Le 05 juin dernier, une grande manifestation a réuni plusieurs personnes issues d’une trentaine d’organisations politico religieuses et de la société civile. Si ce rassemblement n’a pas atteint l’envergure de celui du 05 avril 2019 contre l’ancien premier ministre Soumeylou Boubeye Maiga, il a eu le mérite de faire rêver ces organisateurs, qui n’avaient d’autre demande que le départ du président de la République qui, à leurs yeux était coupable de tous les maux que traverse le Mali.
Chacun y allait de sa rancune, de sa rancœur, de sa plainte et de ses espoirs. Un vrai tribunal à ciel ouvert, un bûcher allumé de mille espèces de bois, où volontiers, on casse et grille d’IBK. Il est vrai que les raisons d’être contre le régime d’IBK ne manquent pas, loin s’en faut. La première d’entre elles c’est la courbe échine du régime devant les enfants gâtés de Kidal, des narcoterroristes dénoncés par une grande partie de l’opinion internationale, mais face à qui le pouvoir IBK a toujours tremblé au détriment des populations résistantes qui ont hissé haut le drapeau malien, souvent au prix de leur vie. Pire encore tout ce qui a ressemblé à une solution n’a jamais été ni pensé, ni mis en œuvre par le régime, qui semble être sourd, aveugle et même complice de la souffrance des populations majoritaires du nord du Mali. A cela s’ajoute le drame du centre du pays.
Des centaines de massacres de maliens, des atrocités indicibles, du cannibalisme, des destructions de villages, un surnaturel abandon, contre lesquels une indignation de forme et des communiqués laconiques, comme pour se moquer et juste après les fastes du pouvoir reprennent. Au nord et au centre, ni justice, ni réparation, ni reconnaissance aux jeunes résistants. Le Mali bafoué, trimballé et nos dirigeants nullement outrés.
Le deuxième grief c’est bien sûr l’école malienne, qui croule sous le poids des revendications corporatistes, de la mauvaise gestion, de la corruption et surtout du manque cruel du courage de l’innovation. L’école est devenue la preuve du mépris et de l’abandon que témoigne IBK au malien. Autre victime de l’abandon, la jeunesse malienne, sous-formée, sous-informée, désœuvrée, précaire et sans perspective réelle elle semble vouée à l’échec. Là aussi, le régime pèche par la timidité dans les initiatives, des recrutements douteux et un népotisme jamais égalé. La jeunesse désespérée se spécialise dans le buzz, la vidéomania, dans la véhémence et les imprécations, tirant sur tout ce qui bouge.
Qu’à cela ne tienne, IBK est loin d’être le seul responsable du mépris affiché aux douleurs nationales. Mahmoud Dicko et ceux qui le soutiennent y ont tous pris part d’une façon ou d’une autre, à un moment ou à un autre. Dans trois ans leur bienfaiteur n’aura plus rien à offrir, il faut filer à temps pour ne pas éveiller les soupçons d’ingratitude. C’est la fameuse anecdote de la vaisselle, après le festin. Aujourd’hui le Vieux comme on l’appelle est en fin de mandat : plus rien donc à espérer d’un pouvoir finissant. Mieux vaut se refaire une virginité, mieux jouer un rôle de premier plan avec comme sésame les problèmes du pays. On a tout compris.
Dicko et compagnie n’ont autre plan que celui de leur positionnement dans le beurre à venir. Se débarrasser des souillures de l’ère IBK et se présenter sous des nouveaux jours aux yeux des maliens.
Dicko en a les moyens. D’abord le moral parce que n’ayant plus rien à attendre, le pouvoir finissant. Ensuite, Dicko en a les moyens financiers, car lui et son gendre Issa Kaou Djim, reçoivent des centaines de millions des commerçants sunnites, des riches contributeurs arabes du Golfe et de nombreux riches fonctionnaires qui craignant un brutal changement veulent se placer dans la direction du vent. Que peuvent-ils donc reprocher aux soutiens du régime qu’ils accusent de vouloir organiser une manifestation de soutien à leur mentor à coup de millions !
Mais dans tout ça, quel est l’intérêt des maliens? Même si départ d’IBK il y’a, dans combien de temps nos souffrances s’arrêteront ? Qui veut précipiter le pays dans l’inconnu, voire vers sa disparition toute simple. Dicko et IBK ne sont-ils pas dans une séparation tardive sur le dos des maliens ?
Beaucoup de laxisme dans la gouvernance, trop d’injustice sociale, de corruption. Beaucoup d’échecs dans la gestion de l’école. Manque d’approche et beaucoup de faiblesse, d’indignité et de capitulation face aux narcoterroristes de Kidal. Absence de programme et recul sans précédent dans l’emploi des jeunes et la lutte contre le chômage. Beaucoup trop d’insouciance, beaucoup trop de méchanceté, beaucoup trop de complicité, beaucoup trop de laisser-aller, beaucoup trop d’arrogance, face à un peuple qui a tout donné.
Mais ces choses, quoique graves, ont été cautionnées par tous, y compris par l’imam Mahmoud Dicko, qui tout en dénonçant et tout en se démarquant aujourd’hui à très bien profité du système. On se rappelle les 700 millions qu’il empochait et ses rendez-vous fréquents à Koulouba. A l’époque, il faisait semblant de dénoncer pour la crédibilité aux yeux de l’opinion, mais ne refusait guère ce qui est donné en dessous du boubou.
Aujourd’hui c’est vrai que les voix tonnantes du monument de l’indépendance rendent inaudible tout autre son contraire, mais les faits sont têtus et, l’histoire bien récente pour la jeter dans la poubelle. Dans le Mali sous IBK, personne n’est saint. Les gens peuvent user de malices pour profiter sans se mouiller, pour critiquer tout en bénéficiant, pour se démarquer à la dernière minute, au crépuscule du régime, pour revêtir l’habit de la virginité et de la renaissance pour compter et être aux premières loges du futur pouvoir. Stratégie de survie bien pensée, mais qui ne saurait tromper. En réalité, personne ne peut jeter la première pierre à IBK, parce que tous ont péché avec lui. Seulement, il était celui qui était là dès le début et qui a été le complice de chacun à un moment donné, se faisant dénominateur commun des fautes de tout le septennat. Et hormis la miséricorde du Seigneur, aucun malien sous l’ère IBK, fusse-t-il Imam n’est saint aux yeux de Dieu. Nous avons tous péché, ne serait-ce que par notre silence due à telle ou telle raison. Et ce ne sont pas quelques diatribes de temps à autres du HCI, diatribes de crédibilité, qui vont nous démentir. Nous devons donc nous asseoir pour discuter très sereinement, très sérieusement et très sincèrement de comment reprendre la gouvernance pour les trois prochaines années. Car avant tout, les maliens, y compris les nombreux manifestants du 05 juin, ne veulent point, et ne manifestent point pour un saut dans l’inconnu, un pays sans institutions, un navire sans gouvernail dans la tempête actuelle que traverse le Sahel. Les agendas cachés des uns et des autres, peuvent donc attendre. Le pays vaut plus que chacun d’entre nous et c’est le sauver envers et contre tout qui doit être notre seul souci.
Ali DIARRA
La Lettre du Mali