Pour la première fois dans l’histoire de la République, la Justice, gardienne des libertés, a choisi de priver les citoyens maliens de leurs droits constitutionnels. Accusant le Gouvernement de trainer les pieds pour donner suite à leurs revendications et de ne pas tenir ses engagements, lors des négociations, de donner suite à toutes leurs revendications à incidences financières et à incidences non financières, de sécurisation des juridictions et des personnels judiciaires, le Syndicat Autonome de la Magistrature (SAM) et le Syndicat Libre de la Magistrature (SYLIMA) ont décrété de 24 juillet 2018 une grève illimitée. La politisation à présent de cette grève, révèle une dangereuse confusion des genres.
Estimant que le Gouvernement a fait preuve de mauvaise foi, de condescendance envers un corps d’égale hiérarchie constitutionnelle, les deux syndicats, le Syndicat Autonome de la Magistrature (SAM) et le Syndicat Libre de la Magistrature (SYLIMA) qui estiment que leur grève illimitée «n’est que la réaction légale et légitime de la magistrature contre le reniement du Gouvernement du Mali » sont sourds aux sollicitations de toutes les bonnes volontés et ont depuis maintenu leur mot d’ordre de grève.
Revendication salariale ou politique ?
Prenant alibi « la décision prise par le Gouvernement de la République du Mali de procéder à la retenue sur les salaires des magistrats à partir du mois de septembre 2018 », le 24 septembre dernier, les magistrats grévistes sont montés d’un cran dans la radicalisation en ayant recours au sensationnel, sinon au chantage, pour faire aboutir leurs revendications. Ce, en exigeant « que toute la lumière soit faite autour des trois milliards et demi (3.500.000.000) FCFA évaporés curieusement dans la nature à l’hôtel des Finances » et en « se réservant le droit de faire d’autres révélations et même d’entreprendre des actions plus fortes visant le même ministre, voire d’autres membres du Gouvernement de la République » !
Révélation ou dénonciation calomnieuse ?
La méthode rappelle celle de l’opposition malienne qui s’est faite spécialiste de scoops par-dessus la tête des journalistes. Le gouvernement en est-il impressionné ?
Le locataire de l’Hôtel des finances, droit dans ses bottes, invite les grévistes à déballer toutes les preuves qu’ils ont. Depuis, s’est dégonflée la baudruche du déballage. En effet, invités sur le plateau de notre confrère ‘’Klédu’’, les grévistes n’ont pu véritablement convaincre sur le bien-fondé de cette affaire.
Fort du soutien du chef de file de l’opposition qui leur a rendu visite à leur siège, le 4 octobre, (surement pas pour leur dire d’arrêter la grève parce que « les caisses de l’Etat sont vides », Soumi dixit), et avec lequel ils « ont fait un tour d’horizon d’abord sur la situation sociopolitique avant de partager leur analyse sur le cahier de doléances », les magistrats grévistes ont maintenu leur mot d’ordre de grève et annoncé que sa « suspension dépend de l’engagement du Gouvernement ».
La rencontre avec le challenger malheureux du Président IBK à la dernière présidentielle qui prônait une désobéissance civile et une non-reconnaissance des institutions avait-elle une consonance politique ? Nul procès en sorcellerie : un syndicat peut bien rencontrer une chapelle politique sans que cela ne donne lieu à suspicion.
Compatibilités et incompatibilités
Ailleurs, des syndicats sont même affiliés à des partis politiques. Lors de leur dernière grève, les magistrats ont rencontré l’Opposition et la Majorité.
La lutte syndicale est-elle donc compatible avec l’engagement politique ?
L’on répondra que dire d’un syndicat qu’il fait de la politique est une tautologie et que l’action syndicale ne se limite pas aux murs d’une entreprise donnée. Le terrain politique au sens large fait partie du champ d’action que se sont données depuis toujours les organisations de travailleurs. Il faut se rappeler que les mouvements ouvriers sont, dès l’origine, multiformes: partis, syndicats, bourses du travail… ne forment qu’une seule et même organisation. Scinder l’action sociale de l’action politique, est, de ce point de vue, parfaitement artificiel.
