O. ne s’attendait pas à être braqué en plein jour alors qu’il avait pris ses précautions. Mais sa propre enquête l’amènera à une révélation stupéfiante
Dans les affaires de vol, les victimes ne se ressemblent pas toujours. Il y a les fatalistes qui résignent devant le coup du sort, avalent leur frustration et se disent qu’ils feront un peu plus attention à l’avenir. Puis, il y a les teigneux. Ceux-ci, qui refusent d’accepter la perte de leur bien, remuent ciel et terre pour retrouver celui-ci. Cette dernière catégorie de victimes fait preuve d’un mérite particulier en se comportant ainsi. Surtout lorsque l’affaire de concerne un vol de moto. Comme nous l’avons relaté à plusieurs reprises, à Bamako une Djakarta volée est rendue irrécupérable par son propriétaire en l’espace de quelques heures. La connexion voleurs-mécaniciens véreux- receleurs s’arrange pour maquiller à toute vitesse l’engin et le placer en un temps record sur le marché. Pourtant, il arrive que la Providence récompense une victime particulièrement tenace. C’est ce qui est arrivé dans le cas de O.
Relativement jeune encore, l’homme avait quitté son village natal de la région de Mopti pour rejoindre T., son grand frère établi depuis longtemps à Bamako et installé dans un des quartiers de la Commune VI. Ferrailleur de son état, T. passe le plus clair de sa journée sur les chantiers de construction. Son principal souci est que pendant son absence, il laisse sans protection masculine sa famille composée de sa femme et de ses jeunes enfants. Lorsque son jeune frère se présenta à lui, le ferrailleur lui indiqua qu’il serait affecté à la surveillance de son foyer en son absence. Il fit comprendre à O. que seul un adulte proche de lui et à qui il pouvait faire confiance était susceptible de remplir cette « mission ».
En lui confiant la famille, T. avait toutefois pris soin de préciser à son cadet que cette occupation était provisoire. Dès que O. se serait « acclimaté » à la vie de la capitale, un emploi lui serait trouvé. Le nouvel arrivant dut s’accommoder de cet arrangement, car il n’avait appris aucun métier qu’il pouvait exercer dans la capitale et il était totalement dépendant de son frère. Mais en réalité, le surveillant ne sentait pas du tout à l’aise dans le rôle qui lui avait été donné. Il avait l’impression qu’il n’aboutirait à rien en restant là à veiller sur les entrées et les sorties de ses neveux et de sa belle-sœur. Il fit pendant un bon moment contre mauvaise fortune bon cœur pour ne pas vexer son aîné. Mais un jour, il prit le taureau par les cornes. Le plus respectueusement qu’il put, il fit comprendre à son frère qu’il n’avait pas quitté le village pour venir faire le gardien au domicile de ce dernier. O. dit qu’il se sentirait plus utile à la famille s’il travaillait et s’il parvenait à supporter au moins ses dépenses personnelles. Il conclut en demandant à T. de lui trouver un emploi.
A L’ABRI DES MAUVAISES SURPRISES. Par chance, l’aîné n’était un homme fermé. Il admit volontiers le bien-fondé de la demande de son cadet. Au lieu de passer le temps à chercher un hypothétique travail pour ce dernier, il prit directement O. sous son aile et lui apprit le métier de ferrailleur. Les deux hommes sortaient ensemble tôt le matin pour se rendre sur les différents chantiers où l’ainé avait des marchés. Ils s’étaient mis d’accord pour que le plus jeune rentre plus tôt et aille jeter un coup d’œil sur la famille. L’arrangement convenait à tout le monde. En outre, la chance se mit tout d’un coup sourire au tandem. T. se trouva des marchés supplémentaires et intéressants. D’un seul coup la situation financière des deux frères s’améliora de manière substantielle. Au point que O. put réaliser un de ses rêves, acquérir une moto Djakarta.
L’achat de l’engin ne signifiait pas que l’argent était monté à la tête du jeune homme. Contrairement à certains ruraux qui se laissent happer par les lumières de la grande ville, O. construisait avec patience son avenir à Bamako. Il avait réussi à acheter un terrain à usage d’habitation dans la périphérie de la capitale, dans la zone de Sénou. Sur le conseil de certains voisins et de son frère ainé, il s’y rendait régulièrement pour ne pas voir son bien subtilisé par des spéculateurs fonciers à l’affût des lots insuffisamment surveillés.
Le jeune ferrailleur faisait tous ses déplacements avec sa moto Djakarta flambant neuf. Mais il prenait toujours ses précautions pour se rendre sur sa parcelle. Il n’ignorait pas que celle-ci était située dans un endroit particulièrement isolé et que les bandits tendaient régulièrement des embuscades aux motocyclistes sur le trajet qu’il empruntait. O. choisissait soigneusement ses heures de mouvement. Il évitait de se trouver dans la zone lorsque le soleil commençait à décliner. Le jeune ferrailleur pensait qu’en concentrant ses déplacements dans la journée, il se mettrait à l’abri de mauvaises surprises. En quoi il avait tort.
