S n’avait écouté que son bon cœur en hébergeant Bijou. Elle ne se doutait pas des ennuis que cela lui amenerait
Chacun de nous vient au monde avec sa part de lumière et son côté obscur. Au fil de l’éducation prodiguée par la famille, de la tutelle assurée par les amis et les proches, de l’expérience de la vie, l’un ou l’autre de ces aspects se développe pour prendre le dessus. En cela, il n’y a aucune prédestination, l’on devient généralement le produit de l’entourage social dans lequel l’on a grandi. Plus cet entourage est sain, moins l’individu a de chances de mal tourner. La situation inverse est tout aussi probable. Le plus étrange est que ceux qui choisissent la bonne voie se montrent extrêmement naïfs vis à vis des autres. Comme on le dit, ils sont incapables de voir le mal. Ce qui leur fait accorder leur confiance à des individus peu recommandables, ou prendre en pitié des délinquants incorrigibles. Très souvent, même les désillusions subies ne parviennent pas à faire disparaître cette forme de naïveté. Notre histoire d’aujourd’hui relate la cohabitation de deux personnes aux philosophies de vie entièrement opposées.
Les faits qui nous intéressent se sont déroulés il y a environ un mois à Kalabancoro, un quartier à la périphérie de Bamako. L’héroïne de notre histoire se nomme FD, mais elle est plus connue sous le sobriquet de « Bijou ». Son portrait et ses aventures nous ont été narrés par une autre jeune fille qui a requis l’anonymat et que nous désignerons par l’initiale S. En nous recevant chez elle ce jour de vendredi, vers le « petit soir », S s’est montrée intarissable sur les frasques de celle qu’elle avait longtemps considérée comme sa meilleure amie, presque comme sa sœur de lait. Encore sous le choc des révélations qui lui avaient été récemment faites, S nous expliqua personne n’échappe à son destin. Car c’est par le plus grand des hasards qu’elle a rencontré celle qui lui a amené par la suite tous ses ennuis.
PAR UN COUP DE CHANCE. « Cette fille m’a vraiment déçu, soupirait S sans chercher à cacher son chagrin. Lorsque je l’ai rencontrée pour la première fois, elle m’a donné l’impression d’être quelqu’un de très sérieux du monde. Mais en réalité elle cachait un sale caractère ». « Sale caractère » est encore une manière polie de qualifier FD. Celle-ci était une voleuse invétérée, prompte à dérober tout ce qui lui passait sous la main ou qui échappait à la vigilance de son propriétaire. S qui l’a hébergée durant près d’un an ne s’est aperçue que tardivement de la vraie nature de sa copine. Ce ne fut que lorsque des problèmes se sont régulièrement accumulés sur son chemin et qu’elle s’est trouvée en train de gérer les dérapages de l’autre que ses yeux se sont ouverts, comme elle nous l’a elle-même avoué.
D’après notre narratrice, qui reconnait être victime de sa propre gentillesse, FD dite « Bijou » est ressortissante de la Guinée. Elle serait arrivée à Bamako en provenance de Kankan. Elle se disait à la recherche d’un de ses proches qui résidait à Sébénikoro en Commune IV du district de Bamako. Le véhicule qui l’amenée est arrivé dans notre capitale nuitamment. Apparemment, Bijou n’avait pratiquement aucune connaissance dans la capitale malienne, à part le fameux parent. Elle restera à la gare routière de Sébénikoro durant tout le reste de la nuit. Elle se serait ensuite mise à la recherche de son parent de Sébénikoro. Cela lui prit une bonne partie de la matinée et elle n’était pas parvenue à trouver quelqu’un qui puisse la mettre sur la bonne piste.
Par un coup de chance lié uniquement au hasard, Bijou rencontrera aux environs de 13 heures S, sa future logeuse. Les deux jeunes dames avaient pratiquement le même âge. Comme si l’une attendait l’autre, le courant passa immédiatement entre elles. Après avoir écouté sa nouvelle « amie », S l’a prise de pitié et lui fera une très généreuse proposition. Elle dira à la voyageuse qu’elle était prête à offrir à cette dernière un endroit où elle pourrait passer quelques jours. Les deux amies mettraient à profit ce délai pour chercher le parent chez lequel la Guinéenne devait normalement loger. Aussitôt proposé, aussitôt accepté. Les deux prirent un taxi qui les conduisit chez S à Kalabancoro. Il faut préciser que cette dernière loge dans la concession de ses parents avec seulement un de ses frères qui y vit avec sa femme et un couple qui serait en location. Depuis le décès de leurs parents, nous a confié S, personne d’autre ne se trouve dans la concession.
