Qui est, réellement, Moussa Traoré ? Comment est-il arrivé au pouvoir ? Comment a-t-il exercé le pouvoir ? Comment a-t-il quitté le pouvoir ? Quel héritage a-t-il laissé aux Maliens ? Dans le but de répondre à ces cinq questions, Dr Choguel Kokalla Maïga et Pr Issiaka Ahmadou Singaré dans leur énième coproduction ont mis sur le marché un livre de trois cent pages, intitulé ‘’Hommage au Général d’armée Moussa Traoré, Secrétaire général de l’Union Démocratique du Peuple Malien ’’, dont le lancement a eu à la Maison de la Presse. Après la publication du résumé des deux premières parties de cet ouvrage dans nos précédentes, nous vous livrons dans la présente parution celui de la troisième partie consacré à certains grands chantiers du Général Moussa Traoré, de même que l’héritage laissé par lui. Lisez plutôt !
Durant les vingt-trois ans qu’il a passé au pouvoir, Moussa Traoré a fortement marqué de son empreinte tous les secteurs du développement économique, social et culturel.
Considérant qu’il ne saurait y avoir de développement sans sécurité, il accorde une grande importance aux questions de défense. Modibo Keïta a créé l’armée malienne. Il en a confié la gestion au général Abdoulaye Soumaré qui la structure en commandos autonomes de combats et en bataillons autonomes de combats. Puis, il s’en détourne après le décès d’Abdoulaye Soumaré et privilégie le renforcement de la milice.
L’armée privilégiée au détriment de la milice
En accédant au pouvoir, Moussa Traoré estime que cela ne saurait perdurer. La milice est dissoute. L’armée est restructurée. Les quatre bataillons de combat autonomes qui la constituaient disparaissent. Les états-majors sont créés, de même que l’armée de l’air. Le recrutement fait l’objet de soins attentifs. L’équipement et la formation deviennent priorités. Les citoyens en uniforme devenus, à la suite de la création de l’UDPM, les militants en uniforme, sont sur tous les fronts, au coude-à-coude avec les civils pour promouvoir le développement. Comme conséquence d’un tel engagement en faveur des forces de défense, Moussa Traoré a doté le Mali d’une armée qui n’avait pas sa pareille dans l’espace francophone subsaharien.
La sécurité assurée, le travail de réorganisation administrative et de décentralisation est entamé. En la matière, la Ière République a divisé le territoire en six régions économiques : Kayes, Bamako, Sikasso, Ségou, Mopti et Gao. Le CMLN crée deux nouvelles régions : Koulikoro et Tombouctou. En fait, la région de Koulikoro se substitue à celle de Bamako érigée en district avec six communes. De nouveaux cercles, Bla, Niono, Diéma, sont créés.
En matière de décentralisation, la Ière République s’est limitée à placer toutes les communes héritées de la période coloniale sur le même pied d’égalité : les communes mixtes et les communes de moyen exercice sont érigées en communes de plein exercice. Sous la IIè République, la décentralisation devient une réalité sur le terrain avant de faire l’objet de législation.
Elle est manifeste dans le domaine de la santé avec l’Initiative de Bamako, de l’encadrement du monde rural, avec les initiatives de base. Le succès remporté par les initiatives de base incite à généraliser l’expérience en permettant aux populations à gérer leurs affaires domestiques à tous les échelons, de la région au village en passant par les communes urbaines et les communes rurales.
Afin de réussir la décentralisation, rien n’est laissé au hasard. Un remaniement ministériel est opéré, une commission technique, sous la supervision du BEC, créée, des opérations d’écoute des populations effectuées, des séminaires organisés. La décentralisation telle que conçue par l’UDPM était une action progressive : commencer par une région, procéder à un évaluation pour corriger les insuffisances et renforcer les acquis avant de poursuivre avec une autre région. Décision avait été prise de commencer avec Kidal érigée en région. Le coup d’Etat de mars 1991 a brutalement interrompu le processus.
La décentralisation a des rapports avec l’encadrement du monde rural. Dans ce domaine, le CMLN a hérité. Il a trouvé, sous forme de projet, la création des Opérations de Développement Rural (ODR). Le projet est mis en œuvre. Les résultats sont diversement appréciés : échec pour certains, réussite pour d’autres. Cependant, à ce jour, beaucoup de ces ODR subsistent. Avec la création de l’UDPM, l’encadrement du monde rural connaît un franc succès avec la création des associations villageoises et des « tons » villageois : progressivement, les communautés rurales se prennent en mains pour s’affranchir de la dépendance de l’Etat dans le cadre de la satisfaction de leurs besoins immédiats.
L’intérêt porté à la paysannerie ne fait pas oublier que le développement du pays passe également par son industrialisation. Le CMLN a hérité de l’US-RDA des Sociétés et Entreprises d’Etat (SEE) dont des usines et des fabriques. Beaucoup d’entre elles peu performantes en 1968. Cependant, elles ne seront pas supprimées. En matière d’industrialisation, la politique de l’US-RDA est peu incitative : aucun privé malien ne peut investir dans le secteur, l’étranger qui veut investir doit se soumettre aux exigences du parti.
Avec la création de l’UDPM, le Mali adopte une nouvelle option en matière de développement économique. Elle se fonde sur la collaboration entre trois secteurs : le secteur d’Etat, le secteur privé et le secteur mixte. De nouvelles SEE sont créées. A côté d’elles apparaissent les premières sociétés privées. Avec l’adoption du Programme d’Ajustement Structurel (PAS), les institutions de Bretton Woods poussent à la liquidation ou à la privatisations des SEE. De toutes ses forces, Moussa Traoré leur résiste. Finalement, une solution est trouvée : les SEE sont classées en trois catégories : celles qui, quoi qu’il arrive restent propriétés de l’Etat, celles dont le capital sera ouvert au privé et celles qui seront liquidées. Jusqu’en mars 1991, l’on ne peut parler, objectivement, de bradage de SEE.
