyen né il y a presque un an pour s’opposer à une velléité de 3e mandat du chef de l’Etat, et composé de partis d’opposition et de membres de la société civile. A visée pacifique et légaliste, il mène depuis le 14 octobre 2019 une contestation qui dégénère souvent en affrontements – 42 personnes sont déjà mortes à l’occasion de ses manifestations. Et il se montre tout aussi inflexible. « On n’entend pas reculer, jusqu’à faire échec au coup d’Etat constitutionnel. Ce scrutin (que le FNDC a appelé à boycotter, ndlr) est une mascarade électorale, et s’est déroulé en vase clos », réagit Abdoulaye Oumou Sow. Le mouvement exige également dans un communiqué « la libération des personnes détenues ».

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Vers une dérive répressive ?

Les arrestations arbitraires, et notamment d’opposants, survenues ces derniers mois, ont conduit plusieurs ONG à tirer la sonnette d’alarme. Jeudi dernier, à la Maison de la presse de Conakry, le président d’Avocats sans frontières Guinée Koné Aimé Christophe Labilé a alerté sur un autre phénomène que relaie régulièrement la presse guinéenne depuis la mi-février : les enlèvements. Il s’agit « dekidnappings dont sont victimes des personnes supposées hostiles au projet de nouvelle Constitution » et qui sont opérés par les forces de l’ordre, a-t-il expliqué. Une partie de ces personnes enlevées auraient été transférées selon la presse dans une cité près de Kankan (2e ville de Guinée, à l’est du pays), rebaptisée « Camp de Soronkoni ».

Le scrutin du 22 mars s’est déroulé dans une atmosphère explosive. © CELLOU BINANI / AFP

Samedi 21 mars, l’organisation internationale Amnesty international a dénoncé à son tour « des rafles aveugles » et des arrestations d’opposants. « Des jeunes de la capitale Conakry dont le nombre pourrait atteindre 40 ont été arbitrairement arrêtés ces dernières semaines puis conduits en détention dans un camp militaire. Ils ont disparu depuis », dit le communiqué. « Il s’agit en majorité de jeunes hommes arrêtés dans des quartiers contestataires de Conakry. Ce n’était pas dans le cadre d’une manifestation, ils étaient simplement dans la rue. Une partie d’entre eux a été arrêtée le 11 février à Koloma, par des policiers de la CMIS (Compagnie mobile d’intervention et de sécurité).

Dans la soirée, ils ont été embarqués par des bérets rouges qui les ont transférés en Haute-Guinée », complète Fabien Offner, chercheur au bureau d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale. Un phénomène perturbant dans ce pays encore habité par la mémoire de la répression sous le régime de Sékou Touré (1958-1984). Et qui semble avoir refreiné certaines ardeurs… Un ingénieur, la quarantaine, qui avait contacté Le Point Afrique mi-janvier pour communiquer sur la création de son mouvement politique en vue des législatives, et à qui l’on demande s’il a finalement participé à la compétition, répond par la négative. « J’ai renoncé dès que le couplage des législatives à un référendum sur la nouvelle Constitution a été annoncé, et que les grands partis d’opposition ont été écartés », précise-t-il. Et demande aussitôt à être cité anonymement. Par crainte des enlèvements.

Par Agnès Faivre

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