Ghislaine Dupont et Claude Verlon, journalistes à Rfi en reportage au Mali, ont été enlevés et assassinés samedi 2 novembre. Mais si ce drame illustre l’instabilité sécuritaire du pays, il serait davantage le fait de dissensions internes entre gangs locaux que d’une provocation délibérée. Sur cette situation au nord du Mali, nos confrères de “Atlantico” ont posé des questions à l’historien François Géré. Spécialiste en géostratégie, il est président fondateur de l’Institut Français d’Analyse Stratégique (Ifas) et chargé de mission auprès de l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale (Ihedn) et directeur de recherches à l’Université de Paris 3. Il a publié en 2011, le Dictionnaire de la désinformation.
Atlantico : La prise d’otages à Kidal, en pleine journée, puis l’assassinat des deux journalistes de Rfi, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, ont reposé la question de la stabilité au Mali, alors que l’armée française y poursuit la guerre contre Al-Qaïda au Maghreb Islamique (Aqmi). Comment interpréter cette situation ? L’enlèvement et le meurtre des journalistes illustrent-ils les difficultés des armées françaises et maliennes ainsi que de la Minusma à maintenir la paix et la stabilité ?
François Géré : Le meurtre abject des deux journalistes exige une analyse précise si l’on veut avoir une chance de retrouver les auteurs, ce qui est possible. Inutile dès lors de se payer de formules creuses sur le terrorisme. Il y a tout lieu de penser que Dupont et Verlon ont été les victimes indirectes et circonstancielles d’un règlement de compte entre gangs locaux. Ce n’est donc pas une opération militaire, peu importe son envergure, qui règlera le problème mais une enquête de police utilisant le renseignement local, les bons indicateurs et exploitant l’information fournie par les ennemis de ceux qui ont perpétré ces crimes. Il importe donc de ne pas se tromper sur les mobiles, les criminels et la nature des moyens susceptibles de les réduire.
Atlantico : Les rebelles sont-ils toujours les mêmes qu’au début de l’année 2013 ? Comment s’organisent-ils et se sont-ils adaptés aux interventions militaires ?
François Géré : Les “rebelles” ont toujours été multiples, divisés et travaillés par une indécision entre un engagement idéologique de type jihadiste et la criminalité ordinairement pratiquée, surtout dans le Nord du Mali, zone de tous les trafics (armes, cigarettes, drogue, et jusqu’à une époque récente, esclaves). Enfin les divisions ethniques n’ont fait qu’envenimer les choses. Les Touaregs, eux-mêmes divisés, constituent l’élément le plus sensible.
Les jihadistes ont compris que leur tentative sur Bamako entre fin 2012 et début 2013 a constitué une erreur stratégique majeure qu’ils ne sont pas près de renouveler. Ils se sont repliés sur les terrains les plus difficiles, permettant d’entretenir l’insécurité par la mobilité et le lancement de raids sur les zones démunies de défenses importantes. Face à cela il n’existe qu’une réponse, bien connue, quand on fait de la contre insurrection. Elle consiste à donner aux populations les moyens de leur auto-défense contre les pillards, les “terroristes” qui cherchent à intimider pour obtenir le silence, la complicité et l’approvisionnement sans lequel ils ne peuvent durer longtemps. C’est la seule stratégie qui permettra au Gouvernement malien d’établir durablement son autorité, de stabiliser le pays et la seule aussi qui favorisera le désengagement français. Celui-ci devrait se limiter à une intervention rapide en cas de coup vraiment très dur et forcément prévisible, ce qui permettra la montée en puissance des forces d’intervention en temps voulu.
Atlantico : Peut-on considérer la ville de Kidal comme hors de contrôle ? Y a-t-il aujourd’hui, au Mali, des espaces plus dangereux que d’autres, lesquels ?
François Géré : La ville de Kidal n’est dangereuse qu’autant que les Touaregs ne parviennent pas à sortir de leurs divisions, à apaiser les rivalités entre petits chefs de clans et bien sûr à trouver une solution politique entre eux-mêmes et gouvernement malien, au sein duquel ils sont appelés à trouver leur place. Kidal est sans doute une des zones les plus instables jusqu’au jour où, dans l’effarement général, il y aura un raid dévastateur sur Tombouctou ou Gao. Force est de ressasser une terrible banalité : l’immensité de ce territoire, sans véritables frontières, en sorte que l’attaque peut venir du Niger, de l’Algérie, pour ne rien dire du côté Ouest, mieux contrôlé pour le moment. Le problème de Kidal, c’est l’ordre (très relatif) le jour, le désordre la nuit. Or ce n’est pas l’armée française, ni les contingents de la MISMA qui créeront la stabilité, mais les Maliens eux-mêmes. L’armée malienne peut jouer un rôle essentiel, sous réserve d’une part de l’acceptation de l’obéissance à la puissance politique légitime, d’autre part d’une relation de confiance à l’égard de la population. Il y a encore beaucoup de chemin à faire.
Atlantico : Comment a évolué le terrain malien depuis le début des opérations françaises ? Les différentes forces armées ont-elles réussi à instaurer un climat propice à l’instauration de la paix et la démocratie ? Le Mali est-il sur la voie de la stabilisation ?
François Géré : L’intervention de la France et des États africains a permis de restructurer un État en délitement total. Elles ont recréé un cadre de souveraineté en éloignant durablement la prédation de forces extrémistes qui cherchaient à s’emparer du pouvoir. Des élections tenues dans des conditions convenables ont consolidé, en le légitimant, ce cadre de souveraineté. C’est encore temporaire et fragile, et cela nécessite une véritable inscription dans la durée. Ceci suppose de surmonter toutes les perturbations endogènes et exogènes. Il y faudra des années, mais si le cadre général tient bon, c’est réalisable. Les forces françaises n’ont pas à s’installer en grand nombre sur place et surtout pas à s’éterniser dans des opérations de contre-raids qui seraient interminables. Leur rôle est d’aider à construire la stabilité durable en montrant, parfois ostensiblement, qu’elles sont prêtes à réagir avec toute la puissance nécessaire à la demande des autorités maliennes, bien sûr.
Source: Atlantico du 05 novembre 2013