Il y a un peu plus dizaine de jours de cela, O. était parti faire un énième tour à son lot. Son déplacement lui tenait d’autant plus à cœur qu’il souhaitait lancer sous peu son chantier. Prenant ses précautions habituelles, il quitta son domicile aux environs de 10 heures du matin. Pour comprendre la suite des événements, il est utile de comprendre que le lot du jeune ferrailleur se trouvait très à l’écart de la partie habitée de Sénou. Il se trouvait dans une zone où quelques maisons inachevées côtoyaient des terrains vides délimités par des plaques d’identification. Pour accéder à son terrain, O. devait donc quitter la voie principale et emprunter une route étroite qui sillonnait au milieu de champs de mil. L’endroit était idéal un guet-apens.
O. avait juste parcouru quelques dizaines de mètres sur la piste lorsqu’il vit un gaillard surgir un peu devant lui. Agitant de manière éloquente son bras droit, l’inconnu, qui opérait à visage découvert, faisait signe au motocycliste de s’arrêter. « Cet homme m’a laissé une impression étrange. Il paraissait s’adresser à moi comme s’il me connaissait bien,», nous a raconté plus tard la victime avec un reste d’étonnement dans la voix. O. lui-même ne s’explique pas complètement sa réaction. Alors qu’il se tenait sur ses gardes, il freina quand même, comme par réflexe et s’arrêta au niveau de l’inconnu.
Ce dernier s’approcha de lui et lui mit une arme blanche sous la gorge. Il indiqua à sa victime qu’elle avait le choix : soit remettre sa moto sans faire de difficultés, soit s’exposer à une mort immédiate. Presque au même moment, un deuxième homme, au visage découvert lui aussi, surgit des buissons en brandissant un fusil de fabrication artisanale. Le malheureux ferrailleur comprit très vite que ses agresseurs l’exécuteraient sans hésiter s’il s’avisait de résister. Il descendit donc de son engin que les deux malfrats enfourchèrent aussitôt pour disparaitre entre les maisons inachevées.
CONNU DE TOUS. O. était encore sonné par la soudaineté de l’embuscade. Mais il avait gardé assez de sang-froid pour fixer dans sa mémoire les visages des voleurs. Car il était bien décidé à traquer ceux-ci de toutes les manières possibles. Le ferrailleur se rendit d’abord au commissariat du 11 ème Arrondissement pour faire une déclaration de vol et pour donner une description très précise de ceux qui l’avaient attaqué. Puis il se mit lui-même en chasse. Normalement, il n’aurait dû avoir aucune chance de retrouver les malfaiteurs. Mais il fut aidé de manière extraordinaire par la chance. Il y a quelques jours de cela, il s’était rendu à un kiosque de vente de tickets PMU sur la route de Sénou. Fidèle parieur sur la course des chevaux, il était aussi un client fidèle de ce kiosque.
C’est là que par le plus improbable des hasards, il rencontra et reconnut tout de suite l’un de ses agresseurs de Sénou. Sans attirer l’attention de l’individu, O. prit le temps de bien le dévisager pour ne pas courir le risque de faire des ennuis à un innocent. Puis une fois le bandit parti, il demanda au propriétaire du kiosque des informations sur le client qu’il venait de servir. Muni de tous ces renseignements, O. retourna aussitôt au commissariat pour donner l’alerte aux limiers. C’est ainsi que les policiers ont pu aller cueillir le suspect et le conduire dans leurs locaux. Entretemps, O. avait continué à tourner dans la zone et l’exceptionnelle chance qui l’avait servi lui fit trouver son second assaillant. Qu’il alla dénoncer à la police. Notre histoire aurait pu s’arrêter là, mais elle enregistra une péripétie des plus étranges.
Le second agresseur avait été déniché par O. sur son lieu de travail. Le bandit tenait en effet une boutique de vente de pièces détachées de moto dans le secteur du quartier où les faits se sont passés. Mieux, ce jeune homme était connu de tous (ou presque) dans la zone. Après que le voleur eut été arrêté pour être conduit au commissariat, un groupe d’individus, dont certains étaient du troisième âge, s’est présenté à O. pour lui exprimer de manière agressive sa désapprobation. Ces personnes sont allées jusqu’à menacer de mort le ferrailleur. « Certains d’entre eux ont pris ma photo avec leur téléphone en me disant qu’il ne me laisseront pas en vie si jamais leur proche se retrouvait derrière les barreaux pour cette affaire », nous a fait savoir O. totalement stupéfait.
Visiblement désorienté face à la tournure prise par les évènements, O. a estimé que sans le savoir il avait débusqué tout un réseau de malfrats qui comporte en son sein des personnes d’un âge respectable. Mais ce dernier détail lui importe peu. Il nous a dit ne ne nourrir aucune espèce de considération pour des aînés qui vivent de l’argent de vols et qui craignent maintenant d’être démasquées et donc de se trouver exposées au jugement de tout le quartier. O a rapporté sans hésiter ce qui lui est arrivé aux policiers. Ces derniers ont convoqué tous ceux qui sont impliqués dans la tentative d’intimidation. Les limiers ont promis de tirer avec diligence l’affaire au clair. « Peu importe que ce soit des personnes âgées, elles iront en prison si leur implication était établie », nous indiqué un limier. Mais notre interlocuteur ne cachait l’amertume qu’il éprouvait à voir des personnes apparemment respectables se mouiller dans des activités aussi répréhensibles.
MH.TRAORÉ
source : Essor