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Gaz butane : Risque de pénurie

Un retard dans le paiement de la subvention grève les comptes des sociétés de distribution. Un air de déjà-vu

Au fin fond de la Zone industrielle de Banankabougou en Commune VI, à l’opposée du Stade du 26 Mars, une grande cour s’étale sur plusieurs milliers de mètres carrés. À l’entrée principale, un panneau mentionne «Sodigaz», la première société privée de distribution de gaz butane. Dans cette aire, les bombonnes de gaz forment une montagne. Toutes sont vides. En face, les installations de remplissage des bombonnes sont reliées à de grosses cuves. Curieusement, ce lieu de travail habituellement grouillant et bruyant par la manipulation des bombonnes de gaz et le mouvement des camionnettes, est calme ce lundi, début décembre, lors de notre passage. Pour cause : les cuves sont vides.
De sa fenêtre, Oudiary Diawara, le gérant, prend son mal en patience. Il se laisse consoler par la vue imprenable que lui offre les garages de gros porteurs des cours voisines. «Comme vous pouvez le constater, nous sommes en arrêt de travail. Nous n’avons plus de gaz. Les partenaires nous exigent du cash», explique le distributeur de gaz, visiblement à cran. Pourquoi n’avez-vous pas de cash ? À cette question, sa réponse claque : «Eh bien, parce que l’État nous doit beaucoup d’argent et il ne nous paye pas depuis plus d’une année». Comme lui, la quasi-totalité des sociétés de distribution de gaz tournent au ralenti. La subvention qui leur permettait d’être respectés par leurs fournisseurs n’est pas au rendez-vous.
Fatouma est maîtresse de maison dans une des nombreuses familles nucléaires de Bamako. La jeune femme de 36 ans vit avec son époux et leurs trois enfants à Sogoninko non loin de la célèbre gare routière, «Autogare», réputée être un nid de petits bandits et un terrain de chasse de la police de proximité. L’insécurité à Bamako, bien que grandissante, n’est pas notre centre d’intérêt du jour. Notre propos concerne le gaz butane que la ménagère vient chercher ce jour ensoleillé. Fatouma dit avoir arrêté d’utiliser le charbon depuis quelques années. «Le charbon coûte de plus en plus cher», explique-t-elle.

6,5 MILLIARDS DE FCFA- L’utilisation du gaz butane peine à se généraliser dans notre pays. Le charbon et le bois demeurent les combustibles favoris de la majorité des ménages. Pourtant dans le cadre d’une politique volontariste, les pouvoirs publics ont libéralisé le négoce du gaz butane pour inciter les investisseurs à importer ce combustible. L’objectif est double : préserver les forêts et améliorer les conditions de vie dans les foyers. Au fil des ans, sept sociétés de distribution de gaz butane se sont installées à Bamako et environs. Sodigaz fut la première à se jeter à l’eau. Suivirent Sigaz, Coumba gaz, Kama gaz, Fasogaz, Dilli gaz, Bama gaz et MG gaz. Quelques multinationales s’étaient essayées à la commercialisation du gaz butane. La dernière en date à jeter l’éponge fut Total.
Depuis 1982, ce produit est largement subventionné par l’État pour encourager les populations à abandonner le charbon et le bois. De nos forêts, il ne reste plus grand-chose. Aujourd’hui, les sociétés de distribution ont du mal à se faire payer par l’État. Les multinationales se sont retirées du secteur. Seuls les privés nationaux se battent comme ils peuvent pour garder leurs sociétés ouvertes. Le Mali étant en guerre, les fournisseurs étrangers exigent que nos opérateurs paient au comptant avant toute livraison du précieux gaz. «Le retard de paiement de la subvention a mis en péril nos activités», se plaint Oudiary Dawara. Les arriérés de paiement se chiffrent au 30 octobre 2019 à 6,5 milliards de Fcfa. «Nous avons bénéficié de l’accompagnement du FED (Fonds européen de développement) pendant 3 ans», se souvient le président des opérateurs gaziers de notre pays. «Au début, poursuit-il, les pouvoirs publics ont honoré leurs engagements. Ces dernières années, nous avons malheureusement remarqué que de sérieuses difficultés persistent dans le règlement des factures».  En matière d’utilisation du gaz butane dans les foyers, notre pays n’occupe pas un rang glorieux. Dans la sous-région, on arrive très loin après la Côte d’Ivoire (250.000 tonnes/an), le Sénégal (160.000 tonnes/an), le Burkina Faso (100.000 tonnes/an) et la Mauritanie (70.000 tonnes/an). Notre pays consomme à peine 20.000 tonnes par an. Il faut avouer que le gaz est mal vendu aux ménages. La communication autour de l’abandon du charbon est timide.

FONDS DÉDIÉ AU GAZ- Hamadoun Oumar Touré, directeur de l’énergie domestique à l’Amader, maîtrise par cœur le dossier de la subvention du gaz domestique. Il rappelle que la crise est récurrente entre l’État et les opérateurs gaziers. Le spécialiste salue l’action des pouvoirs publics qui, depuis les années 1980, ont décidé de freiner la désertification à travers l’utilisation intensive du gaz butane. «Il s’est avéré que c’était un peu trop cher. C’est pourquoi, il fallait trouver des moyens pour amener les ménages à avoir accès à ce produit. L’idée de la subvention est ainsi venue. Le Mali fait partie des pays pionniers par rapport à la subvention du gaz. L’État subventionnait non seulement le gaz, mais aussi les réchauds pour permettre à une grande partie de la population d’avoir accès à ce produit», explique-t-il, ajoutant que l’État a fourni beaucoup d’efforts en payant 6 à 7 milliards de Fcfa par an.
Hamadoun Touré souligne que l’enveloppe de la subvention grossit parce que le prix du gaz varie et échappe à toute maîtrise. «C’est ce qui fait que l’État n’arrive pas à payer cette subvention», analyse le directeur technique. Sur le marché, il n’y a que deux types de bouteilles qui sont subventionnées : les six et les trois kilogrammes. «Malgré tout ce que l’État est en train de fournir, il y a des difficultés de remboursements pour la simple raison que l’argent dédié à ce financement ne couvre pas les besoins», indique-t-il.
Malgré les difficultés, l’horizon n’est pas sombre. Notre interlocuteur révèle que l’État a déjà entamé des réformes pour un financement plus adapté : un fonds dédié au gaz. Selon lui, une étude qui a été commanditée par l’ONAP au niveau du ministère des Finances a fini de démontrer la pertinence de l’idée. «Cela peut être un début de solution pour appuyer  un peu l’État à alléger la charge de cette subvention sur le budget de l’État», espère Hamadoun Touré. Sur ce point, il est en phase avec les opérateurs gaziers qui ne demandent qu’un mécanisme plus fiable pour disposer à temps de leurs ressources. Mais en attendant la création de ce fonds et sa mise en orbite, Fatouma et les autres vont devoir s’attendre à des ruptures répétées de stocks de gaz sur le marché. Des femmes comme Fatouma, utilisant le gaz butane pour faire la cuisine en famille, ne sont pas nombreuses. Fatouma a eu beaucoup de chance. Elle repart du point de vente avec une bombonne chargée de gaz.
La bombonne de gaz de 6 kg lui a coûté 3.500 Fcfa. Elle ne sait pas que près de la moitié du coût réel est pris en charge par l’État. Elle aurait pu débourser au moins 6.000 Fcfa pour le même produit.

Ahmadou CISSÉ 

Source: Journal l’Essor-Mali

 

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