LES BORNES DU TOLÉRABLE Les deux amies partageaient la même chambre. Plusieurs semaines passèrent sans qu’aucun incident ne vienne perturber leur cohabitation ou ébranler leur amitié. S, toute heureuse de cette vie commune, ne se doutait pas que son calvaire allait bientôt commencer, et que sa copine guinéenne en serait la seule responsable. Le premier signe qui fit tiquer S fut le fait que son amie commença à faire venir dans la concession des jeunes garçons à l’apparence très douteuse. Au début, la logeuse toléra sans rien dire ces allers et venues qui lui déplaisaient pourtant. Mais plus le temps passait, plus ces jeunes – qui n’étaient d’ailleurs connus de personne dans le quartier – se montraient assidus dans la fréquentation de la jeune Guinéenne. S pour qui les bornes du tolérable avaient été dépassées, a fait savoir à son amie que la situation était devenue inacceptable. Bijou lui fit savoir qu’elle en était désolée et réussit, on ne sait comment, à calmer sa logeuse qui accepta qu’elle reste.
Mais voilà qu’un jour un de ces jeunes hommes qui fréquentaient FD se présenta chez S. Cependant pas seul. Il était accompagné d’un policier. La suite des événements nous apprendra que Bijou était impliquée dans un cas de vol. Selon notre interlocutrice, un des compagnons de son amie avait été pris dans une boutique de vente de matériel informatique et de téléphone portable à Dijicoroni-para. Coincé par les limiers, le jeune homme aurait donné désigné FD comme étant une complice à lui. Il avait fait ces aveux lors de son interrogatoire. S nous a expliqué qu’elle s’était personnellement investie pour sortir d’affaire la Guinéenne. Elle ne se doutait pas que cet épisode peu reluisant marquait seulement le début de ses problèmes. Elle continuera à héberger celle qu’elle considérait toujours comme son amie.
Environ deux mois seulement après cette affaire, une autre pointa à l’horizon et qui cette fois impliquait directement Bijou. Et toujours dans un cas de vol de téléphone. L’événement s’est produit non loin de leur concession, dans une boutique appartenant à un certain Touré. Ce jour là, la jeune Guinéenne se réveilla aux environs de 10 heures du matin. Comme elle le faisait d’habitude, elle prit sa douche et se mit à préparer son petit déjeuner. Elle se rendit dans la boutique d’à côté pour payer quelques ingrédients.
SUR UN SITE D’ORPAILLAGE. Elle trouvera d’autres clients dans la boutique et a attendit patiemment son tour pour se faire servir. Quelques minutes après qu’elle eût quitté la boutique, Touré, le propriétaire de celle-ci, s’était présenté dans la concession de S et avait accusé la jeune Guinéenne de vol. Il expliqua à S qu’il venait de perdre son téléphone portable qu’il avait laissé posé sur son comptoir. Il s’était aperçu de la disparition de l’appareil juste après le départ de la Guinéenne. Pour lui, le doute n’était pas possible, Bijou était une voleuse. Le boutiquier parlait avec une telle insistance et une telle certitude qu’il était difficile de ne pas le croire.
Face aux menaces de Touré d’amener la jeune fille à la brigade territoriale de Kalabancoro pour vol, S s’est engagée à lui rembourser son appareil. Les deux ont convenu d’un délai d’un mois pour ce faire. Mais après ces événements, une surprise désagréable attendait la logeuse de la Guinéenne. Un dimanche matin, Bijou s’est levée très tôt. Ce qui n’était pas d’ailleurs dans ses habitudes. Elle avait minutieusement fait ses bagages. Elle dira à son amie et logeuse qu’elle devait aller en ville. « Elle m’a fait savoir qu’elle avait obtenu des informations sur son parent qui logeait à Sébénikoro. Donc je ne pouvais que la laisser partir », nous a confié S d’un ton résigné. Aux dires de notre interlocutrice, la jeune fille se trouverait aujourd’hui dans la région de Sikasso sur un site d’orpaillage où elle a été aperçue par des voisins du quartier.
Ce qui est bizarre dans cette affaire, c’est le fait que durant tout le temps qu’elles avaient passé ensemble, la jeune Guinéenne n’a plus en aucun moment parlé de ce soit disant parent de Sébénicoro. Le nom de ce dernier n’a été invoqué que quand Bijou a eu besoin d’un prétexte pour prendre le large. S continue de ruminer son chagrin. Elle mesure à présent toute l’ampleur des dommages qu’elle a subis du fait d’une personne qu’elle avait prise en pitié et qu’elle a logée gracieusement sous son toit durant plusieurs mois. Mais que faire ? Nul ne peut aller contre sa nature. Bijou trouvera encore d’autres victimes à exploiter. Et S n’est pas à l’abri d’une nouvelle arnaque au sentiment.
MH.TRAORÉ