Pour avoir un prêt à la banque, il faut des garanties. La plupart des jeunes porteurs de projets sont confrontés à ce problème de prêt bancaire qui fait que leur initiative tombe à l’eau
Chaque année, de millier de jeunes Maliens arrivent sur le marché du travail. Souvent sans perspective. En effet, la majeure partie de ces jeunes peine à se trouver un emploi. Les plus audacieux empruntent la voix de l’entrepreneuriat. Soit par vocation, soit pour éviter de tomber dans un chômage prolongé. Dans cette quête perpétuelle d’un lendemain meilleur, ils buttent en général au problème crucial du financement de leurs projets. Cela, malgré la présence sur le terrain d’une multitude d’acteurs spécialisés dans l’appui et l’accompagnement des jeunes entrepreneurs. Les jeunes ont peur aussi de s’adresser aux banques qui exigent des garanties insoutenables.
Mahama Téréta, ingénieur du génie rural, est inventeur du procédé Filtration lente sur sable (FLS). Pour lui, les banques n’ont pas encore allégé les critères d’octroi de financement aux jeunes. Au contraire, elles exigent même des titres fonciers pour l’octroi des prêts. «Ces conditions sont demandées même quand le projet en question est bancable. Chose qui m’a vraiment découragé d’aller voir les banques», explique-t-il.
Pour rappel, le FLS est une technologie innovante permettant de produire de l’eau potable, principalement en milieux rural, semi-urbain et péri-urbain. Le système, selon les explications de son concepteur, est moins coûteux, comparé aux services offerts par les sociétés de gestion de l’eau potable et autres forages classiques. Une station SchmutzdeckEau (le nom de ses stations d’eau) est équipée de technologie FLS : une pompe vendue à 600.000 Fcfa et d’une station SchmutzdeckEau qui coûte 650.000 Fcfa. Soit un coût global d’environ 1,250 million de Fcfa. Le système, assure notre interlocuteur, peut alimenter une communauté de 100 ménages, soit l’équivalent de 1.000 personnes. Sa particularité est qu’il n’utilise que du sable ou du gravier comme matière première pour produire de l’eau potable.
En dépit de ces multiples avantages, le concepteur du FLS est toujours à la recherche de financement pour développer sa création. Comme pour rassurer par rapport à la viabilité du projet, l’ingénieur dit avoir construit deux stations : une à Badalabougou, grâce à un financement de l’Agence du bassin du fleuve Niger (ABFN) et une autre à l’Institut polytechnique rural de formation et de recherche appliquée (IPR/IFRA) de Katibougou, qui a été réalisé grâce «au financement d’un généreux Américain», précise-t-il. Le jeune Téréta ambitionne d’étendre son projet à l’ensemble du Mali pour un accès total de toute la population à l’eau potable.
Cheick Ahmed Tidiane Touré est responsable administratif et des relations extérieures à «Emploi et Moi», une jeune start-up spécialisée dans la mise en relation entre employeurs et demandeurs d’emploi, à travers une plateforme web. Selon lui, la jeune entreprise qui entre dans sa troisième année d’existence, attend toujours son premier financement officiel. «Jusque là, nous fonctionnons grâce à un business modèle innovant, fortifié par une stratégie de communication centrée sur nos offres», explique Cheick Ahmed Tidiane Touré. Pour lui, les banques ont commencé à manifester de l’intérêt pour le projet, mais exigent toujours un business plan très solide, accompagné d’un état financier solide prouvant sa solvabilité.
