Face à cette pression, le développement agricole fait déjà face à d’immenses défis, et l’on craint que les changements climatiques ne les aggravent dans les zones vulnérables. Une majorité de la population d’Afrique subsaharienne vit en effet dans des régions rurales, où les revenus et l’emploi dépendent presque entièrement de l’agriculture pluviale.
Le secteur agricole emploie entre 65 et 70 % de la main-d’œuvre africaine et représente généralement 30 à 40 % du produit intérieur brut.
De multiples facteurs biophysiques, politiques et socio-économiques se conjuguent pour accroître la vulnérabilité de cette région et risquent d’entraver sa capacité d’adaptation.
Précipitations, sécheresses et désertification
Le climat africain est déterminé par trois phénomènes climatiques critiques qui sont liés entre eux de manière complexe et qui ne sont pas encore entièrement compris. Il s’agit du mouvement de la zone de convergence intertropicale, de l’oscillation australe El Niño et de l’alternance annuelle des moussons. Chacun de ces phénomènes interagit avec l’autre, déterminant les régimes régionaux de température et de précipitations.
À cela s’ajoutent les changements climatiques en cours, qui ont des répercussions sur les précipitations et l’élévation du niveau de la mer, et entraînent une augmentation modérée à extrême de la température mondiale.
Au-delà des hausses de température, les changements climatiques en Afrique subsaharienne devraient entraîner des transformations dans l’intensité des précipitations, une incidence accrue des événements extrêmes tels que les sécheresses et les inondations, le renforcement de la désertification et l’altération de certains vecteurs de maladies entraînant des transformations dans la transmission spatiale et temporelle des maladies infectieuses.
Un quart de la population sous-nourrie
L’un des plus grands défis auxquels nos sociétés sont actuellement confrontées est de fournir en permanence à tous les citoyens des aliments nutritifs tout en préservant l’environnement. Ce problème se pose avec une acuité particulière en Afrique subsaharienne, où l’on estime qu’une personne sur quatre ne dispose toujours pas d’une alimentation suffisante pour mener une vie saine et active.
Le terme « sécurité alimentaire » est défini comme l’accès physique, social et économique de tous et à tout moment à une nourriture à même de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active.
Elle repose sur quatre piliers : la disponibilité alimentaire, l’accès à la nourriture, l’utilisation de la nourriture et la stabilité de la disponibilité alimentaire et de l’accès aux aliments. L’insécurité alimentaire quant à elle correspond à un manque d’accès à une nourriture suffisante.
En dépit d’une incertitude sur les données climatiques, la littérature publiée permet de tirer plusieurs points saillants : partout en Afrique, l’agriculture risque d’être affectée négativement par les changements climatiques ; et dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, le rendement des cultures pourrait diminuer de 10 à 20 % d’ici à 2050 en raison du réchauffement.
Dans le cas du blé, ce rendement moyen pourrait baisser d’ici au milieu du siècle de 17 %, celui du maïs de 5 %, celui du sorgho de 15 % et celui du millet de 10 %.
Même sans les changements climatiques, les agricultures africaines suscitent déjà de graves inquiétudes en raison de la variabilité de l’approvisionnement en eau, de la dégradation des sols et des sécheresses récurrentes. Il ne fait aucun doute que l’agriculture devra changer radicalement pour répondre aux demandes futures.
D’autant plus si l’on tient compte des taux de croissance démographique – les plus élevés au monde – et des modifications des habitudes alimentaires liées à l’urbanisation et à l’essor de la classe moyenne africaine.
Régimes moins carnés et agroécologie
Le défi consiste non seulement à augmenter la production alimentaire, mais aussi à le faire de manière durable, en réduisant nos émissions de gaz à effet de serre et en préservant la biodiversité.
En effet, la quantité de nourriture disponible pour la consommation humaine est affectée par l’attribution des cultures à d’autres utilisations non alimentaires, telles que l’alimentation animale, la bioénergie et les utilisations industrielles. Au niveau mondial, seulement 67 % de la récolte produite (en masse) ou 55 % des calories produites sont disponibles pour la consommation humaine directe.
Le reste de la récolte a été allouée à l’alimentation animale (24 % en masse) et à d’autres utilisations industrielles, y compris la bioénergie (9 % en masse).
Dans les pays riches, de nombreuses personnes consomment davantage de produits d’origine animale que ce qui est recommandé sur le plan nutritionnel : c’est le cas du modèle alimentaire très carné nord-américain ou argentin.
Or nous avons besoin de toute urgence de nouvelles alternatives pour relever les défis actuels et futurs auxquels sont confrontés nos systèmes alimentaires. Des réformes seront donc nécessaires, notamment l’évolution vers des régimes moins carnés, ce qui pourrait augmenter la productivité alimentaire des terres cultivées et nourrir plus de personnes par hectare de terre cultivée.
Il est impératif de concevoir des systèmes agricoles résistants face à des chocs de plus en plus fréquents et capables de s’adapter aux nouvelles conditions imposées par ces changements.
Dans ce contexte, l’agroécologie – qui vise à concevoir des systèmes alimentaires impliquant moins de pressions sur l’environnement et un usage plus modéré des ressources naturelles – sera indispensable pour améliorer la sécurité alimentaire et la nutrition ; en rétablissant et en maintenant les écosystèmes, en offrant des moyens de subsistance durables aux petits exploitants et en renforçant la résilience pour s’adapter aux changements climatiques.
Sougueh Cheik, Docteur en sciences de l’environnement, Institut de recherche pour le développement (IRD)
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Source: Phileingora