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Fadal Dey, reggae man ivoirien : « Je demande au président Compaoré de savoir partir du pouvoir »

Lors de son séjour dans le cadre du congrès ordinaire de l’Union pour la renaissance/Parti sankariste, nous avons rencontré, le dimanche 22 décembre 2013, à Ouagadougou, le célèbre reggae man ivoirien, Ibrahima Kalilou Koné alias Fadal Dey.

Kalilou Koné alias Fadal Dey artiste musicien ivoirien

Avec lui, il a été question, entre autres, de la situation politique de la Côte d’Ivoire, de l’actualité au Burkina et de la sortie prochaine de son 5e album en 2014. Pour l’artiste musicien, qui a son actif 4 albums, « le président Blaise Compaoré doit savoir partir du pouvoir ».
Le Quotidien : Dans quel cadre Fadal Dey se trouve-t-il au Burkina Faso ?

Fadal Dey : Je suis au Burkina dans le cadre du premier congrès ordinaire de l’Union pour la renaissance/Parti sankariste (UNIR/PS). Le parti m’a contacté pour animer son meeting. Je partage donc la scène avec des artistes burkinabè tels que Sams’k Lejah, Smockey et bien d’autres.

L’UNIR/PS est un parti de l’opposition burkinabè, est-ce à dire que vous vous sentez proche de cette opposition ?

La musique reggae est naturellement une musique d’opposition. Le reggae man, c’est celui qui est opposé à un système néfaste pour son peuple. Il a le devoir d’être la conscience de son peuple, d’être la voix et les oreilles de son peuple. De ce fait, je ne dirais pas que je me sens proche de l’opposition burkinabè, mais plutôt du peuple burkinabè. Partout où le système sera néfaste pour les populations, peu importe que ce soit en Côte d’Ivoire, au Burkina, au Mali où partout ailleurs en Afrique, je me sentirai concerné.

Que représente l’idéologie sankariste pour vous ?

Pour moi, l’idéologie sankariste, c’est le panafricanisme et l’indépendance véritable de l’Afrique vis-à-vis de l’Occident. Je ne puis citer tous les mots forts que Sankara a prononcés, mais je retiens qu’il était contre le fait que l’Afrique paye la dette. Cela parce que pour lui, ce que les Africains ont fait pour les Blancs, l’Occident ne pourra jamais le payer jusqu’à la fin des temps. Entendez par cela, la dette de sang. Sankara était un éveilleur de conscience, un panafricaniste qui se battait pour que l’Afrique puisse se prendre en charge elle-même. Pour moi, tout Africain, fier de l’être, devrait se réclamer sankariste.

Comment avez-vous trouvé la mobilisation autour de cette idéologie, lors du congrès de l’UNIR/PS?

La mobilisation était extraordinaire. La salle Jean Pierre Guingané où se déroulait le congrès était comble de monde, de même qu’il y a eu des gens qui ont suivi avec intérêt les manifestations, depuis l’extérieur de la salle. Le spectacle était à son paroxysme, si je puis le dire ainsi.

Avec le recul, quelle analyse faites-vous de la crise qui a secoué la Côte d’Ivoire ?

Je dirais plus jamais ça… parce que, ce que nous avons vécu a été terrible et nous ne le souhaitons à aucun pays. Plus jamais ça parce que la vie est précieuse et qu’il ne faut pas la gaspiller. Je veux dire à mes frères ivoiriens de désarmer leur cœur, car le temps du développement, le temps de l’évolution est là. Le temps du travail est là. Il est temps que chacun puisse gagner son pain à la sueur de son front et non dans la facilité. Il est temps que chaque Ivoirien, chaque Africain se mette au travail pour un développement véritable du continent.

Dans l’album « Jahso », vous avez un titre « Conflit à l’Ouest » que vous avez chanté avant la crise, est-ce à dire que vous pressentiez le chaos ?

Je ne suis pas un prophète, mais pour dire vrai, j’ai sentis venir la crise. Comme vous le savez, la Côte d’Ivoire a connu ses premiers déplacés de guerre en 1995 après le boycott actif lancé par l’ancien président Laurent Gbagbo, parce que celui-ci ne voulait pas aller aux élections avec Henri Konan Bédié. L’ethnie Baoulé d’où est issu Henri Konan Bédié a été prise pour cible à Gagnoa où elle avait une très forte colonie. Plusieurs d’entre eux étaient obligés de se déplacer. Cette situation m’a beaucoup touché et j’ai souhaité que cela ne se généralise pas à l’ensemble du pays. C’était donc pour interpeller les politiciens sur les risques du jeu politique qu’ils avaient mis en place que j’ai composé ce morceau ‘’ Conflit à l’Ouest ’’. Malheureusement, ils ne nous ont pas écoutés, plongeant ainsi la Côte d’Ivoire dans cette crise.

Selon vous, quel était le problème fondamental de la Côte d’Ivoire ?

D’aucuns diront que le problème de la Côte d’Ivoire était ethnique. Mais, moi je dirai plutôt qu’il était politique. Des politiciens ne voulaient pas voir d’autres politiciens à la place qu’il faut, c’est tout. Sinon, le peuple ivoirien est un mélange de plusieurs ethnies qui cohabitent dans la paix. La preuve en est que comme la mienne, elles sont nombreuses les familles ivoiriennes composées de plusieurs ethnies. Moi par exemple, ma mère est du Centre de la Côte d’Ivoire, mon père du Nord, ma femme, elle, est Baoulé. Même la famille de l’ancien président Laurent Gbagbo est un mixage de plusieurs ethnies. Dans cette affaire, je dis que seul le peuple ivoirien avait le dernier mot et que les politiciens n’avaient pas le droit de décider à sa place. Je me réjouis d’autant plus que celui-ci ait pris ses responsabilités aux élections passées.