MAÎTRISER LES MARCHÉS CIBLES-Qu’en pensent les banquiers ? Interrogé lors de la 9è édition de la Journée des banques et établissements financiers du Mali, tenue les 12 et 13 décembre 2019, la directrice marketing digital de la Banque de développement du Mali (BDM S.A) assure que son établissement dispose d’une agence dédiée aux Petites et moyennes entreprises (PME). L’établissement bancaire, ajoute-elle, dispose également d’une structure qui donne des conseils en gestion d’entreprise et de trésorerie aux jeunes souhaitant se lancer dans l’entrepreneuriat. Concernant les garanties qu’exigent les banques, Mme Doucouré Assan N’diaye dira que la BDM a récemment bénéficié de lignes de crédits de la part de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) pour accompagner les PME à financer leurs projets. Dans ce cadre, des projets ont déjà bénéficié de financement. Toutefois, «on ne décide pas de monter un projet parce que mon ami l’a fait et l’a réussi. Il faut un minimum d’organisation et de potentialité à l’avantage du projet en question», rappelle Mme Doucouré Assan N’diaye qui conseille aux jeunes porteurs de projets de bien maîtriser leurs marchés cibles avant de lancer un ou des services. En la matière, la BDM dispose de chargés de clientèle qui guident les jeunes sur des aspects liés au suivi des projets, à la gestion de la comptabilité, etc.
SOUTENIR LES JEUNES-Rachetée récemment par le groupe bancaire marocain Banque centrale populaire (BCP), la Banque Atlantique se dit prête à soutenir les jeunes porteurs de projets fiables et viables. Et au cas où le porteur de projet n’a pas de garantie, la banque analyse son dossier, afin de calculer la rentabilité et la potentialité de l’idée, indique Sékou Touré. Notre interlocuteur s’empresse de préciser que dans ce cas précis, la banque se rassurera de la cohérence des documents administratifs nécessaires. «Si le projet est rentable et présente une potentialité, la banque peut appuyer son porteur, en l’aidant à mieux le structurer», précise-t-il.
Responsable du département d’étude et financement au niveau du Fonds de garantie du secteur privé (FGSP), Amidou Dicko, indique que sa structure accompagne les start-ups en garantissant 50% de la somme que les banques allouent pour financer les projets des jeunes qui bénéficient de la garantie du FGSP. Cela signifie qu’en cas de problème, le Fonds se porte garant de rembourser la moitié de la somme que la banque a prêtée au porteur de projet. Et notre interlocuteur d’indiquer que le FGSP signe au préalable un protocole d’accord avec l’établissement financier devant financer les projets garantis par le fonds. Pour qu’un projet bénéficie de la protection du FGSP, il doit faire l’objet d’étude, afin de savoir si l’idée est prometteuse, détaille Amidou Dicko, avant d’ajouter que cette analyse évite au Fonds de jeter gratuitement de l’argent par la fenêtre. Selon notre interlocuteur le FGSP a, de sa création en 2014 à cette année, accompagné une centaine d’entreprises en création et plus de 1.500 d’entreprises déjà établies ont reçu le soutien du Fonds. À en croire le responsable chargé d’étude et financement du FGSP, le Fonds a mobilisé près de 50 milliards de Fcfa, afin de garantir les entrepreneurs en besoin de financement.
Pour Amidou Dicko, le financement bancaire des jeunes semble inadapté aux entreprises en création. Le capital risque, un moyen de financement de start-up jusque-là inexistant chez nous, est l’outil le plus approprié à cet effet. Il se traduit par l’intervention directe d’un investisseur dans la gestion d’une entreprise, en y possédant une part moins élevée des actions que le propriétaire du projet. Il s’agit là d’une cogestion. «L’avantage du capital risque est que l’argent investi est récupéré quand tout va bien. Si l’entreprise se porte mal, on accorde du temps à la boîte pour qu’elle se stabilise. En cas de faillite, les deux parties perdent tout simplement», dit Amidou Dicko, en rappelant que ce système existe dans certains pays africains, comme le Nigeria, le Ghana, l’Afrique du Sud, la Cote d’Ivoire, etc.
Outre le Fonds de garantie, d’autres moyens de financement sont mis à la disposition des jeunes comme le dispositif d’appui aux PME de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (Bceao), indique le président de l’Organisation des jeunes patrons (OJEP). Cheick Oumar Soumano révèle que la Bceao dispose dans les huit pays de l’Union économique monétaire ouest-africaine (Uemoa) des structures d’appui et d’encadrement, chargées d’étudier les plans d’affaire des jeunes. «Les projets sélectionnés dans ce cadre seront financés par les banques qui seront à leur tour remboursées par la Bceao », complète Cheick Oumar Soumano.
Amadou B. MAÏGA
Source : L’ESSOR