Le destin a rattrapé Modibo lorsque celui-ci a fait un détour chez Kadia. Le prix de cette déviation fut tragique
Les quartiers de la lointaine périphérie de Bamako constituent un monde à part, tous ceux y logent vous le confirmeront. Précarité oblige, ces quartiers sont le réceptacle de nombreux ménages à petits revenus qui n’ont d’autre choix que celui de s’entasser là. « S’entasser » est d’ailleurs le seul mot qui puisse vraiment décrire la situation de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants qui doivent accepter de vivre dans une promiscuité étouffante sous un toit qui souvent les abrite à peine. Les quartiers périphériques hébergent aussi toute la gamme des crimes et délits possibles. Cette situation est la conséquence logique du nombre très élevé des marginaux et des individus dangereux qui ont choisi d’habiter là, loin des yeux des représentants de la loi. Cette faune particulière est coutumière d’actes d’une brutalité inouïe. Tantôt cette violence s’exerce entre les malfrats eux-mêmes lors de règlements de compte généralement sanglants. Tantôt elle compte parmi ses victimes de paisibles citoyens qui ont eu la malchance d’être au mauvais endroit, au mauvais moment et devant la mauvaise personne. C’est exactement ce qui est arrivé au principal personnage de notre histoire d’aujourd’hui. Les événements se sont passés il y a juste une semaine à Yirimadio en Commune VI du district, dans un secteur de ce quartier communément appelé « Kouloubléni ».
Lorsqu’ils nous recevaient dans leurs bureaux respectifs, l’inspecteur de police (Inspol) Souleymane Fané du 13ème Arrondissement en charge du dossier et son chef hiérarchique le commissaire de police (compol) intérimaire du même commissariat, Siriman dit Ba Tangara multipliaient encore les contacts sur le terrain pour pouvoir mettre la main sur l’auteur d’un acte odieux, un acte qui a coûté la vie à un dénommé Modibo Diallo et dont l’auteur n’est autre qu’une jeune femme connue par tout le voisinage sous le nom de Kadia (diminutif de Kadiatou). Mais revenons aux faits. Ce jour là, l’inspecteur Souleymane Fané était de permanence conformément un agenda préalablement établi au niveau de son service. Sa permanence se plaça tout d’abord sous le signe du calme plat. Du début de la nuit jusqu’ à quatre heures passées du matin, tout se passa sans problème.
UNE SCÈNE HORRIBLE. Mais notre policier, qui se réjouissait déjà de cette sérénité, ne se doutait pas que sa tranquillité allait être perturbée par une affaire qui lui prendrait toute la journée. Que s’était-il passé ? Ce jour là, aux environs de cinq heures quarante cinq du matin, un des collègues à la retraite de l’inspecteur Fané, un ex-policier se présenta au commissariat du 13ème. A la vue de son ex-collègue à cette heure-ci, « Soul » Fané se rendit compte que son ancien venait pour tout autre chose qu’une simple visite matinale. En bon policier et bien qu’à la retraite, l’informateur du jour avait accouru pour donner à l’inspol des informations sur un homme qui gisait dans le sang, juste à côté de sa concession à lui sise à Yirimadio-kloubléni.
A son interlocuteur, l’ex-policier décrivit dans les détails une scène horrible qui ressemblait fort à une agression physique dont un motocycliste pourrait avoir été victime quelques heures seulement auparavant. Mais tel n’était pas le cas comme cela fut établi plus tard. Le jeune homme était allongé presqu’inconscient dans son sang, juste à côté de son engin, lui également tout couvert de taches de sang. Aussitôt que les deux hommes eurent bouclé leur entretien, l’inspol S. Fané qui ne pouvait plus rester sur place, informa sur le champ son chef hiérarchique. Le compol intérimaire, Siriman dit Ba Tangara lui instruisit que toute la lumière soit faite sur cette affaire. Immédiatement, l’Inspol Fané prit la route en se faisant accompagner du sergent chef Ibrahima Maïga.
Sur place, les policiers ont trouvé effectivement un homme presqu’inconscient qui perdait son sang par plusieurs blessures qui lui avaient été faites un peu partout sur la tête. Les limiers tentèrent en vain de faire parler l’homme. Ils comprirent assez vite que la victime n’était pas en état de s’exprimer. « Il se trouvait encore sous le choc de ce qu’il avait subi. Et la douleur qu’il éprouvait était telle qu’il ne pouvait pas parler. Du sang coulait encore des blessures qu’il avait reçues », nous a expliqué notre interlocuteur. Les policiers changèrent donc de méthode pour identifier la personne. « Soul » Fané a procédé à une fouille corporelle minutieuse dans le but de trouver une pièce d’identification. Cette fouille s’avèrera payante. Dans les poches du malheureux, les limiers trouveront un téléphone portable et une copie d’un « permis d’occuper » d’un lot établi en son nom. C’est ainsi qu’il sera identifié comme un certain Modibo Diallo. Il résidait à Sénou-Sibiribougou et était chauffeur de profession. Une fois identifié, il fallait tout mettre en oeuvre pour trouver les motifs et l’auteur de la sauvage agression.