Un syndicat peut-il donc faire une grève politique ? Un syndicat peut-il faire la grève pour des motifs qui ne sont pas de sa compétence ? En d’autres termes, la grève doit-elle être limitée quant à son objet ?
Nous plaidons par la négative.
En effet, un syndicat a pour objet l’établissement de relations ordonnées entre employeurs et salariés, ainsi que l’étude et la défense et le développement des intérêts économiques, sociaux et moraux de ses membres dans le respect des lois et de l’autorité. Le syndicat n’est donc pas un organisme politique; sa fin est l’étude, la défense et le développement d’intérêts professionnels.
Si la négociation collective, la conciliation et l’arbitrage ne permettent pas au syndicat de promouvoir suffisamment les intérêts professionnels de ses membres, il peut alors aller en grève. Nulle part, dans le droit du travail, il n’est référé à des revendications politiques pouvant constituer l’objet de grève. En effet, comment le Syndicat pourrait-il alors licitement observer une grève pour l’obtention d’une fin étrangère à sa nature et à son action ?
Des exigences déplacées
Ce qui pollue le caractère syndical de la grève illimité des magistrats, c’est au-delà de leur refus d’observer le service minimum légal (et obligatoire pour assurer le service public de la justice) et de déférer à la réquisition du Gouvernement (sanctions prévues par la loi 87-48 AN RM du 10 août 1987 relative aux réquisitions de personnes, de services et de biens), ce sont les exigences politiques qu’ils ont greffées à leurs revendications syndicales.
Prenant acte, ce 10 octobre, de la décision historique posée par le Gouvernement de la République du Mali de réquisitionner des Magistrats et estimant qu’elle constitue une « atteinte grave et intolérable à la Constitution de la République en ses principes relatifs à démocratie, à la séparation des pouvoirs, à l’Indépendance du Pouvoir Judiciaire et au droit de grève », les deux syndicats refusent ce qu’ils appellent « ce délire dictatorial », (invitent) tous les Magistrats à faire bloc contre cette forme de caporalisation du pouvoir judiciaire par le pouvoir exécutif, et à refuser de se soumettre au décret illégal du Gouvernement.
Surpris par la réquisition qui est le corollaire de la non observation du service minimum, les magistrats grévistes exigent désormais la démission du Premier ministre, chef du Gouvernement, du Ministre de la Justice et de Mme la Ministre du Travail et de la Fonction Publique, ainsi que du Président de la Cour Suprême et proposent « de porter plainte contre eux pour haute trahison et pour complot contre la sûreté de l’Etat, conformément aux dispositions de l’article 95 de la Constitution du Mali du 25 février 1992) ». En clair pour haute trahison.
Une dangereuse glissade
Les magistrats transportent-ils leur combat syndical sur le terrain politique ?
En tout, clairement, il y a là une glissade dangereuse sur le terrain politique. Parce que d’essence politique, la haute trahison est une infraction politique et sa procédure est exclusivement politique. Au demeurant, l’exigence de la démission de membres de l’Exécutif (Premier ministre, Ministre de la Justice et Ministre du Travail et de la Fonction Publique) est une demande politique, qui ne peut être traitée que dans un cadre politique, ne peut avoir de suite que dans un cadre politique… Les conséquences ne peuvent être que politiques.
Dès lors, la grève déclenchée depuis 24 juillet dernier prend une tournure politique. Or, la grève ne peut nulle part avoir un caractère politique, et les revendications syndicales ne peuvent rimer avec des doléances politiques.
Autrement, elle devient une grève politique et illégale. Parce que la grève politique a pour objet la satisfaction des revendications non pas professionnelles, mais politiques et de faire pression sur les autorités du pays.
En demandant ces démissions, les grévistes sortent clairement de leur champ traditionnel de légitimité pour une aventure politique qu’ils dénoncent eux-mêmes, en vertu de la séparation des pouvoirs. En effet, comment et dans quelle mesure le pouvoir judiciaire qui ne veut pas subir de pression du pouvoir Exécutif peut-il exiger la « soumission » de ce dernier à ses desiderata ?
Par Bertin DAKOUO
Source: Info Matin