L’enseignement, comme la défense et la sécurité, a été considéré comme priorité aussi bien par le CMLN que par l’UDPM. Modibo Keïta a conçu une réforme de l’enseignement au Mali qui commençait à porter fruits. Moussa Traoré y aurait mis fin. Telle est une opinion largement répandue. Elle ne résiste pas à l’analyse. L’enseignement est le domaine où le bilan de Moussa Traoré est des plus remarquables. L’on ne saurait ignorer que des enseignants ont eu maille à partir avec le CMLN. Mais, c’est le lieu de recourir à la métaphore : « L’arbre ne doit pas cacher la forêt. » Derrière les démêlés avec les enseignants syndicalistes se dressent des acquis qui ont fait de l’école malienne l’une des plus performantes d’Afrique subsaharienne.
Moussa Traoré a hérité de la réforme de 1962. Il en a corrigé les insuffisances tout en renforçant les aspects positifs. Ensuite, il a diversifié l’offre de formation, créé l’enseignement supérieur et l’enseignement post-universitaire. C’est bien sous le CMLN que les premiers doctorats de spécialiste ont été soutenus au Mali, bien qu’il n’existât pas à l’époque de structures universitaires. C’est sous l’UDPM que des Maliens ont soutenu, des thèses de doctorat d’Etat grâce à l’appui du gouvernement.
La perte du pouvoir et l’héritage / de la manipulation et de ses conséquences
Moussa Traoré a perdu le pouvoir, pas parce qu’il s’est opposé à l’ouverture au multipartisme, mais parce qu’il était devenu gênant pour François Mitterrand. Il a convié ses opposants au dialogue pour définir avec eux la marche à suivre, non seulement pour évoluer ce qui est nommé « démocratie », mais pour préciser le contenu à donner à cette démocratie afin de l’adapter à nos réalités socio-culturelles. La réponse qui lui a été donnée est connue de l’ensemble du peuple malien : « Nous ne voulons pas d’une démocratie offerte sur un plateau d’argent. »
Le mentor français leur avait demandé de procéder à un sacrifice. Pour accéder au pouvoir et en jouir, ils n’ont pas hésité et ils l’ont écrit, le 26 mars 1991 : ce matin, le sang de nos enfants inondera les rues de nos villes. L’affreux spectacle s’est produit et ils s’en sont ouvertement réjouis : « Le sang a coulé, nous avons eu ce que nous voulions, Moussa est f. » Ils ont eu ce qu’ils voulaient, mais ignoraient une réalité : ils étaient manipulés.
En effet, François Mitterrand, politique des plus retors, s’est servi d’eux pour renverser un pouvoir qui, comme celui de l’actuelle Transition, était une menace pour les intérêts de la France. Il est de notoriété publique que la France n’a pas décoloniser. Elle continue de se croire au lendemain de la conférence de Berlin lorsque celle-ci lui a reconnu le droit de s’étendre vers l’intérieur des terres à partir du cours supérieur du Sénégal ; ou, en 1960 lorsque, sommée de décoloniser, elle a pris soin d’éliminer, parfois physiquement, tous les nationalistes de ses Territoires d’Outre-Mer pour les remplacer par des satrapes lui obéissant au doigt et à l’œil, le petit doigt sur la couture du pantalon.
Le 26 mars 1991 marque la fin de la souveraineté du Mali. Il se retrouve à la situation qui a été la sienne avec la loi-cadre Gaston Defferre et ses décrets d’application. Les Français s’installent à demeure, comme au vieux temps de la colonisation. Leur ambassadeur a un accès direct, non au ministre des Affaires étrangères, mais au « président démocratiquement élu ». Sur leurs injonctions, l’armée nationale est émasculée. L’école est transformée en champ de ruines avec l’adoption et la mise en œuvre des réformes qu’ils ont inspirées.
Allant plus loin, ils ont travaillé à créer les conditions rendant possibles la résurrection de l’Organisation Commune des Régions Sahariennes (OCRS) en imposant, au Mali, le Pacte National, l’Accord d’Alger, l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger. Ils ont détourné l’opération Serval de son objectif initial pour en faire un instrument de vassalisation du Mali en le transformant en Barkane et en l’appuyant par Takouba.
Au Conseil de Sécurité des Nations-Unies, ils se sont arrogés le droit de parler au nom des Maliens, de rédiger et de faire adopter des résolutions au nom des Maliens. Finalement, ils ont réussi à rendre effective la partition, de facto, du Mali. Pendant plus d’une décennie, ils ont sanctuarisé Kidal, en en interdisant l’accès aux autorités compétentes maliennes. Comme si tout cela ne suffisait pas, ils ont provoqué des querelles ethniques au centre du pays, plongeant cette partie du territoire national dans le terrorisme de leur fabrication.
En définitive, du 26 mars 1968, date de la chute de Moussa Traoré au 24 mai 2021, date de l’accession au pouvoir d’Assimi Goïta qui nommera Choguel Kokalla Maïga, Premier ministre le 7 juin 2021, le Mali est devenu un Etat failli. Et, cela, par la faute d’hommes et de femmes regroupés au sein d’un nébuleux Mouvement démocratique. Le Mali est devenu, non seulement un Etat failli, mais, pire, un Etat failli, transformé en néo-colonie, le vieil homme malade de l’Afrique occidentale. Au chevet duquel se sont pressées les armées de 61 Etats qui se sont révélés incapables de le sortir du bourbier, la France l’y enfonçant chaque jour davantage, avec la complicité de dirigeants ayant trahi leur peuple.
A suivre
Diaoulén Karamoko Diarra