EN PLUSIEURS ENDROITS. L’inspol Fané et son collègue Maïga se mirent au travail et de fil en aiguille, les policiers apprendront des choses « intéressantes » sur le malheureux Modibo. Ils nous ont appris que le malheureux était en route pour se rendre à l’hôpital du Mali sis à Yirimadio. Là, il devait rendre visite à se mère malade qui était hospitalisée dans cet établissement. Mais la fatalité en décida autrement pour lui. Au lieu de poursuivre sa route vers l’établissement, Modibo avait changé d’avis et avait bifurqué pour aller rendre visite à une amie qui logeait dans les parages et dans le même quartier que lui.
Les enquêtes policières permettront très vite d’identifier cette femme qui se prénommerait Kadia. Cette jeune dame est connue de tout le voisinage pour ses frasques nocturnes. D’après les propos du policier en charge du dossier, les voisins s’étaient montrés très peu tendres à l’égard de la dame. « Le voisinage nous l’a décrite comme une femme de mœurs légères qui ne recule devant rien pour parvenir à ses fins ». Toujours selon notre source, lors de la visite de Modibo, une bagarre aurait éclaté entre l’homme et la dénommée Kadia dans la chambre de cette dernière. Au cours de cette bataille, la dame en question aurait frappé son visiteur en plusieurs endroits de la tête avec un objet tranchant. Ensuite, elle se serait débarrassée de son ami assommé par les coups en le trainant dans la rue et en laissant son corps à côté de son engin. Consciente de la gravité de l’acte qu’elle venait de commettre, Kadia ne trouva d’autres solutions que de prendre la poudre d’escampette avant même les premiers rayons du jour.
LE COMBLE DU MALHEUR. Face à l’état de santé du jeune homme qui ne cessait de se dégrader, les policiers appelleront un médecin secouriste pour lui prodiguer les premiers soins. Ensuite, le malheureux fût évacué à l’hôpital du Mali, où il a rejoint sa mère alitée et chez laquelle il se rendait précisément. Poursuivant leur enquête, les policiers sont tombés sur le numéro d’un de ses frères dans son téléphone portable. L’inspol « Soul » Fané entra directement en contact avec ce dernier auquel il expliquera le malheur dont Modibo venait d’être victime à Yirimadio. « Celui que nous avons eu au téléphone nous a effectivement confirmé leurs liens de parenté», nous-a-t-on dit. Le policier continua toujours à exploiter le téléphone trouvé sur la victime.
C’est ainsi qu’il tombera par hasard sur une voix de dame lorsqu’il avait appelé pour savoir si cette correspondante connaissait le propriétaire de l’appareil en question. Au bout du fil, la dame lui aurait répondu de manière très sèche et absolument désagréable avant finalement de lui raccrocher au nez. «Pourquoi me demandez-vous si je connaissais ce monsieur ? Moi je m’en fiche de lui », aurait crié la correspondante. Nos policiers se rendirent compte qu’ils étaient tombés sur Kadia et que sa réaction énervée montrait bien qu’elle n’était pas tranquille pour ce qu’elle avait fait. Poursuivant leurs investigations, ils parviendront à repérer l’une des copines de Kadia qui loge dans les parages de la concession de la suspecte. Les limiers tiennent à l’oeil désormais cette dernière et sont persuadés que d’une manière ou d’une autre, la fugitive essaiera d’entrer en contact avec elle.
Entretemps, le comble du malheur est survenu dans cette affaire. Le dénommé Modibo est décédé suite à ses blessures quelques jours après son admission à l’hôpital. Mais le pire est que sa mère malade et au chevet de duquel il se rendait le jour de son agression, serait décédée, elle aussi. Toutes choses qui confortent les policiers dans leur volonté de ne pas lâcher la traque de Kadia qui est en fuite et demeure introuvable jusqu’à ce jour. Le compol Siriman Ba Tangara et ses éléments assurent tout mettre en œuvre pour arrêter la fugitive. Et lorsqu’on entend la détermination avec laquelle ils font cette affirmation, on devine que sur cette affaire le 13ème arrondissement sera un chasseur patient et obstiné.
MH.TRAORÉ