Dans une de vos chansons également, vous regrettez le président Houphouët Boigny. Pourquoi ce regret ?

Houphouët Boigny comme on le dit, c’est le père de la Nation. Mais, il n’a pas été seulement que cela. Il a été un apôtre de la paix. Il nous a enseignés que la paix n’est pas un vain mot, mais plutôt un comportement. Je puis dire aujourd’hui que chaque Ivoirien et même les Africains regrettent le président Houphouët Boigny. Parce qu’avec lui, il y avait une stabilité. C’est vrai qu’il n’était pas parfait, car l’être humain a ses qualités et ses défauts. Il était un homme de paix et il nous a inculqué la culture de cette paix. Quand nous étions enfants, des gens de l’opposition sont venus nous jeter dans la rue pour dire que Houphouët était un voleur. Mais, ces mêmes personnes ont eu la chance d’être au pouvoir d’Etat longtemps après lui, mais ils n’ont pas fait mieux que lui. Ils ont gouverné sur les acquis de celui qu’ils ont traité de voleur. Nous nous sommes rendus compte que ces opposants nous ont trompés et que nous avons insulté le vieux pour rien. C’est pourquoi, à travers cette chanson, j’ai décidé de faire mon mea culpa et de demander pardon au président Houphouët.

Comment appréciez-vous la gestion du pouvoir par Alassane Ouattara ?

Je ne dirai pas qu’il est parfait, je ne dirai pas non plus qu’il est nul. Je dirai que Alassane Ouattara est un homme comme tout le monde, avec ses défauts et ses qualités. Ce que nous retenons, c’est qu’aujourd’hui les Ivoiriens sont au travail. Nous retenons que désormais les choses sont en train de bouger en Côte d’Ivoire. L’autoroute jusqu’à Yamoussoukro vient d’être inaugurée, le 3e pont est en construction à Abidjan, l’échangeur de la Riviera 2 est en pleine construction, le pays est en chantier. Le président ADO n’est pas un super homme, mais il travaille pour son pays, seuls les aveugles refuseront de voir cela. Je lui rends hommage pour tous ces grands chantiers pour la reconstruction de la Côte d’ivoire. J’en profite également pour attirer son attention sur le fait que les denrées de premières nécessités sont chères en Côte d’Ivoire et que les Ivoiriens ont des problèmes pour se nourrir.

De quel bord politique êtes-vous ?

D’aucun bord politique. Je ne militerai jamais de ma vie dans un parti politique, car je milite déjà pour les peuples africains.

Il y a eu, à un moment donné, des mésententes entre des artistes ivoiriens, notamment entre Alpha Blondy et Tiken Jah Fakoly. Quel commentaire faites-vous ?

Je ne souhaiterais pas me prononcer sur cette question, mais je dirai que Alpha Blondy et Tiken Jah Fakoly sont deux grands garçons. Ils se sont embrouillés, ils se sont réconciliés et c’est tant mieux pour leur public et leur carrière.

L’actualité au Burkina, c’est l’article 37 et le Sénat, comment appréciez-vous ce débat ?

Je ne souhaiterais pas m’immiscer dans la politique interne du Burkina, mais ce que je sais, c’est que mettre des institutions en place coûte toujours de l’argent à un pays. Surtout quand ce pays est classé parmi les pays les plus pauvres au monde. Je dirais que les gouvernants burkinabè gagneraient à écouter la voix de leur peuple. Pour ce qui est de la possible modification de l’article 37 de votre Constitution, je dis que je suis contre le tripatouillage de toute Constitution allant contre l’intérêt des peuples. Je demande au président Compaoré d’écouter son peuple et pourquoi pas, de savoir partir du pouvoir. Car, il est très important dans la vie d’un gouverneur de rentrer dans l’histoire. Je prends l’exemple du Sénégal où le président Abdoulaye Wade a cédé le pouvoir alors que nous pensions qu’il allait s’y accrocher. Egalement au Mali, il y a eu un bel exemple de démocratie avec l’accession au pouvoir du président Ibrahim Boubacar Keïta. Au moment où à Bamako, il y avait des tensions, où certains voulaient contester les résultats, l’adversaire directe de IBK, soumaila Cissé, avec toute sa famille, est allé le féliciter chez lui pour sa victoire. A l’endroit des présidents qui veulent s’accrocher au pouvoir, je dirais d’écouter la voix de leur peuple et d’entrer grandement dans l’histoire.

Comment se porte la carrière musicale de Fadal Dey ?

Je me porte bien. Par la grâce de Dieu, les choses commencent à bouger après 10 ans de crise en Côte d’Ivoire, parce que ce n’était pas facile pour les artistes. Avec la crise, nous n’avons pas pu sortir des albums comme nous le souhaitions. La preuve en est que mon premier album est sorti en 1997, le second en 1999, le 3e en 2003, le 4e en 2010. Je suis actuellement en studio pour mon 5e album qui, je l’espère, verra le jour en 2014. Dans cet opus de 17 titres, figurent des morceaux comme « Touche pas à ma constitution, Sankara Forever (en hommage au président Sankara), Arrêtez ça, FRCI, qui veut dire fan de la république de Côte d’ivoire et non force républicaine de Côte d’ivoire ». J’espère, au bouclage de cet opus, revenir pour le présenter au public burkinabè.

Avez-vous un dernier mot ?

J’aimerais vous remercier de m’avoir offert cette occasion de m’exprimer et de m’adresser à mes fans du Burkina et au peuple burkinabè. Félicitation au burkinabè pour leur esprit patriotique et intègre. Vive le Burkina Faso, vive la Côte d’Ivoire, vive l’Afrique et vive la démocratie .

Interview réalisée par P. Adeline Clémence ZINABA

Source: Le Quotidien

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